[1](14 avec encart a{r}
35{r}N.
11/1 1723Note: 11 janvier 1723
Très honoré prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
Je rapporte très humblement à Votre Altesse que mardi nous ne sommes arrivésNote: Neumann utilise le « je » (mir) dans le sens de « nous ». Il entreprend son voyage avec le maître de chapelle Fortunato Chelleri (1690-1757), qui a été envoyé en 1722 de Venise à Wurtzbourg. En 1724, Chelleri s’installe à la cour du landgrave Charles Ier de Hesse à Cassel. Cf. Freeden 1955, vol. 2, nº 1017, p. 769, n. 1 (les dates de vie données par Freeden pour Fortunato Chelleri sont erronées) ; Friedrich 2006, p. 51, n. 27. ici à Mannheim que vers midi en raison de fort mauvaises routes et comme Monsieur von Sickingen était à la cour, et ne venait que samedi, j’ai remis directement votre lettre, si bien que le directeur des BâtimentsNote: Verena Friedrich fournit des indications complémentaires : les plans ont probablement été dressés par Louis Remy de La Fosse, tandis que la direction du chantier revint à Johann Clemens Froimont ; lequel allait être congédié en 1726 et remplacé par Guillaume Hauberat, un élève de Robert de Cotte ; cf. (Friedrich 2006, p. 52, n. 30). m’a montré le chantier ainsi que les plans : vendredi, j’ai donc vu les bâtiments de mes propres yeux, et je dois dire qu’on a beaucoup avancé dans leur construction, à savoir le corps de logis, sauf au milieu la salle principale et le grand escalier qui n’ont pas de toit ; mais à côté de ceux-ci, deux moitiés d’ailes sont déjà couvertes, et toutes les fondations sont sorties de terre. En effet, l’ensemble est en maçonnerie et non en pierres de taille, de plus, si pour le corps de logis il y a une ornementation architecturale entre les fenêtres, les pilastres du bas sont hauts d’un seul étage et sont semblables aux pilastres supérieurs, qui s’étendent sur l’étage principal et la mezzanine ; de plus, tous ayant la même largeur, ceux du bas ont l’air trop courts,
[2]{35v}ceux du haut trop longs, et tassés entre les fenêtres, sans respecter aucune règle d’architectureNote: À ce sujet, voir l’analyse détaillée dans Hubala/Mayer/Mülbe 1984, p. 15-26. Les auteurs exposent la critique formulée par Neumann à propos des ordres de pilastres sur les façades de part et d’autre de l’avant-corps central. L’architecte pointe des erreurs de proportions, l’ordre inférieur semblant trop court tandis que l’ordre supérieur, qui s’étend jusqu’à l’étage-attique, paraît trop long. Cette impression tient à un rapport déséquilibré entre largeur et longueur des pilastres. Ce déséquilibre se retrouve dans les dimensions des fenêtres du rez-de-chaussée, d’une hauteur insuffisante, tandis que celles du haut semblent, par comparaison, comme étirées en longueur. Cette critique éclaire le futur choix de Neumann d’ajouter une mezzanine au-dessus du rez-de-chaussée de la résidence de Wurtzbourg. Ce choix répond non seulement à des impératifs de construction et de distribution intérieure mais aussi à un souci d’équilibre de la composition et des proportions du bâtiment..
Les pilastres comme les angles sont en pierres de taille, mais on a pris les pierres comme elles se présentaient, petites, grandes, plus claires ou plus grises ; toutes les fenêtres, de 6 pieds de large sur 10 pieds de haut pour celles du bas, et 6 pieds de large sur 12 pieds de haut pour celles du haut, ont un habillage en pierre. Celui-ci est toujours en trois parties. Et, en particulier pour la plus petite d’entre elles, insérée dans le mur au centre, les joints ont dû être comblés par un crépi en lieu et place du badigeon.Note: Dans l’original allemand, le terme tinnger est employé pour Tünche qui signifie « badigeon ». Nous remercions le professeur Georg Satzinger du Kunsthistorisches Institut de l’université de Bonn pour son aide. ; la couleur des pierres est telle qu’elle se présente à l’origine ; l’autre avantage est que ces pierres sont toutes transportées sur le Neckar, et durant mon voyage j’y ai vu beaucoup de carrières. Et puis il n’y a pas de niveau de soubassement, les murs étant cependant très épais. Un pavillon également terminé, avec un toit en forme de coupole bien plus haute que celle dessinée par Monsieur Johann Lucas et déjà couverte d’ardoises, va toutefois être détruit pour y mettre une balustrade et une galerie bien horizontales.
[3]36
{r}J’en ai beaucoup parlé avec le capitaine pendant la journée. On m’a également montré la maquette d’architecte où l’on voit très clairement tout cela. On travaille aussi au cadre des fenêtres et aux volets, ainsi qu’aux essais pour les portes. Les fenêtres, dont un carreau fait 17 pouces de haut pour 13 de large, comptent 4 carreaux en largeur et 7 en hauteur et sont à deux battants, comme des portes, si bien qu’un battant compte 7 carreaux en hauteur et 2 en largeur. Une bonne partie des cadres a déjà été fabriquée, ainsi que les volets, mais aucune serrure n’est encore terminée.
J’ai réussi à obtenir des directeurs, tant de la résidence que des fortifications, qu’ils veuillent bien m’envoyer ce que je leur demanderaiNote: Neumann fait certainement référence à Johann Clemens Froimont, qui dirige alors le chantier du château de Mannheim. À partir de 1697, la ville et ses fortifications sont en effet reconstruites, d’après les plans de l’ingénieur néerlandais Menno van Coehoorn. Celui-ci décède cependant en 1704 et Neumann ne précise pas qui est en charge des travaux de fortification au moment où il rédige ses lettres. ; je pourrai en retour leur offrir mes services ; ainsi hier, après que Son Altesse et toute sa cour ont vu avec plaisir les plans de la résidence de Votre Altesse, et sont restés trois quarts d’heure à me demander force détails sur la hauteur des pièces, de la grande salle, des fenêtres, etc., Son Altesse ainsi que son directeur m’ont aussi posé des questions, en particulier sur la grande salle
[4]{36v}et ses dimensions, sa largeur et sa hauteur étant identiques, mais ne faisant que 37 pieds, et ses fenêtres sont comme les autres, mais au bel étageNote: Terme utilisé dans les pays germaniques pour désigner l’étage noble. elles descendent jusqu’au sol « à la Maintenon Note: Neumann évoque ici des portes-fenêtres, alors connues dans l’espace germanique sous le nom de « französische Fenster » ou « fenêtres à la française ». C’est sans doute à cette origine française que renvoie l’expression « à la Maintenon », non référencée dans le vocabulaire de l’architecture., une galerie en faisant le tour à l’extérieur. Son Altesse m’a alors demandé devant l’assistance pourquoi les fenêtres de ma salle n’étaient pas plus hautes et plus larges, ce à quoi je vous laisse le soin de répondre. Ils ont également examiné longuement au compas les plans des pièces et de la charpente. Son Altesse m’a dit en aparté qu’ils avaient aussi démonté le premier toit des ailes, haut et brisé, et que le nouveau toit était désormais plus plat, semblable au dessin du nôtre. Après quoi, Son Altesse m’a quitté en me remerciant. Monsieur von Sickingen fera le déplacement de Mannheim à Wurtzbourg pour apporter les plans, sans quoi j’en aurai montré davantage.
Je partirai d’ici cet après-midi ou demain de bon matin ; aujourd’hui j’ai l’intention de faire plus ample connaissance avec leurs stucateurs ; leur travail est excellent, fort beau, et j’ai l’impression qu’il y a là trois maîtres qui s’entendent très bienNote: Karl Lohmeyer signale que dans les comptes des Bâtiments sont mentionnés les stucateurs suivants : Antonio et Georgio Feretti, Richardi, Retti, Paul Alegre et Clerici ; cf. Lohmeyer 1911, p. 48, n. 16. Verena Friedrich montre quant à elle qu’il doit s’agir de Giovanni Battista Clerici et des frères Eugenio et Cipriano Castelli ; cf. Friedrich 2006, p. 53 et n. 36-38.,
[5][37]{r}[37]{r} dont je voudrais entre autres choses examiner le travail. Il y aurait certes bien davantage à écrire, mais j’en référerai humblement à Votre Altesse de vive voix à mon retour, et je serai très obligé à Votre Altesse de conserver jusque-là les lettres et rapports où je ne puis en dire assez, mais dont je pourrai en toute humilité l’entretenir davantage.
Notre maître de chapelle a trouvé ici beaucoup d’amis ; je le renverrai à la prochaine occasion afin qu’il s’en revienne bientôt à Wurtzbourg ; je pense que, s’il n’était pas si honnête et n’avait pas autant de plaisir à être au service de Votre Altesse, on pourrait facilement l’attirer ici ; par curiosité, je suis resté le soir lorsque j’étais disponible en sa compagnie, et j’ai pu moi-même m’en rendre compte ; mais comme il me semble honnête, il n’y a aucun danger, d’autant qu’il a d’ores et déjà composé ici bien des musiques.
Sur ce, je demeure à vie, avec tout mon respect,
De
Votre Altesse,
le très humble serviteur,
Balthasar Neumann
Mannheim, le 11 janvier de l’année 1723
[6]Addendum 14 – encart a[38]{r}
[38]{r}[7]37
{v} [8]15) avec encart a{r}
39{r}N.
17/1 23.Note: 17 janvier 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
Dans mon dernier et modeste rapport à
Votre Altesse, je n’ai pu tout décrire ; en effet, je suis encore resté lundi à
Mannheim, car il y avait encore d’autres choses dont je voulais m’assurer et qu’il était important de voir : tout d’abord, une nouvelle fois, les fenêtres déjà réalisées et la confection de leurs ferrures et des fermetures de volets, puis une visite au
menuisier ébénisteNote: D’après Karl Lohmeyer et Max Hermann von Freeden, il s’agirait du menuisier ébéniste de la Cour Sigismund Zeller, originaire de Heidelberg, qui travaillait entre autres à une maquette en bois du château de Mannheim ; cf. Lohmeyer 1911, p. 48, n. 18 et Freeden 1955, vol. 2, n° 1022, p. 774, n. 2 en possession des modèles de ces fenêtres et volets, à ferrures, que j’ai examinés et dessinés ; puis, comme cet homme est ingénieux, nous avons beaucoup réfléchi et conclu qu’on pouvait aussi faire autrement, afin que les tiges en fer fermant fenêtres et volets, et en particulier celles des fenêtres d’une telle hauteur
Note: Neumann renvoie aux dimensions mentionnées sur son dessin se trouvant à la vue 14 (fol. 41r). qui n’ont que deux battants, puissent être dissimulées, et, chose la plus curieuse, fenêtres et volets sont fermés en haut, en bas et au milieu, pour qu’il n’y ait pas de gauchissement des volets ou des battants, que la fermeture soit bien serrée et que l’ouverture puisse se faire de manière aisée par une légère pression ; de plus il m’a montré le modèle d’une serrure de cabinet, dont
Monsieur von Sickingen vous a parlé, sa particularité étant qu’il y a deux clefs pour le fermer.
[9]{39v}L’une des clefs, que le propriétaire conservera, sert à fermer le cabinet et à armer le mécanisme de sécurité ainsi verrouillé, de sorte que l’autre clef n’ouvre plus mais tourne à vide ; une fois le mécanisme déclenché par un non initié, la serrure libère un coup de feu qui atteint la personne ; de plus, qui essaie de tourner la poignée pour ouvrir le meuble a la main transpercée par la lame qui en sort ; enfin, une fois la clef abandonnée sur place, il y a moyen de savoir à combien de reprises on a cherché à ouvrir la serrureNote: Ce verrou de sécurité aurait pu être fabriqué par le serrurier Arnold Krapp. Cf. Lohmeyer 1911, p. 48, n. 20 ; Friedrich 2006, p. 52, n. 33.. Sinon j’ai vu encore bien d’autres choses assurément habiles.
On m’a remis les plans du rez-de-chaussée, sous le bel étageNote: Terme utilisé dans les pays germaniques pour désigner l’étage noble., ainsi qu’une élévation en perspective, on me donnera également les plans des fortifications et on me présentera l’ingénieur en charge des lieux.
Je puis assurer Votre Altesse que je ne connais pas de plus beau travail de stuc pour les feuillages, pas tant pour les proportions que pour les bas-reliefs et les figures sur les corniches ; on devrait fondre cela dans du métal et je regrette que ce travail abouti ne puisse être suffisamment apprécié d’en bas.
[10]40
{r}Il y a probablement neuf maîtres qui y travaillent, j’ai regardé les réalisations de chacun et fait la connaissance de ceux que nous pourrions choisir. Il y en a un ou deux qui s’y entendent à composer des histoires, sont encore plus rapides à modeler la terre que Monsieur Curé, et talentueux ; celui qui a longtemps fréquenté l’Académie et est le meilleur m’a aussi livré des explications écrites. La seule critique que je pourrais faire c’est qu’ils font mille et une choses au plafond ; ils m’ont dit que c’était contre leur gré, mais qu’on voulait qu’il en soit ainsi ; il me fallait seulement leur donner les mesuresNote: C’est-à-dire les dimensions des pièces de Wurtzbourg., et ils produiraient suffisamment d’esquisses et d’idées.
J’ai alors pris congé de Monsieur von Sickingen et je lui ai expliqué que jusqu’à ce qu’on puisse les employer à Wurtzbourg, il nous restait suffisamment de temps et que tout se passerait sans embarras avec ces gens.
De là je me suis rendu à Philippsburg, pour y déposer l’argent et, le mardi suivant,
comme on n’était qu’à 2 heures et demie de distance, je suis allé de nuit à BruchsalNote: Le cardinal Damian Hugo von Schönborn entreprit en 1720 des travaux d’agrandissement dans l’ancienne résidence secondaire des princes-évêques de Spire à Bruchsal. Cette dernière devint sa résidence principale peu de temps après que son frère Johann Philipp Franz von Schönborn eut posé la première pierre de la résidence de Wurtzbourg le 22 mars 1719. Cf. Hansmann 1986, p. 205-210 ; Schütz 1986, p. 64-66.. J’ai dit que mon intention première n’était pas de prendre cette route, mais cela s’est fait en raison de {ma présence} à Philippsburg, et j’ai respectueusement demandé audience à Son Éminence le prince-évêque, qui voulait voir les plans de Wurtzbourg,
[11]{40v}envoyés la nuit même par le chef d’atelier de WiesentheidNote: Contremaître au château de Wiesentheid (situé entre Wurtzbourg et Bamberg), Johann Georg Seitz était au service du diplomate Rudolf Franz Erwein von Schönborn, l’un des frères de Damian Hugo. Seitz a été envoyé par son maître à Bruchsal, car Damian Hugo ne disposait pas d’un architecte en chef. Cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1022, p. 776, n. 1 ; Friedrich 2006, p. 54..
Le lendemain matin, alors que la chasse avait commencé, j’ai été appelé à la cour : j’ai tout expliqué et montré ce qu’il fallait aux gens de Bruchsal ; lorsque Son Éminence le prince-évêque s’est retrouvé sur place, je lui ai présenté les constructions ; il m’a posé des questions sur nombre d’aspects de ces bâtiments, et je lui ai humblement donné mon avis, ce qui l’a satisfait et il s’est apprêté à poursuivre la chasse ; j’ai respectueusement pris congé, et il m’a fait présent de plusieurs médailles. Son Éminence a ensuite ordonné, comme la chaiseNote: La chaise (« chese » dans l’original allemand) désigne ici le carrosse. était déjà là, que je voie l’allée principale percée pour des chasses de 5 à 6 heures.
Le bois est utilisé pour la construction et autres emplois similaires, ainsi que pour le canal et l’aménagement des écluses. J’ai vu les salines et la carrière de pierre de même que le chef d’atelier et charpentier StahlNote: Cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1022, p. 776, n. 2., et le soir vers cinq heures j’ai poursuivi mon voyage
et le 15 au matin je suis arrivé à Kehl chez le général von Roth et si, malgré l’ordre de Votre Altesse, la lettre d’introduction n’était pas encore arrivée, j’ai pu transmettre le compliment de Votre Altesse ainsi que deux autres lettres adressées à Madame la générale par Monsieur von Sickingen.
Ainsi j’ai pu voir tout de suite les fortifications et les dommages causés par le Rhin
[12][41]{r}[41]{r}à la forteresse. J’y ai appris que Monsieur le colonel von Welsch et Monsieur Ulmann Note: Cf. Lohmeyer 1911, p. 52, n° 31. de Mayence sont d’opinion différente. Pour ma part, j’ai dit qu’il serait plus facile de débuterNote: Neumann veut dire « débuter les travaux de réparation de la forteresse ». à l’endroit où le Rhin commence à s’infléchir, là même où le courant semble plus faible, afin d’en faire peu à peu diminuer la force – le cours que nous avons vu hier à son origine nous l’observons aujourd’hui une seconde fois. J’ai alors pris mon congé et suis parti de suite pour Strasbourg.
Son Excellence le général et Madame la générale transmettent à Votre Altesse l’expression de leur plus profond respect, et remercient Votre Altesse de son souvenir. Ils vont également me donner une lettre pour Son Éminence le cardinal de Rohan à Paris. À Bruchsal, Son Éminence le prince m’a également offert de faire suivre une lettre.
Aujourd’hui, grâce au général von Roth, je vais voir ici la citadelle et d’autres choses encore. Sinon j’ai pris des renseignements et me suis présenté à qui de droit ; en tout cas je vais demander une lettre de change pour Paris : pour ce faire, le plus sûr est de m’adresser au fils de feu Monsieur Benjamin Metzler à FrancfortNote: La banque Metzler fut créée en 1674 comme une activité du comptoir commercial alors fondé par Benjamin Metzler ; elle existe toujours aujourd’hui. Cf. Lohmeyer 1911, p. 55, n. 55 ; Friedrich 2006, p. 56, n. 49., qui pourra la transmettre à Messieurs Kornmann frères et CompagnieNote: Nous n’avons pas trouvé d’informations sur cet établissement. ici à Strasbourg, lesquels pourront la transmettre après à Paris, ce qui est un moyen très fiable.
[13][41]{v}J’ajoute que la voiture de poste sera là mardi ; je me suis bien informé, elle sera en route 15 jours. J’ai donc résolu de confier quelques affaires à cette voiture et de partir d’ici avec le cheval de poste demain le 18, si Dieu le veut, pour aller à Saverne, et poursuivre par Lunéville puis Nancy. À Paris, même si je ne dois pas y rester, je pense que je logerai au faubourg Saint-Germain à l’hôtel de TournonNote: Il est probable que Neumann ait eu l’intention de séjourner à l’hôtel des Ambassadeurs, rue de Tournon (le n° 10 jusqu’en 1748), où étaient également logées des personnes de haut rang ; cf. Lohmeyer 1911, p. 52-53, n. 33. Toujours est-il qu’il a bien emménagé dans un appartement privé dans la même rue ; cf. Lohmeyer 1911, p. 52-54, n. 33 et n. 43., et dès que j’y serai arrivé, je vous enverrai mon très humble rapport et avec une adresse plus précise.
Avec le plus profond respect, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et cher serviteur,
Balthasar Neumann
Strasbourg, le 17 janvier de l’année 1723
Cet après-midi, j’ai eu l’occasion de visiter avec un capitaine la citadelle et, depuis les remparts, toutes les fortifications ainsi que les constructions en cours, le magasin à poudre, l’arsenal et tout ce que j’ai demandé à voir, et j’ai pris des notes sur tout cela.
[14]Addendum 15 — encart a[42]{r}
[42]{r} [15]{r}43{r}16) avec encart aN.Note: 21 janvier 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
Votre Altesse aura sans doute reçu ma modeste lettre de
Strasbourg datée du
17. Étant arrivé le
lundi 18 à
Saverne, j’y ai visité aussitôt le jardin et le
château dont j’ajoute ci-joint une esquisse imparfaite
Note: Cf. vues 18 et 19 (fol. 44r et 44v).. L’extérieur ne présente pas d’élément architectural notable hormis deux frontons sur le jardin, l’un au-dessus du portail d’entrée, que j’ai signalé sur le plan, l’autre au-dessus d’une sortie menant au jardin et traversant le fossé. Les plus beaux éléments du jardin sont la grande pièce d’eau et la grande cascade qu’alimente toute une rivière ; le haut du jardin, dont j’ai esquissé quelques chemins, est recouvert d’allées et d’arbres avec au centre un obélisque de pierre.
Les intérieurs du bâtiment m’ont beaucoup plu : en premier lieu l’entrée puis, en traversant la colonnade, le vestibule menant à l’escalier, sorte de sala terrenaNote: Grande salle d’agrément du rez-de-chaussée, située dans l’axe principal des châteaux et des palais baroques d’Europe centrale. à colonnes ; les premières marches de l’escalier, par leur grande largeur, correspondent tout à fait à l’escalier de la résidence de Votre Altesse. Au lieu d’une balustrade, on a des grilles en fer ouvragées, et à deux reprises, en bas comme en haut, des galeries entourent l’escalier comme je l’ai indiqué sur le deuxième planNote: Le vestibule, qui avait l’aspect d’un grand hall, ainsi que les escaliers monumentaux de l’aile nord furent probablement construits dans les années 1670 par un architecte qui nous est inconnu à ce jour. Cf. Friedrich 2006, p. 56-56.. Une fois entré
[16]{43v}43’{v}dans la salle, on trouve une arcade ouverte en C
Note: Noté sur le plan vue 19 (fol. 44v)., menant à une deuxième salle dotée d’éléments d’architecture, dont des colonnes libres et des ornements dorés. Les murs sont couverts de boiseries, mais entièrement blancs, avec des moulures dorées, mates et polies
Note: Le dessin et l’exécution du décor sculpté sont dus à Robert Le Lorrain, assisté des sculpteurs François Le Prince et Alexandre ou Charles Rousseau. Cf. Friedrich 2006, p. 58-59.. Les autres pièces sont recouvertes de tentures ; les lambris font tous 3 pieds 4 pouces ou 3 pieds 1/2 de haut ; les autres cabinets sont presque tous lambrissés avec des ornementations dorées et joliment sculptées. Les fenêtres sont fermées par de grands volets, et le travail est excellent, que ce soit celui des serruriers ou des menuisiers, en particulier pour les serrures des portes. Les portes font presque partout 12 pieds de haut, dans la grande salle elles font 13 pieds de haut et 6 de large. J’ai montré tout cela en détail dans mon dessin, auquel j’ai ajouté des cotes pour qu’on puisse s’en inspirer.
Puis, avant-hier, je suis allé à Lunéville ; ici, j’ai également trouvé trois passages égauxNote: Neumann parle du passage en forme de portail situé dans l’axe central du château de Lunéville. Il semble comparer ces trois ouvertures avec l’arcade se trouvant entre les deux salles de l’étage noble au château de Saverne. qui se ressemblent tous, ornementés de quatre simples colonnes libres allant du sol à la corniche ; l’escalier ne fait que 9 piedsNote: Neumann veut dire « 9 pieds de large ». et comporte aussi 57 marches. Le corps de logis est court et entre les ailes ne compte que neuf fenêtres.
Les maîtres des lieux sont ici et, hier soir, j’ai encore parlé à Monsieur von Pfütschner et transmis le compliment de Votre AltesseNote: Neumann laisse entendre que le duc Léopold Ier de Lorraine et sa famille sont présents à Lunéville..
[17][44]{r}[44]{r}Il souhaiterait faire sa cour ce printempsNote: Le baron Karl von Pfütschner souhaiterait présenter ses respects à Johann Philipp Franz von Schönborn. accompagné de plusieurs chiens de chasse et après une longue conversation il m’a demandé si j’avais sur moi les plans de la résidence ; ce à quoi j’ai répondu que je les avais, que je voulais bien les lui montrer et qu’il pouvait les présenter aux propriétaires des lieux ; je lui ai donc laissé les plans le soir et ai rendez-vous ce matin. Je conterai respectueusement à Votre Altesse ce qui s’est passé, mais le ferai de Paris.
Sinon, à
Nancy, la
résidence en construction
Note: Cf. Boffrand 1745, p. 47-49, et pl. X : « Façade sur la cour du Palais de Nancy » (voir la reproduction dans les Collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA) ; pour plus de détails sur l’historique de la construction, voir Friedrich 2006, p. 61, n. 71 ; Franz 2010, p. 11. est d’une qualité et d’une richesse bien supérieures qu’à
Lunéville : il y a ici cinq portails d’entrée et une cour avec des colonnes dégagées et deux balcons superposés, les colonnes étant toutefois simples, alors que dans la
résidence de
Votre Altesse elles sont jumelées, ce qui a toujours suscité l’approbation ; j’espère, si Dieu le veut, que mon voyage se déroulera bien.
Sur ce, je demeure à vie, avec tout mon respect,
de
Votre Altesse,
le très humble et cher serviteur,
Balthasar Neumann
Nancy, le 21 janvier de l’année 1723
[18][45]{r}[45]{r}[19][45]{v}Addendum 16 – encart a[45]{v} [20]{r}46{r}Note: Le 7 février 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
J’informe très respectueusement Votre Altesse que, depuis que je suis arrivé à Paris il y a quelques jours, j’ai tout d’abord pris le temps de visiter les lieux, en commençant par les grands bâtiments : j’ai vu les églises, aussi bien du dehors que du dedans, tout comme de nombreux palais non seulement de l’extérieur mais aussi dans leur distribution intérieure, ce qui fait que je peux m’en faire une meilleure idée et les rendre d’autant plus intelligibles ; hier matin je suis allé à Versailles, et après avoir vu Sa Majesté prendre son repas ainsi que la reine par la même occasion, j’ai visité la galerie et l’appartement donnant sur le côté où se trouve le bel escalier principal, et continué ma visite autant que le temps me le permettaitNote: Neumann ne décrit pas plus en détail le château de Versailles probablement parce que son maître Johann Philipp Franz von Schönborn connaissait déjà les lieux. En effet, en 1698, Schönborn avait été envoyé en ambassade extraordinaire afin de présenter à Louis XIV les félicitations de la cour électorale de Mayence pour la conclusion des traités de Rijswijk. Cf. Friedrich 2006, p. 66, n. 88. ; ensuite, je suis allé à Marly où j’ai vu la machine en fonction dans le fleuve, et l’acheminement de l’eau sur les hauteurs.
[21]{46v}J’ai été surpris par la nuit, si bien que je suis retourné à Versailles, et qu’aujourd’hui, dimanche matin, j’ai parcouru le jardin et toutes ses parties,
puis j’ai transmis à Son Éminence la lettre remise par Monsieur von Roth ; là, on m’a dit que Son Éminence voulait me parler. Comme l’heure était déjà arrivée où le roi se rendait à la chapelleNote: Neumann utilise le terme « église » (« Kirche »), mais il s’agit de la chapelle royale de Versailles. pour assister à la messe, et qu’il y avait foule de chevaliers, prélats et chanoines, je n’en ai pas eu l’occasion. Dans la chapelle, le roi, du parterre, et la reine, depuis le célèbre petit oratoire de la tribune, écoutaient la musique de la messe ; à la fin de la messe le roi a légèrement pâli et s’est quelque peu senti mal, et l’on est de suite venu lui porter assistance avec un onguent et d’autres remèdes, cela n’a duré que le temps de deux ou trois Pater Noster. Puis il est sorti de l’église et il s’est trouvé tout de suite mieux,
[22]47
{r}47{r}et à midi il a déjeuné en public ; pour ma part, je suis allé chez l’infante d’Espagne ou infante-reine qui déjeune aussi en public ;
j’ai de nouveau passé l’après-midi dans le jardin et je suis allé à Trianon. Là, j’ai examiné de près le bâtiment de l’intérieur et de l’extérieur, et j’ai aussi inspecté les jeux d’eaux.
Le soir, je suis allé voir le marquis de Livry, à qui j’ai transmis le compliment de Votre Altesse ; il a eu la grâce de m’accorder un long entretien ; il se souvient très bien de Votre Altesse et se recommande très humblement à elle ; il m’a offert de m’aider là où je le lui demanderais, et de me faire visiter d’autres appartements que ceux du roi et d’autres encore en y affectant quelqu’un pour ce faire. En ce qui concerne
[23]{47v}Son Éminence le cardinal de Rohan, je dois continuer à guetter le moment opportun.
Demain lundi j’irai encore à Marly pour y visiter les jardins et tout ce qu’on peut y voir. Je trouve bien des choses qui sont fort utiles ou qui me semblent désormais plus faciles que par le passé, par exemple je saurai désormais exactement comment composer des colonnes libres avec architrave et corniche, si le besoin de faire des galeries et des colonnades se présentait et, à ce jour, je n’ai pas rencontré de difficultés à voir ce que je voulais.
J’ai aujourd’hui l’intention de retourner à Paris, où j’ai dessiné une voiture pour 4 et 2 personnes ; mais comme il n’a pas été possible de revenir si vite de Versailles, et comme je n’ai pas le dessin sur moi,
[24]48
{r}48{r}je l’enverrai très respectueusement par la poste ; et puis je vais me mettre à la recherche du jeune Monsieur von Reigersberg, de Mayence, et faire sa connaissance, puisqu’il a reçu de Son Altesse le prince-électeur de Mayence la mission de faire fabriquer une voiture à Paris. Je vais m’informer pour savoir comment on construit un carrosse et chercher de bons dessins, et j’en achèterai un qui soit déjà fabriqué, ayant déjà servi et d’un prix raisonnable ; je ne sais encore rien là-dessus, mais, sans vouloir présumer de mon humble position, j’ai déjà commencé à chercher de bons systèmes de suspension avec des ressorts en acier pour les voitures de grande et de moyenne dimension, ainsi que des toits, des portes, des pièces de ferronnerie, des poignées, des harnais et des rênes, et à partir de ces éléments je vais faire fabriquer une voiture qui pourra servir de modèle.
Après avoir fait cette semaine le tour de ce qui existe, je vais commencer à travailler
[25]{48v}avec les architectes et leurs collègues, et je pense, si Dieu le veut, avoir beaucoup de travail pendant un mois jusqu’au 10 ou 12 mars, pour arriver à un résultat qui corresponde à vos intentions. Je crois aussi pouvoir obtenir d’ici un passeport garanti, qui me permettra, si Votre Altesse a la grâce de l’ordonner, de rentrer en passant par les fortifications des Pays-Bas. Cela ne me causera aucune difficulté ni ne me demandera d’effort particulier, je saurai bien agir selon nos vues et de manière adaptée, ou bien je suivrai une autre route, si Votre Altesse l’ordonne ainsi.
J’ai remarqué ici cent choses faites en marbre blanc, des statues, des vases, des éléments d’architecture et d’autres choses de ce genre, mais je vois
[26]49
{r}que la plupart ont des veinures et des taches grises, je vais faire la connaissance des maîtres artisans d’ici pour savoir de quelles carrières proviennent ces marbres ; j’imagine que c’est parce qu’on a aussi d’autres carrières de marbre blanc près de Gênes et dans ses environs, par lesquelles on se laisse souvent tromper ; en revanche, quand on a recours au marbre suffisamment fin de Gênes, le résultat est assez beau ; il y en a d’ailleurs beaucoup, et c’est pourquoi je veux examiner tout cela de plus prèsNote: Au dos de la lettre de Neumann du 17 février, se trouve une lettre de recommandation rédigée en italien par Henry Davenant, envoyé britannique auprès de la Ville libre de Francfort de 1715 à 1723, et adressée à Don Bartolomeo Mariconi, consul général de l’empereur à Gênes. Davenant y demande à Mariconi d’indiquer au prince-évêque de Wurtzbourg les personnes qui en Italie pourraient – tel le sculpteur génois Giovanni Baratta – l’aider, entre autres, à se procurer du marbre. On ne sait toutefois pas pourquoi cette lettre de recommandation de Davenant se trouve dans la correspondance parisienne de Neumann avec son maître Johann Philipp Franz von Schönborn, d’autant que l’architecte ne fait nulle part allusion à Davenant dans ses lettres. Voir à ce sujet notre introduction aux lettres de Neumann, dans la rubrique « La source » de la présente édition numérique.. Sinon, j’ai noté nombre d’autres choses, et je ne passe pas une seule heure dans l’oisiveté.
Sa Majesté le roi se rendra le 15 de ce mois avec toute la Cour à Paris pour entrer au Parlement pour la première foisNote: Neumann se réfère au lit de justice tenu par Louis XV à sa majorité au parlement de Paris, le 22 février 1723 ; cf. Antoine 1989, p. 134-135 ; Mormiche 2018, p. 347-348. ; les préparatifs sont en cours
et il restera 5 jours à Paris ;
[27]{49v}ensuite il retournera à Versailles, où il restera. Monsieur d’Iberville est également à Paris, je me rendrai chez lui.
Sur ce, avec le plus grand respect, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Versailles, le 7 février de l’année 1723
Mon adresse est, telle que je l’ai indiquée dans ma lettre du 1er passéNote: La lettre du 1er février n’a pas été retrouvée ; cf. Friedrich 2006, p. 63. Dans sa lettre du 17 janvier, Neumann exprime son intention de s’installer dans l’hôtel des Ambassadeurs, rue de Tournon ; cf. vue 13 (fol. 42v)., attenant à l’hôtel de Tournon chez M. Graides, barbier à la foire Saint-Germain.
[28]{r}(1850{r}15/2 23.Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
J’aurais bien envoyé mon très humble rapport à Votre Altesse par la poste de mercredi ; mais je n’avais pas eu assez d’informations de Son Éminence le cardinal de Rohan, car j’ai dû attendre jusqu’à aujourd’hui,
et après avoir été lundi dernier pour la deuxième fois à Marly et avoir vu la machine à eau s’y trouvant, l’avoir étudiée de fond en comble et pris des notes à son sujet,Note: Neumann est probablement retourné à Paris le lundi 8 février 1723.
je lui ai rendu très humblement visite mardi Note: Neumann est retourné au château de Versailles le mardi 9 février 1723.. Après un certain temps, il m’a demandé si j’avais les plans sur moi, dont Monsieur le général von Roth avait parlé dans sa lettre, annonçant qu’il s’agissait des plans de la nouvelle résidence de Wurtzbourg, j’ai répondu très humblement par l’affirmative et les lui ai remis sur-le-champ ; Son Éminence s’est attardé longtemps sur ceux-ci, et bien qu’il y eût les chiffres, il a pris son compas et examiné les détails ; il a alors dit que cela serait un beau et grand bâtiment, et a ajouté que ce serait dans le goût italien, notamment pour les fenêtres de l’entresol ; comme entre-temps j’avais transmis le compliment de Son Éminence princière, le cardinal de Spire,
[29]{50v}il me remercia et rajouta : « Monsieur le cardinal de Schönborn est mon bon ami ». Son Éminence princière de Bruchsal avait certes eu la bienveillance de me faire savoir qu’il écrirait à Son Éminence le cardinal de Rohan, mais il a apparemment omis de le faireNote: Le cardinal Damian Hugo von Schönborn, prince-évêque de Spire, fournira plus tard cette lettre de recommandation, comme il le relate de Bruchsal dans sa lettre du 9 mars 1723 à son frère Johann Philipp Franz von Schönborn ; cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1037a, p. 798-799.. Après cela, il m’a dit que si je le désirais, il pouvait faire venir les architectes du roi afin qu’ils pussent me donner leur avis là-dessus, et il m’a demandé de venir jeudi dernier Note: Durant son entretien à Versailles le mardi, 9 février 1723, que Neumann résume ici, le cardinal de Rohan lui demande de revenir de Paris à Versailles le jeudi suivant, 11 février, pour une première entrevue qu’il a arrangée avec l’architecte du roi Robert de Cotte afin de lui présenter les plans de la résidence de Wurzburg. Cette rencontre est évoquée dans les lignes qui suivent. En mentionnant cette date, Neumann se situe par rapport à la date où il rédige sa lettre, soit le lundi 15 février, d’où l’emploi de l’expression « Donnerstag passato », en français « jeudi dernier ».. Je suis alors allé à Paris, et j’ai pris avec moi le reste des plans ; et comme on me l’avait ordonné, je suis venu lui présenter bien humblement mes hommages : Son Éminence avait eu l’obligeance de demander à Monsieur de Cotte l’Ancien de bien vouloir donner son sentiment là-dessus ; j’ai donc présenté et expliqué le tout. Son Éminence a ordonné à son valet de chambre de rester avec nous et d’expliquer ce que je n’arrivais pas à exprimer en français, car Son Éminence ne parle pas l’allemand. Après que Monsieur de Cotte et son fils, qui possède des qualités égales à son père, ont examiné les plans, ils ont dit que visiblement beaucoup d’éléments étaient faits à la manière italienne et qu’il y avait quelque chose d’allemand.
[30]51
{r}Monsieur de Cotte ajouta cependant que comme la demeure était très grande, il n’y avait certes rien à dire sur son bâtiment principal, mais que l’escalier était trop étroit et trop petit, de même pour l’autre appartement donnant sur le jardin ; les deux premières pièces après la salle étaient trop petites et il faudrait réunir la seconde à la première pour en faire une seule ; il ajouta que la salle d’audience était bien faite, mais que la chambre et le cabinet et donc tout le pavillon devraient former un grand cabinet, ce qu’il a indiqué à la mine de plomb, et encore d’autres remarques, et il me dit que quand il dessinait quelque chose à la mine de plomb c’était parce qu’il voulait y indiquer ses idées. Je répondis aussitôt que je ne manquerais pas de faire sans tarder deux plans. Nous en sommes restés là et avons convenu que dès que je les aurais exécutés et les lui aurais remis, nous pourrions travailler dessus. Son Éminence dit que ce serait la meilleure solution, m’offrit également du papier et s’est montré très enthousiasmé.
Je retournai aussitôt à Paris, j’ai remis la lettre de Monsieur von Ritter à son frèreNote: De 1716 à 1717, Anselm Franz et son frère cadet Heinrich Valentin von Ritter zu Groenesteyn avaient entrepris le Grand Tour ensemble en passant par Paris. Heinrich Valentin était resté dans la capitale française pour parfaire sa formation, tandis qu’Anselm Franz était retourné à Mayence. Neumann a probablement remis une lettre de l’aîné à son frère cadet. Cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1029, p. 786, n. 1., et j’ai pensé que lui ou quelqu’un d’autre pourrait m’aider contre rémunération ; mais ce dernier m’a dit qu’il était occupé à réaliser un plan à la peinture à l’huile et qu’il n’avait personne à disposition ; je n’ai donc pas fait de long procès et pendant la nuit j’ai confectionné deux plans
[31]{51v}et les ai apportés à
Versailles, où j’ai à nouveau parlé à
Son Éminence, et j’ai transmis ces plans à
Monsieur de CotteNote: Le fonds Robert de Cotte conserve quatre plans de la résidence de Wurtzbourg (Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1193-1196 ; cf. Fossier 1997, p. 658-659, section 359, n° 1193-1196) : deux grandes feuilles du rez-de-chaussée et du premier étage certainement de la main de Neumann, qu’il aurait dessinées la nuit et sur lesquelles le premier architecte du roi a apposé ses propositions (n° 1195 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr, n° 1194 voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr) ; et deux plans plus récents de Neumann intégrant les modifications issues des discussions avec ses homologues français (n° 1196 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr ; n° 1193 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr).. Mais comme on lui avait donné l’ordre d’aller à
Paris et qu’il devait y aller le même jour, il a été très poli et m’a dit qu’il voulait travailler là-dessus avec moi à
Paris, et donc je l’ai suivi de
Versailles à
Paris, ce dont j’ai auparavant informé
Son Éminence, qui m’a fait la grâce de me répéter pour la deuxième et la troisième fois que je n’avais qu’à exprimer mon souhait de voir telle chose ou telle personne et qu’elle m’aiderait en tout, et donc qu’il n’était pas nécessaire de prendre des engagements par ailleurs ; je vais donc suivre ses conseils qui me conviennent très bien, et il me tient à cœur à partir de maintenant que je fasse d’abord comme cela sans oublier le reste, car je veux concentrer mon attention tout d’abord sur le projet principal, et dès que cela sera terminé, je vous enverrai bien humblement le dessin de la chose.
Et si, sans vouloir présumer de mon humble position, Votre Altesse ou Son Éminence le prince-évêque de Bruchsal avaient l’intention d’envoyer une lettre, je pense que Son Éminence s’en réjouirait grandement. Je déclinerai toute obligation envers Monsieur de Cotte ainsi qu’envers Monsieur le cardinal de Rohan jusqu’à ce que je reçoive d’autres ordres de Votre Altesse.
[32]52
{r}52{r}Vous trouverez ici le dessin
Note: Cf. vues 34 et 35 (fol. 56r et 56v). d’une chaise pour quatre personnes et pour deux personnes quand on ôte l’avant, comme je l’ai indiqué. Je me suis renseigné : il y a beaucoup d’autres voitures ici pour les
ambassadeurs d’Angleterre et
d’Espagne, et aussi pour
celui de l’empereur. En raison de mes travaux actuels, je n’ai pas pu encore aller les voir, mais dans mon prochain courrier je vous en enverrai mon très humble rapport. Cette pratique de passer par une banque est communément celle qui est la plus répandue ici, et facile à mettre en œuvre.
La santé de Sa Majesté le roi est rétablie, il va prendre demain encore un peu de médecine et donc il ne viendra pas le 15 à Paris, on pense qu’il fera le voyage le 23 ; on n’en est cependant pas encore certain.
J’ai entre autres, comme j’en avais eu l’occasion, montré les plans de
Mannheim à
Monsieur de Cotte, mais il ne s’est pas attardé longtemps dessus, il a secoué la tête et n’a fait aucun commentaire. Après avoir fini mon travail, je montrerai les plans à
Monsieur de Boffrand pour entendre son avis, étant donné que non seulement
Monsieur von Erthal, mais aussi du côté de
NancyNote: Voir la lettre du 21 janvier 1723 : en Lorraine, Neumann avait rencontré le duc Léopold Ier et le baron von Pfütschner ; cf. vues 16 et 17 (fol. 43v et 45r)., on m’a recommandé d’aller le voir. Mais je ne le ferai pas maintenant, afin de ne pas semer la confusion et que
Monsieur de Cotte ne l’apprenne pas ; j’ai donc gardé les lettres sur moi, puisque
Monsieur de Boffrand est le premier architecte
[33]{52v}de Nancy ; Son Altesse royale à Nancy m’a cependant dit en aparté que ce n’était pas Monsieur de Boffrand qui était le meilleur architecte mais bien M. de Cotte et son fils ; je pense donc m’être adressé à la bonne personne, et M. de Cotte a offert à M. le cardinal de Rohan d’écrire et de tenir la correspondance nécessaire, et les idées qu’il pourrait avoir sur ce projet seront soumises au bon vouloir de Son Altesse de Wurtzbourg, qui pourra choisir et suivre ce qu’elle voudra parmi ces propositions ; il a offert son savoir de façon désintéresséeNote: De Cotte ne s’attend pas à être payé pour ses services, mais, dans un tel cas, il est d’usage d’offrir un présent honorifique, en particulier à un personnage de son rang..
Sur ce, en me recommandant très humblement à
Votre Altesse, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 15 février de l’année 1723
Votre Altesse me pardonnera la brièveté de ma lettre, je loge toujours à la même adresse.
[34][53]{r}N° 1
[35]{[53v]}N° 2
(ad)addendum 19 – Encart B [36](19. [...] Encart a-c[54]{r}
53{r}N.Note: 17 février 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
Je rapporte humblement à
Votre Altesse que je me suis tantôt informé discrètement et avec précision sur les carrosses et leur équipement ; ce faisant, j’ai appris entre autres choses qu’un
ambassadeur d’Espagne, le duc d’Osuna, cède 4 voitures parmi lesquelles un grand carrosse d’apparat, que je m’en vais vous décrire davantage et dont je vous envoie ci-joint un croquis avec sa largeur, sa hauteur et sa longueur, ainsi qu’un coupé pour 2 personnes, fort beau et richement doré à l’or fin, avec un intérieur en velours de Gênes
Note: L’expression « geschnittener Samt » (velours découpé ou taillé) désigne très probablement du velours de Gênes, terme que Neumann utilise lui-même dans les légendes du dessin de la vue 40 (fol. 57r). rouge, les portes et le plafond sont bordés de point d’Espagne de 3 1/2 pouces de large, le centre et les quatre angles du plafond en sont également couverts tout comme les coussins à l’intérieur, au pourtour orné de franges dorées de 6 1/2 pouces de long, l’étoffe des sièges est couverte de point d’Espagne et enrichie de passementerie comme l’intérieur du carrosse. Tout l’extérieur de la voiture est richement doré et orné de peintures. L’arrière et l’avant sont entièrement dorés, les protections des suspensions, boucles et rênes sont de belles proportions et façonnées avec soin, comme neuves, constituant 2 harnais ; la voiture inclut 3 vitres, une à l’avant et une par porte. Sans harnais, elle coûte 5 000 francs, à savoir 946 thalers allemands.
[37]{53v}La troisième voiture est une berline ou un coche pour 4 personnes, avec 6 harnais, l’ensemble est bien entretenu et d’un bel aspect, avec de nombreuses boucles de harnais dorées, et, comme il convient, 7 fenêtres ou vitres, un intérieur tapissé de velours rouge à liséré ajouré de 3 pouces de large et le plafond bordé de franges dites pendantesNote: La traduction de ce passage a nécessité une part d’interprétation (« die franßen inwendig umb den krantz mancieren, welche wie mann sagt her auß gestohlen sein »).. Tout est réalisé avec soin et la garniture des sièges est ornée de passementerie, comme le pourtour du plafond. Le prix s’élève à 4 000 francs sans le harnais, et à 5 000 francs avec le harnais. Sans trop présumer de ma position, je pense pouvoir obtenir le coupé avec ses 2 harnais pour 5 000 francs. En ce qui concerne la première voiture, dont je vous ai tout d’abord respectueusement entretenu, elle correspond à mon esquisse imparfaite où j’ai précisé les dimensions, n’est ni trop grande, ni incommode, sans être trop petite, elle dispose d’un équipement soigné, et elle n’aurait pas servi plus de 5 fois, si bien que tout est très propre et en fort bon état, ce qui, sans vouloir présumer de ma position, correspond parfaitement au dessein de Votre Altesse. Le harnachement a été envoyé en Espagne, mais je réussirai bien à obtenir des modèles pour les boucles et les brides ; le prix de la voiture est estimé à 10 000 francs, c’est-à-dire 1 886 thalers allemands et 14 batz 1/2,
[38][55]{r}5{4r}une somme que Monsieur Kornmann de Strasbourg peut m’envoyer à Paris par lettre de change.
Ces 3 voitures sont remisées chez deux selliers, en nantissement d’une créance de 6 000 francs chez l’un, et de 9 000 francs chez l’autre. Votre Altesse aura l’obligeance, à la première occasion, de bien vouloir me donner les ordres nécessaires pour acquérir l’une ou l’autre voiture, et de me fournir une lettre de change par l’intermédiaire de Monsieur Metzler à Francfort qui la transmettra à Strasbourg à la compagnie Kornmann, laquelle la remettra à Monsieur Kornmann, banquier rue Saint-Martin à Paris. J’espère que je pourrai négocier l’achat avec de l’argent comptant, y compris le transport jusqu’à Strasbourg ; et de là, sans présumer de mon humble position, je crois pouvoir faire embarquer le tout par voie d’eau jusqu’à Wurtzbourg, et pour ce qui est du reste (suspensions, protections et autres choses de ce genre), je pourrai les acheter séparément, d’autant que j’en vois tous les jours des exemples.
Monsieur de Cotte a de nouveau été appelé à Versailles et il rentrera ce samedi à Paris, il a les plans que je lui ai fournis sur lui, je vais donc attendre son retour. J’ai également fait connaissance des lissiers et j’ai visité leur manufacture, où l’on trouve des tapisseries de toute beauté, mais qui m’ont paru très coûteuses, je vais donc tâcher de m’informer davantage.
[39]{54v}Je suis à la recherche de menuisiers et de décorateurs. Pour ce qui est du travail des stucateurs, je n’ai pas encore trouvé grand-chose, hormis, dans certaines maisons, des corniches et bas-reliefs de belle facture. Si Votre Altesse a d’autres gracieuses commandes à me soumettre, je saurai chaque jour accroître mes connaissances.
Le temps hivernal n’empêche pas de tout voir des jardins, sauf qu’à
Versailles je ne peux assister aux jeux d’eau, ce que pourtant je ne dédaignerais pas
Note: Il semble que Neumann essaie ici de persuader son maître de consentir à une prolongation de son séjour à Paris, car les fontaines de Versailles n’étaient pas remises en eau avant Pâques. Neumann aura finalement l’occasion de voir les fontaines en action le 13 avril 1723, soit deux jours avant son départ de Paris ; cf. vue 102 (fol. 97v). ; et comme
Votre Altesse m’a ordonné de rentrer vers Pâques, j’agis en conséquence, en attendant sa décision en réponse à cette lettre, jusqu’à quoi j’aurai beaucoup à faire.
Sur ce, en me recommandant très humblement à
Votre Altesse, je demeure à vie,
de Votre Altesse
le très humble
Balthasar Neumann.
Paris, le 17 février de l’année 1723
[40]Addendum 19 - encart o[56]{r}Note: Il s’agit du carrosse d’apparat dont il est question au début de la lettre du 17 février 1723 ; cf. vue 36 (fol. 53r).A
de chaque pommette au-dessus de la toiture en cuir des rinceaux en laiton repoussé convergent tous vers le centre où se trouve une grande pommette ajourée et dorée
A
le pourtour de la toiture en cuir est de plus orné de solides cordons
vitre
vitre
vitre
B
7 pieds de haut
5 pieds 8 pouces de long
14 pieds 4 pouces d’un essieu à l’autre
petite roue
grande roue
B une petite bordure au point d’Espagne fixée par des clous enfoncés quatre par quatre souligne toutes les parties en cuir
A intérieur du plafond avec un motif contourné esquissé ici, fait de crépinesNote: Le terme crépine désigne un large galon de passementerie ajourée. ou d’épais rinceaux rapportés, les plus étroits de 3 pouces, ainsi qu’en forme de rosettes ou rosaces en or massif, disposées tout autour en rang serré, comme indiqué en b-
et puis des franges de CardisanNote: On ignore la signification de ce terme., lourdes franges en épais fils d’or tressés larges comme longs de 5 1/2 pouces
A
velours
feuillage
rosaces
5 1/2 pouces
franges
rinceaux dorés
toutes les finitions en or
point d’Espagne
vitre
4 pieds 2 pouces de large
tout le fond est doré et orné de grotesques joliment peints
feuillages dorés et rayons
Profil présentant l’intérieur du carrosse ; le tout revêtu de velours de Gênes rouge ;
les coussins intérieurs avec des franges ;
et toutes les coutures, bordures et ornements en galons et en passementerie
Présentation d’un carrosse d’apparat cédé en l’état, fort beau avec toute la menuiserie joliment ornée de sculptures, le tout doré, y compris les rayons et les jantes des roues avec des rinceaux sculptés et dorés. Toutes les courroies sont rouges et aux extrémités proprement taillées en pointes au niveau des boucles en métal ; les protections de suspension sont assez belles ; le tout est bien proportionné, abondamment et bien doré, revêtu de velours rouge ; monté sur des essieux en fer, tout le carrosse est neuf.
Le siège du cocher est aussi proprement fait que le plafond du carrosse, avec les mêmes ornements, franges
crépinesNote: Le terme crépine désigne un large galon de passementerie ajourée. dorées
feuillage découpé sur les attaches en cuir et les boucles.
[41]{r}NNote: Le 24 février 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
Je continue humblement mon rapport à Votre Altesse. Je me suis rendu directement chez Son Éminence le prince cardinal de Rohan et chez Monsieur de Cotte, Note: Neumann se rend de Paris à Versailles le mardi 23 février 1723. qui poursuit son travail sur les plans ; après quoi, il y retravaillera avec moi, et je pourrai exprimer mes objections ou lui dire ce qui peut se faire ou non. Mais je dois être patient, car le temps de Monsieur de Cotte est très précieux, et il est en permanence chez le roi. Je suis donc le plus souvent chez Son Éminence, qui me traite avec beaucoup d’obligeance et veut presser la chose. Son Éminence m’a également dit qu’elle ferait tout ce qui était de son possible et qu’elle y mettait un point d’honneur. Je lui ai répondu que nous n’avions pas le temps de tout faire, et qu’il n’était pas non plus nécessaire de tout mettre au propre, et c’est bien ainsi que nous allons procéder ; je vous enverrai mon rapport là-dessusNote: Neumann rentre de Versailles à Paris le mardi 23 février 1723 au soir..
Sa Majesté le roi a été lundi 22 au Parlement accompagné d’un train superbe ; le soir, on a tiré un feu d’artifice
[42]{64v}en ville, à l’Hôtel de Ville. Demain, toute cette société s’en retournera à Versailles.
Je me suis informé avec précisions sur les voitures dont je vous ai très humblement entretenu dans mon précédent rapport ; leur coût est de 17 000 francs. Quels que soient les désirs de Votre Altesse, qu’elle me dise ce que je dois faire et me fasse savoir quels sont ses aimables ordres.
Je ne manquerai pas d’y consacrer mon temps, mon zèle et ma peine, sur ce, en me recommandant très humblement à Votre Altesse, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et cher serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 24 février de l’année 1723
[43]{r}N.(22. - [...] encart a.Note: 1er mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
Je ne manquerai pas de rapporter à Votre Altesse ce que j’ai trouvé ici dans nombre de belles maisons depuis mon dernier et très humble rapport ; Votre Altesse a souvent eu l’obligeance de d’évoquerNote: Son maître Johann Philipp Franz von Schönborn connaissait déjà Paris. En effet, en 1698, Schönborn il avait été envoyé en ambassade extraordinaire afin de présenter à Louis XIV les félicitations de la cour électorale de Mayence pour la conclusion des traités de Rijswijk. Cf. Friedrich 2006, p. 66, n. 88. le raffinement et le caractère fort ordonné des appartements et des cabinets. Ce qui est le plus au goût du jour, et que ces éminents Messieurs préfèrent, ce sont les boiseries, les pièces étant entièrement lambrissées, avec divers panneaux, ainsi que des rinceaux sculptés parfois accompagnés de mosaïqueNote: Neumann écrit « mosaique » en allemand ; le terme, en usage à l’époque, est à comprendre au sens de « treillage » ou de « croisillons ». et dorés sur un fond entièrement blanc ; les cheminées sont toutes en marbre avec au-dessus de grands miroirs, et il y a des miroirs partout où l’on peut en mettre sans créer de désordre. Des consoles sont adossées aux trumeaux ; à titre d’exemple, une console en demi-lune dorée et ajourée, de même les grands lustres qui ne sont pas seulement de verre ou de cristal, mais faits à la toute dernière mode en laiton doré, tout comme les appliques assorties aux lustres et au reste du décor. Les lits les plus élégants sont la plupart du temps précédés de colonnes,
[44]{66v}dorés et ceints d’une balustrade également dorée, qu’on trouve actuellement plus au goût du jour que les tapisseries, même si j’en ai vu beaucoup et que j’en verrai encore d’autres. Je suis donc en train de dessiner toutes celles que je ne peux trouver sous forme de gravure.
On m’a demandé de revenir demain à Versailles, où je vais examiner à nouveau les plans avec Monsieur de Cotte ; j’ignore s’il est aussi connu en Allemagne qu’ici, mais je le trouve assurément de très bon conseil, tout comme son fils ; son titre, que l’on m’a indiqué, est : Monsieur de Cotte, écuyer, conseiller du roi en tous les Conseils, contrôleur général des Bâtiments, jardins et manufactures de France. Je vais tenir un conseil sur les constructions chez Son Éminence. Il m’a souvent répété que, par la suite, Votre Altesse pourra à sa guise s’inspirer, plus ou moins largement, de ses projets et dans huit jours, j’enverrai à ce sujet une relation complète à Votre Altesse et je reporterai les modifications au crayon ; ce serait une bonne chose si, pendant ce court laps de tempsNote: Autrement dit, le temps limité pendant lequel Balthasar Neumann restera encore absent de Wurtzbourg., on pouvait ne pas trop avancer sur la maquette en ce qui concerne l’agencement intérieur.
J’ai également trouvé un bon tapissierNote: Le contrat d’engagement du tapissier à la cour de Wurtzbourg est daté du 27 décembre 1723 ; Jean-Jacques Gillet demeurera le reste de sa vie à Wurtzbourg. Cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103. qui a travaillé à un lit de velours rouge, richement galonné et brodé de feuillages, ainsi qu’à des fauteuils et autres tapisseries, il a aussi, me semble-t-il, exercé en d’autres endroits, et ce que j’ai vu et appris sur lui ne m’a, pour le moins, pas fait mauvaise impression, il parle aussi allemand mais
[45][67]{r}c’est un Français de Besançon, ville qui se trouve à 40 heures de Paris en direction de Strasbourg ; il prend 600 francs par an, ce qui correspond à environ 100 thalers allemands, plus les frais. Il faudrait que je lui avance aussi les frais du voyage et, s’il donne satisfaction à Votre Altesse, il est décidé à rester de façon permanente en Allemagne et dispose ici aussi de bonnes relationsNote: Neumann parle de « connaissances » (guthe Conesance en allemand) au sens de « réseaux ».. Si Votre Altesse devait me faire la faveur de prendre une décision pour les voitures, je pourrais voir comment m’arranger pour qu’elles l’accompagnent. Je travaille encore à trouver des serruriers, des sculpteurs et des décorateurs.
J’ai vu de nombreux fabricants de pièces de harnais en métal et j’ai visité leurs ateliers, mais j’attends les ordres de Votre Altesse, pour savoir si je dois prendre les mêmes modèles que ceux qui sont déjà sur les voitures. Je me suis également enquis de la fabrication de cheminées, j’en ai vu nombre de fort belles, que je pourrais me procurer. J’ai réfléchi à la manière de pouvoir les transporter, et si le temps est trop court pour aller cette fois-ci aux Pays-Bas, je laisserai mon laquais, en qui j’ai toute confiance, pour s’occuper des affaires à transporter, et je poursuivrai mon voyage par cheval de poste.
Monsieur von Pfütschner de Nancy, par la lettre close que je vous joins, a rappelé à mon souvenir un homme très habileNote: Sur le protégé du baron von Pfütschner, le jeune paysan Valentin Jamerey-Duval, natif d’Ardenay, près de Champagné, dans les environs immédiats du Mans, cf. Friedrich 2006 (p. 61, n. 70) et Lüsebrink 2016., ainsi que Votre Altesse pourra le lire elle-même, je l’ai vu en personne et lui ai parlé, et je peux vous assurer que tout est vrai et attesté, et qu’on en tirerait de bonnes choses. Et si Votre Altesse, sans vouloir présumer de ma position, souhaitait le voir,
[46][67]{r}il se tiendrait à la disposition de Votre Altesse. D’après Monsieur von Pfütschner, vous lui accorderiez une grâce, car il est l’instigateur de cette démarche et a déjà beaucoup versé de ses propres deniers pour avoir l’honneur de servir Votre Altesse. Votre Altesse voudra bien accéder à ma demande, sachant qu’ordinairement je n’aime pas l’importuner avec ce genre d’affaire ; sinon rien de bien neuf ne s’est passé ici. Après en avoir terminé avec Versailles, je passerai la semaine suivante à visiter des demeures à la campagne.
Sur ce, en me recommandant très humblement à votre Altesse, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, 1er mars de l’année 1723
Ici c’est déjà le printemps et tout est en train de verdir, et on construit déjà partout comme en été.
[47][68]{r}[68]{r}Addendum 22 - encart aComme vous m’avez fait entendre lors que vous étiez ici que de tems en tems vous aurez l’honneur d’écrire de paris à S. A. Monsgr l’Eveque et Prince de Wurzebourg j’ay cru me pouvoir servir de votre canal pour demander une grace à sa dite Altesse. j’ay ici aupres de moy un jeune homme agé de 24 .ans. natif d’ardenay en champagne que j’ay trouvé étant à la promenade avec nos princes dans un bois ou il gardoit des vaches l’aiant examiné et reconnû en luy une heureuse disposition pour les Sciences s’y étant appliqué de lui même sans guide et sans autre Secours que des livres ramassés chez les uns et les autres, et tout paisan et gardeur de vaches qu’il etoit me parlant avec assurance de l’histoire profane et sacrée, de la Geographie,
[48][68]{v}de l’astronomie, de la Geometrie et autres j’ay iugé qu’il ne falloit pas laisser perir un talent aussi heureux parmi les betes sauvages, que ne sortant quasi ni jour ni nuit des bois enseveliroit ce tresor pretieux que Dieu lui a donné s’il n’étoit secondé par quelqu’un pour etudier par methode ce que iusqu’à lors il n’a fait qu’avec irregularité en confondant les differentes Idées de plusieurs Sciences sans y voir clair ni sans les pouvoir bien developper faute de guide – ie l’ay dont retiré des bois et l’ayant eu aupres de moy pendant 6 à 11 mois. j’ay tout aussitôt decouvert en lui que ie ne m’etois pas trompé dans mon entreprise car ce jeune homme à fait en peu de tems un progrès prodigieux dans la latinité, si bien qu’en trois ans de tems il avoit fini sa rethorique à l’université du Pont à Mousson aiant remporté des prix dans toutes les classes dans cet intervalle je l’ay envoyé à Paris ou il à fait connoissance avec plusieurs de l’Academie des sciences qui l’ont tous admiré sur la solidité de Son esprit et de ses raisonnements sur les questions
[49][69]{r}[69]{r}les plus difficilles à resoudre. je puis dire qu’a present il n’y a gueres de faits historiques qu’il ne sache, il possede sa Philosophie moderne sur les nouvelles decouvertes et experiences faites en france et en Angleterre. l’histoire des medailles et de l’antiquité est son fort. Il parle bon latin et l’ecrit encore mieux en un mot ce jeune homme étant sans vice ni defaut et ne faisant consister son bonheur que dans une etude et application continuelle deviendra surement quelque chose de grand en fait de science – et s’il trouve les moyens d’apprendre l’Allemand et l’Italien, il u aura de quoy faire un jour un de plus fameux Bibliothecaires de l’Europe. car dés à present on ne peut gueres parler de science telle que [...] ce puisse ètre, qu’il n’en connoisse les meilleurs autheurs. qu’ont écrit sur telle et telle matiere. Il m’a temoigné que sa vocation étoit pour l’État ecclesiastique il doit commencer son cour de Theologie et que les 2 premier{e}s annees il souhaitteroit
[50][69]{v}de les passer dans quelque université d’Allemagne pour apprendre en même tems la langue. en suite de quoy il pourroit achever sa theologie à Rome et apprendre l’italien – ce pourquoy Mre j’ay voulu vous prier de demander à Son Altesse de vouloir accorder à ce jeune homme une place dans son Seminaire à Wurzebourg pour deux ans peut-être auroit il par là le bonheur de se faire connoitre à de S. A. qui par rapport à Son merite pourroit ou l’accommoder dans la suite chez elle ou lui faire sa fortune ailleurs par sa haute protection je vous demande en graces Mre de vouloir vous interesser pour mon éleve bien persuadé que S. A. ne regrettera pas les bontés qu’Elle aura envers lui – quand Elle en verra le bon éffet – j’ay vous prie d’être persuadé que personne ne peut être plus parfaittement que moy Monsieur.
Votre tres humble et trés Obeissant serviteur
de Pfütschner
à Nancy. ce. 16me fevrier 1723
à M
re neumann
[51](23{r}N.Note: Le 8 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’aurais bien envoyé très humblement à
Votre Altesse, avec la poste partie den
mercredi, ce qu’elle trouvera ci-joint, mais cela n’a pas été possible, car, le
mardi 2 au matin, on m’a mandé à
Versailles, où je me suis rendu chez
Monsieur de Cotte afin de travailler avec lui aux plans, ce que nous avons fait ; j’ai regardé les plans, fait part de mes objections et dessiné sur de nombreux sujets, et j’ai rappelé quelle était l’opinion de
Votre Altesse sur tel ou tel aspect, en particulier à propos des petites cours sur lesquelles on a, à mon sens, trop empiété et des cabinets ajoutés en plus de celui de la garde-robe
Note: Il s’agit des plans du rez-de-chaussée et du premier étage dessinés par Neumann et retravaillés par Robert de Cotte (Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1195 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr ; et n° 1194 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr) ; cf. Fossier 1997, p. 658-659, section 359, n° 1195 et 1194. ; en outre, un autre plan a été dessiné avec une grande et longue galerie donnant sur le jardin d’en bas
Note: Neumann parle ici du jardin côté sud., la grande salle ovale et les deux pièces adjacentes, dont une devait accueillir la bibliothèque, ont été supprimées, et les deux pavillons ont été transformés en deux cabinets, tout comme à
Versailles, face au jardin ; l’un des escaliers a été conservé, et, à la place de l’autre, se trouve l’église
Note: Neumann se réfère probablement à l’un des deux autres plans de sa main intégrant les réflexions de Robert de Cotte ; ces feuilles sont également conservées dans le fonds Robert de Cotte (Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1196 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr et n° 1193 : voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr ; cf. Fossier 1997, p. 658-659, section 359, n° 1196 et 1193..
Comme j’ai reçu par la poste d’avant-hier, le 6, les premières lettres du conseiller Fichtel,
[52]{70v}je vous envoie un plan à la mine de plomb de l’étage principal, où Votre Altesse voudra bien voir les intentions de l’architecte. La raison pour laquelle mon dessin n’est pas achevé et mis au net est la suivante : Son Éminence le prince, ayant demandé à voir les plans et projets de Monsieur de Cotte, il fut donc décidé d’apporter tous les plans le mercredi 3 mars à Son Éminence Monsieur le cardinal et pendant une heure nous avons tenu conseil sur la construction. Mais comme j’avais vu les plans avant Son Éminence et que je ne voulais pas me retrouver soudain seul à réfuter Monsieur de Cotte, j’ai profité de l’occasion pour en parler auparavant à Son Éminence et lui expliquer pro informatione ce que Votre Altesse souhaiterait voir ; c’est donc ce qui s’est passé, et en présence de beaucoup d’autres messieurs, en particulier d’un comte von SalmNote: D’après Lohmeyer 1911, p. 55, n. 56, il pourrait s’agir ici du comte Franz Wilhelm von Salm-Reifferscheid (décédé en 1734) ou de l’un de ses deux fils. Le cadet, Franz Ernst (né en 1698), était chanoine de Strasbourg, et donc proche du cardinal de Rohan qui était aussi évêque de Strasbourg. qui parlait aussi allemand, j’ai donc pu faire comprendre à Monsieur de Cotte qu’il lui faudrait modifier ses plans. Il a dit qu’il s’agissait d’un bien grand édifice et qu’il fallait beaucoup l’étudier, et cette semaine, je crois dimanche, comme je retournerai de nouveau à Versailles, on me remettra les deux plans, ainsi que l’élévation donnant sur le jardin. Ce faisant, j’espère que ce samedi 13 je recevrai de
[53]71
{r}71{r}Votre Altesse une nouvelle lettre avec ses dernières intentions afin de savoir comment il me faut agir dans cette affaire, et si je peux, à cette occasion, exprimer mes remerciements et prendre congé ; je m’étonne moi-même que
Son Éminence le cardinal de Rohan se donne tant de mal
Note: En tant que suffragant, le prince-évêque de Strasbourg était subordonné à l’archevêque métropolitain de sa province ecclésiastique, en l’occurrence celui de Mayence, Lothar Franz von Schönborn. Cela explique les relations étroites qu’entretenaient les Rohan et les Schönborn. Cf. Hansmann 1986, p. 37 ; Friedrich 2006, p. 55. Dans sa lettre du 15 février 1723, Neumann rapporte que le cardinal de Rohan déclare être un ami du cardinal Damian Hugo von Schönborn, prince-évêque de Spire ; cf. vue 29 (fol. 50v). De son côté, Lothar Franz von Schönborn, prince-électeur et archevêque de Mayence, dans une lettre du 19 mai 1723 adressée à son neveu Friedrich Karl, vice-chancelier de l’Empire à Vienne, loue le cardinal de Rohan pour avoir mis en contact Neumann avec Robert de Cotte et Germain Boffrand. Cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1065, p. 833-834. En outre, Verena Friedrich pense que le cardinal de Rohan a entretenu des liens amicaux avec le duc d’Antin, directeur des Bâtiments du roi ; cf. Friedrich 2006, p. 55. Le cardinal de Rohan était aussi en étroite relation avec Robert de Cotte, qui, depuis 1712, travaillait à l’aménagement de son château à Saverne et, à partir de 1727, à la construction du palais épiscopal de Strasbourg..
Monsieur de Cotte a également modifié l’élévation sur le jardin
Note: Deux élévations de la façade sur jardin de la résidence de Wurtzbourg provenant de l’atelier de Robert de Cotte ont été conservées. Elles divergent principalement par le nombre de travées des pavillons d’angle, dont Neumann réduira finalement la saillie. L’une est à Berlin, Staatliche Museen - Preußischer Kulturbesitz, Kunstbibliothek, HdZ 4682 ; cf. Krause 2009, p. 196, ill. 50. L’autre se trouve à Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (C, 16)-FT 6, n° 1197 voir la reproduction sur Gallica.bnf.fr ; cf. Sedlmaier/Pfister 1923, p. 30, ill. 30 ; Fossier 1997, p. 658-659, section 359, n° 1197. : au lieu de l’attique au-dessus de la grande salle il a dessiné un dôme octogonal, a supprimé de même l’attique donnant sur la cour d’honneur, et placé le fronton sur des colonnes libres ; il n’y a pas lieu de s’inquiéter du poids de l’ensemble, car, ici et comme ailleurs, on voit beaucoup d’exemples semblables ; la façade sur jardin, face au bastion, n’a que des fenêtres en plein cintre au rez-de-chaussée et, à l’étage, des fenêtres à linteaux en arc avec, au-dessus, les fenêtres de l’étage-attique
Note: En allemand, Neumann utilise ici le terme allemand « metzan » (orthographe moderne : Mezzanin) qui, à l’inverse du « mezzanine » français, peut désigner non seulement un demi-étage intermédiaire ou entresol, mais aussi un étage-attique. Or, dans le plan à trois niveaux proposé par Robert de Cotte, nous avons bien affaire à un étage-attique. Cf. Pérouse de Montclos 1988, p. 41-42, n° 22 et 23. ; mais il me faut céder car ces Messieurs les architectes ne me suivent pas en tout
Note: Neumann n’appréciait pas l’élévation tripartite proposée par Robert de Cotte., et je considère que c’est en définitive à
Votre Altesse d’approuver telle ou telle chose, et que c’est là le moyen d’avoir les plans des Français ; comme l’a dit
Monsieur de Cotte, peu lui importe : à
Votre Altesse de décider, selon son bon plaisir, de garder beaucoup ou peu d’éléments. J’ai parlé avec ses gens, qui sont de fort bons architectes, et l’assistent dans ce travail, et j’ai l’intention de leur donner à chacun une pièce de 5 ducats que j’ai apportée tout exprès ; les plans
[54]{71v} définitifs vont être arrêtés, je ne peux reprendre les modifications dans mes plans, d’autant que tout ne recevra pas l’approbation de Votre Altesse, et je ne les ai pas encore en main ; je ne les recevrai que le 14.
J’ai vu ici ce que souhaitais en matière de serrures, il me sera facile d’en faire réaliser des copies, et si je peux m’en procurer de toutes faites parmi les meilleures, j’en apporterai une. J’ai maintes fois assisté à des travaux de serrurerie, mais les serrures et leurs ferrures ne disposent pas de tout ce à quoi j’aspire ; je voudrais en composer une qui réunirait les nombreux éléments que j’ai vus, et, si j’en ai encore le temps et l’occasion, j’en ferai réaliser plusieurs selon mes instructions. Je vais également faire faire des modèles réduits de chaises et de lits. J’ai vu des appliques et des chenets de toute beauté, et j’en ai choisi chez les maîtres artisans, de même pour les grands lustres, de la plus belle facture, en métal ciselé et doré, ou ceux qui sont en verre, et j’ai pensé procéder ainsi : si Votre Altesse est fermement décidée à acheter les voitures et n’envisage de me faire parvenir davantage d’argent, ce manque de ressources, alors qu’il me faut aussi poursuivre mon voyage, m’interdira d’acheter tout ce que je souhaite, car ces objets dorés coûtent de 500 à 800, voire 4 000 francs ; mais je pourrai toujours commander tout cela plus tard par écrit,
[55]72
{r}conformément aux ordres que j’aurai reçus de Votre Altesse. J’ai déjà acheté beaucoup de gravures sur cuivre de toutes sortes, dont celles de Berain qui se présentent comme celles de MarotNote: Neumann semble faire référence à des gravures d’ornements et d’architectures de Daniel Marot, que son maître Johann Philipp Franz von Schönborn possédait déjà ; cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 797, n. 2..
Sinon je n’ai pas de nouvelles particulières de Versailles. Le roi va bien, j’ai été déjà cinq fois sur place, et j’ai vu plusieurs demeures de campagne comme Saint-Cloud, Meudon, Issy et d’autres semblables, mais je trouve que tout est plus beau ici à Paris, seule la manière d’agencer les jardins et de distribuer les bâtiments valait la peine d’être vue. C’est une bonne chose de travailler à clore le jardin par des mursNote: Neumann évoque ici ses projets d’aménagement extérieur pour la résidence de Wurtzbourg. ; et le jardin reçoit l’approbation de tous, ainsi que le réservoir d’eau sur le bastion, chose que j’ai vue principalement à Versailles et où j’ai pu remarquer qu’en cas de nécessité, on construit un très grand réservoir en dehors de la ville, qui permet de faire tout ce qu’on veut, ainsi que je l’ai déjà exposé très humblement à Votre Altesse ; je vous ferai parvenir mes explications et j’assure Votre Altesse que je veux étudier la chose jusqu’aux fondations et que je ne ménagerai pas les pourboires pour tout examiner en détail et pouvoir prendre mes mesures sur place. Comme il me sera de toute façon difficile de recevoir ici de nouvelles instructions de Votre Altesse en réponse à cette lettre et que
[56]{72v}je vais devoir commencer mon voyage de retour par la Hollande, et si Votre Altesse devait entre-temps me faire la grâce d’envoyer des instructions, je me permets, sans présumer de ma position, de lui recommander d’adresser le courrier à la poste principale, pour qu’il y soit conservé jusqu’à ce que je puisse le chercher, ce dont Monsieur le conseiller Fichtel est informé, après les consignes qu’il m’a aimablement transmises, conformément aux ordres de Votre Altesse.
J’ajoute très humblement qu’il y a ici un autre tapissier, un Franconien, dont j’ai fait la connaissance dès mon arrivée ; j’ai encore et encore observé sa façon de travailler, il possède de beaux cartons qu’il réalise lui-même ici depuis trois ans, pour des lieux de qualité, en les composant à la française ; il a été à Vienne, et veut à présent se rendre en Hollande et en Angleterre, où il désire passer une année ou plus. Je lui ai donc indiqué ce qu’il lui fallait observer et dessiner en priorité, c’est, soit dit en passant, un cousin du tailleur de la cour de Wurtzbourg ; quoi qu’il en soit, je le trouve aussi très bon, et au cas où l’autreNote: D’après Freeden (1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2), Neumann fait ici allusion au tapissier Johann Thomas qui avait été embauché à Wurtzbourg en 1721. ne resterait pas toujours auprès de Votre Altesse, celui-ci viendrait alors certainement à Wurtzbourg, ce qui, je le crois, serait une bonne chose.
Sur ce, en me recommandant très humblement à Votre Altesse, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
.
Paris, le 8 mars de l’année 1722Note: Neumann a fait une erreur : il s’agit de l’année 1723.
[57]24{r}{r}N.Note: Le 10 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’ai reçu il y a deux heures seulement par l’intermédiaire de Monsieur le conseiller Fichtel et Monsieur RöscherNote: Il s’agit certainement du contremaître Röscher, selon Freeden (Freeden 1955, vol. 2, n° 1038, p. 799, n. 1), qui rectifie l’identification de Lohmeyer (Lohmeyer 1911, p. 56, n. 14). les aimables ordres de Votre Altesse, et je vais m’empresser de les exécuter. Pour ce qui est du temps et des occasions concernant au premier chef les plus hauts intérêts de Votre Altesse et de l’évêché, j’y consacrerai tout ce que j’ai de peine et d’attention et mon souci quotidien sera de ménager tout ce qui sera possible. En premier et second lieu, je vais respectueusement rendre visite à Son Éminence le cardinal de Rohan puis au marquis de Livry, en troisième intention, sachant que Son Excellence Monsieur von Sickingen doit apporter les plans de Mannheim, j’espère obtenir une copie des plans de Saverne par l’intermédiaire de Son Éminence le prince. En ce qui concerne les chaisesNote: Les chaises (« chesen » dans l’original allemand) désignent ici les carrosses., Votre Altesse a dû relever plusieurs choses dans mes précédents rapports, et j’ai depuis rencontré les meilleurs maîtres artisans, ce que je continue à faire tous les jours.
En quatrième lieu, je ne manquerai pas de faire plus ample connaissance avec Monsieur d’Iberville, à qui j’ai déjà transmis le compliment de Votre Altesse, et qui lui offre tous ses services ;
[58]{73v}cinquièmement, je vous enverrai bien humblement le prix pour la garniture d’or, d’argent et de soie, de même que le dessin avec les mesures ; Monsieur von Reigersberg a seulement été chargé de la commission d’envoyer la garniture dorée, je vais encore voir le modèle que je vais acheter et je vous l’enverrai bien humblement avec d’autres choses.
Sixièmement : en ce qui concerne divers cabochons, boutons, ferrures de portes, appliques, chenets, dont j’ai parlé dans mes lettres précédentes, j’en ai choisi chez les maîtres artisans et je les prendrai non dorés pour partie, afin qu’on puisse en reproduire la forme et que l’or ne s’abîme pas.
Septièmement : en ce qui concerne le marbre blanc, je suis allé déjà par moi-même en voir beaucoup, mais, à chaque fois, j’ai trouvé que celui qui est très pur et très blanc est un choix risqué, comme le montrent les statues et les vases à Versailles et à Paris.
En huitièmement, j’ai appris bien humblement par votre lettre que
Monsieur le conseiller Fichtel devait retourner au pays ; il partira donc d’ici le
28 ou le
29 ; mais auparavant, je vous enverrai le tout, avant le
samedi de Pâques, par la voiture de
Strasbourg et
FrancfortNote: L’envoi sera effectué le 26 mars 1723 ; cf. vue 77 (fol. 85r) et vue 81 (fol. 55r)..
Neuvièmement : par la poste d’avant-hier, je vous ai entre-temps envoyé un plan, où Votre Altesse voudra bien prendre une idée en considération ; quant au plan entier avec la façade sur jardin,
[59]74
{r}je ne le recevrai que dimanche, si dans l’intervalle rien ne vient retarder Son Éminence le prince et Monsieur de Cotte, et en ce qui concerne Monsieur de Boffrand, je saurais bien maintenir l’équilibre nécessaire, afin d’éviter toute jalousie. Votre Altesse voudra bien me faire la grâce de leur laisser du temps, car je ne saurais les presser, en revanche, je disposerai de tous les plans pour connaître leur avis, ainsi jeudi 12, je suis invité chez Monsieur de Boffrand pour en discuter ; cependant, comme l’un est toujours ici et l’autre à Versailles, je n’ai pu jusqu’alors vous envoyer respectueusement d’autres plans. J’ai protesté de la volonté de Votre Altesse de ne pas modifier l’emplacement de l’église, et, en second, de ne pas en réduire la taille, il m’a répondu qu’il souhaitait mener ses premières idées à terme tout en voyant ce qu’il était possible de faire et qu’il y aurait là des choses que Votre Altesse saurait agréer.
Dixièmement : l’escalier d’honneur a des marches trop étroites, qui sont de 11 pieds 9 pouces de large, son emplacement devrait donc être agrandi, pour lui donner plus de place ; je pense vous en envoyer les plans ainsi que les autres dans une huitaine de jours.
Onzièmement : la disposition du jardin a été approuvée
[60]{74v}par les architectes, mais j’irai quérir encore d’autres avis. Quant au bassin sur la terrasse qui récupère l’eau en permanenceNote: Notre proposition de traduction de « perme », ils ne le trouvent pas bon, et voudraient en créer un qui soit d’un meilleur effet. Ils n’aiment pas vraiment qu’on plante des arbres en terre, y compris devant la petite cour, mais ils ont dit que si Votre Altesse l’exigeait, il faudrait alors placer en face de belles salles ou une galerie ; en ce qui concerne l’agrandissement du salon de musique, comme le montre le plan ci-joint, je remettrai aussi la question sur le tapis. Cela peut se faire sans problème.
Douzièmement, je vous enverrai très respectueusement les dessins des fenêtres de la chapelle au plus tard lundi, les tailleurs de pierre ont suffisamment de travail avec les pavillons et l’église.
Il y aura beaucoup à faire et je ne veux pas retarder mon voyage afin d’être fin avril ou début mai à Wurtzbourg. En ce qui concerne les arcades et la façade de la cour, sans présumer de ma position, je ne veux pas trop précipiter les choses en attendant, car cela ne se fera probablement pas sans de nombreux changements ; ce sera la même chose pour, treizièmement, l’orangerie,
et, quatorzièmement, je vous ai déjà écrit en ce qui concerne l’agrandissement de la salle faisant face au monastère Sainte-AfreNote: Il s’agit de la salle ovale, au centre de l’aile latérale sud de la résidence en construction, orientée vers le monastère Saint-Afre, à l’autre extrémité du jardin latéral sud..
[61]75
{r}75{r}Les fourneaux et la cuisineNote: Il s’agit du quinzième point que Neumann omet de numéroter. ont certes leur place ici, mais à un autre endroit ils auraient eu plus de lumière, les plans finaux vous montreront à quoi cela peut ressembler.
Seizièmement : beaucoup de gens vont m’être utiles et m’aider, notamment pour continuer à entretenir ma relation avec Monsieur de Cotte, quand Votre Altesse aura pris connaissance de certaines de ses idées et voudra bien écrire à Son Éminence le prince.
Dix-septièmement : j’éviterai les jalousies et ne m’y laisserai pas entraîner.
Dix-huitièmement je vais, de concert avec Monsieur le conseiller d’Iberville, tout faire dans ce sens, et j’espère qu’avec le premier ou le second courrier de Votre Altesse je recevrai son obligeante décision en ce qui concerne les voitures, et j’organiserai également mes achats, ce dont je m’entretiendrai avec Monsieur d’Iberville. Il me sera difficile de recevoir d’ordre répondant à cette lettre ou à mon prochain courrier, mais, jusqu’à mon départ, je continuerai à remplir humblement mon devoir,
sur ce, en me recommandant très humblement à
Votre Altesse,
je demeure à vie,
de Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 10 mars de l’année 1723
[62]25{r}{r}Note: Le 15 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
Le 13, j’ai bien reçu de Votre Altesse ses aimables ordres du 3 mars ainsi que la lettre de change de Monsieur le chanoine Storneck d’un montant de 25 000 livres pour l’achat des trois voitures. Je suis donc sur le point de conclure le marché, j’ai consulté hier pour la deuxième fois Monsieur d’Iberville et plusieurs autres personnes, et il n’y a plus d’obstacle, si ce n’est que j’aimerais conclure le marché à un meilleur prix. Monsieur d’Iberville, ayant reconnu hier qu’il n’était pas la personne idoine pour juger des objets et de l’affaire, je n’ai pas voulu m’engager seul, j’ai sollicité encore plusieurs conseils, et j’ai trouvé une autre paire de beaux harnais à la dernière mode. Ils veulent me céder le tout pour pas plus de 20 000 livres sans les harnais ; 10 harnais coûtant 1 000 livres, j’en aurai au total pour 21 000 livres, j’en serai sûr dans quelques jours. La somme restante sera pour acheter de beaux modèles de cheminées, d’autres harnais de voitures, des fauteuils, des canapés et des appliques, et tout ce que je jugerai bon d’acheter, dans des proportions raisonnables, et je ferai expédier le tout par Strasbourg et Mayence.
Je joins à cette lettre quelques plans,
[63]{76v}et Votre Altesse voudra bien voir les conclusions et réflexions de Monsieur de Boffrand. Ce n’est pas encore un travail achevé, il s’est rendu à la campagne à Châlons, et reviendra après-demain ; il m’a proposé de nombreux services, et afin de me conserver son obligeance, son appui et la possibilité de travailler avec lui, et pour que Votre Altesse ne soit obligée en rien envers lui, je veux lui offrir quelques menus présents en proportion afin de pouvoir continuer à travailler avec lui, sans qu’il y ait de jalousie.
En raison des lettres que vous m’avez envoyées, je n’ai pu aller avant-hier à Versailles, mais cela se fera aujourd’hui, et après je pourrai envoyer par la prochaine poste à Votre Altesse mon humble rapport sur les autres idées de Monsieur de Cotte. Sur les plansNote: Il s’agit des plans dessinés par Germain Boffrand., la dernière cour est devenue plus petite et carrée, mais il dépendra du bon vouloir de Votre Altesse qu’on ne fasse pas la grande salle de billard et ne laisse que le large couloir derrière l’escalier. L’enfilade passant par la galerie et les grands salons n’a pas mauvaise allure,
[64]77
{r}77{r} mais l’on doit dès lors aussi modifier le jardin, ainsi que le montre le plan ci-joint, lequel n’est pas totalement arrêté à cause des fontaines. Face au jardin on a la façade, et
Votre Altesse daignera voir vers quoi tend le goût des architectes
Note: Neumann désigne ici Germain Boffrand et ses assistants.. En ce qui concerne l’autel dans la
chapelle privée,
il n’a rien trouvé à améliorer, et cela a été approuvé par tous ; l’autel est fait, à la manière de
Versailles et de
Notre-Dame , en plomb et bronze doré. Il a été trouvé très bien de mettre en valeur les épitaphes dans les deux ovales
Note: Boffrand prévoyait de construire une chapelle composée d’une nef rectangulaire avec, dans son prolongement, un chœur de plan ovale, dont le grand axe était perpendiculaire à cette nef. Le maître-autel était placé au centre du grand axe. Les épitaphes évoquées ici devaient se trouver, quant à elles, aux deux extrémités de l’ovale, de part et d’autre de l’autel. Cf. Boffrand 1745, p. 91-96 et pl. LV-LX ; ici pl. LV : « Residence [sic] de Wurtzbourg en Franconie Plan du Rez de Chaussée [sic]. », n° 17 : « Chapelle » (voir la reproduction dans les Collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA). ; les dessins seront aussi exécutés par
Monsieur de Boffrand. Ce sont les deux meilleurs, les autres sont d’un moindre calibre. De plus, les mêmes
Note: Neumann désigne ici Germain Boffrand et ses assistants. ont trouvé bon d’omettre l’attique hormis sur la façade principale de la cour d’honneur
Note: À Wurtzbourg, Boffrand introduit un grand étage-attique sur la seule façade principale du corps de logis de la résidence, mais pas sur celle des deux ailes en retour ; cf. Boffrand 1745, p. 91-96 et pl. LV-LX ; ici pl. LVII : « Facade [sic] du Palais de Wurtzbourg du coté [sic] de la cour » (voir la reproduction dans les Collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA)., ainsi que les quatre petits chefferons, car l’attique et les deux chefferons
Note: Le terme « chefferon » utilisé par Neumann n’ayant pas pu être identifié, nous avons pris le parti de le conserver. Le terme technique « chevron » ne fait pas sens dans ce contexte. pour ainsi dire se mangent et que sur cette façade, qui inclut aussi l’escalier, il ne faut pas mettre de fenêtres latérales, lesquelles seraient trop petites, mais plutôt des arcades comme le montre le plan ; et, sur les quatre colonnes dégagées des deux pavillons,
[65]{77v}il faudrait poser tout l’entablement et l’architrave, la frise et la corniche, qui doivent alors faire tout le pourtour de la cour d’honneur, sans être interrompus par les fenêtres de l’entresol, tout comme sur la façade donnant sur le jardin ; en revanche, ilsNote: « Ils » désigne Boffrand et son atelier. n’approuvent pas les petits chefferonsNote: Le terme « chefferon » utilisé par Neumann n’ayant pas pu être identifié, nous avons pris le parti de le conserver. Le terme technique « chevron » ne fait pas sens dans ce contexte. ronds, et ils n’aiment guère l’accumulation de colifichets. On a approuvé la suppression du chiedelangeNote: Le terme « chiedelange », utilisé par Neumann, n’ayant pas pu être identifié, nous avons pris le parti de le conserver. rond, et l’on pourrait prendre sur la petite cour la lumière dont on a besoin pour l’entresol, ou mezzanine du corps de logis face au jardin ; je veux poursuivre mon voyage aussitôt que possible et arriver fin avril ou début mai à Wurtzbourg, conformément à vos très aimables ordres.
Sur ce, en me recommandant très humblement à
Votre Altesse,
je demeure à vie,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
.
Paris, le 15 mars de l’année 1723
[66]78
{r}P.S. : En ce qui concerne l’église, tout le monde préfère la présence d’éléments d’architecture, y compris sur la partie inférieure, et j’ai ajouté que dans la chapelle de Versailles il y a aussi des arcades en bas, ce à quoi on m’a alors répondu qu’on avait dû le faire en raison de la faible hauteur, et que c’est pour cela qu’on y avait mis tant de bas-reliefs et de sculptures. La salle faisant face au monastère est maintenant suffisamment grandeNote: Il s’agit de la salle ovale, au centre de l’aile latérale sud de la résidence en construction, orientée vers le monastère Saint-Afre, à l’autre extrémité du jardin latéral sud., et afin que, pour se rendre à la musique ou tout autre événement, Votre Altesse n’ait pas à passer par un couloir ouvert en raison du rétrécissement de la cage d’escalier, on y a placé le grand salon, qui peut aussi être divisé en deux pièces, et on a agrandi l’enfilade des pièces, ce qui a également été approuvé ; la cuisine aura plus de lumière sur le jardin que sur les cours, car le sol des cours est plus haut que le sol des jardins et les fenêtres des sous-sols ne peuvent pas être plus hautes.
[67](26{r}Note: Le 16 mars 1723
Note: Voir les informations relatives au carrosse ci-après
Note: Nous remercions M. Dieter Wunder de Bad Nauheim en Allemagne pour sa proposition de transcription.
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’envoie mon très humble rapport à Votre Altesse : je me suis rendu lundi après-midi à Versailles, avec l’intention d’aller chercher les plans chez Monsieur de Cotte, mais cela n’a pu se faire car il était absent, se trouvant pris ailleurs ; c’est pourquoi je n’ai pu vous envoyer humblement quoi que ce soit de lui. Vous trouverez ci-joint le dessin de l’extérieur des fenêtres de l’égliseNote: Ce dessin ne se trouve plus aujourd’hui dans la correspondance., qui a été approuvé ici, bien qu’on ait débattu des fioritures sous le rebord de la fenêtre, mais j’ai expliqué qu’il fallait prendre en considération le fait qu’il y avait aussi des ornementations sur les autres fenêtres de ce côté, et on les y a donc laissées. Les éléments d’architecture sont de toute façon prépondérants, les jambages sont indiqués en B, mais il ne s’agit pas de jambages à proprement parler, parce qu’on y a incorporé des pierres rectangulaires qui peuvent avoir une hauteur double afin de mieux les sceller au mur, ce qui pourrait s’appliquer de même aux fenêtres du haut. Les fenêtres sont faites de cette manière, car elles sont plus larges et les impostes en A sont ainsi mieux faites, déplacées vers le bas, elles ont meilleure apparence et ont été approuvées.
[68]{79v}Le rebord des fenêtres ne doit pas être rabaisséNote: Nous interprétons ainsi le terme allemand « abgrepfen ». contre les joints en D, les impostes sont posées à l’intérieur et à l’extérieur à la même hauteur, sauf que celles qui sont à l’intérieur sont travaillées avec plus de soin. L’autre partie, tout comme l’intérieur de l’église, avec son architecture, a été entièrement approuvée comme il est écrit sous {le dessin}, j’ai eu beau faire remarquer que Votre Altesse souhaitait de temps à autre voir l’église ornée de damas et autres tentures, de sorte qu’on pourrait se passer des colonnes pour la faire simplement avec des arcades et des piliers massifs, mais on m’a répondu que tout ce qu’on y accrocherait ne saurait être aussi beau et précieux que l’architecture ; toutefois, nous ne devrions pas envisager de colonnes libres si nous n’en voulons pas vraiment, en définitive, cela dépendra de la volonté de Votre Altesse. En ce qui concerne la forme, rien n’a été modifié sauf qu’à l’intérieur le chœur est un peu plus arrondi, si bien que sa longueur, au lieu de faire 72, en fait 70Note: L’unité de mesure est probablement l’aune. En revanche il est impossible de savoir si Neumann se réfère à l’aune française ou à celles en usage dans les territoires germaniques. En fonction du lieu, la taille d’une aune peut ainsi varier d’un peu plus de cinquante centimètres à un peu plus d’un mètre..
J’ai conclu le contrat pour les 3 voitures avec en plus de très beaux harnais, 10 en tout, pour un total de 19 600 livres, mais apparemment je ne recevrai pas l’argent de change avant
[69]80
{r}le 31 de ce mois. J’ai négocié trois jours durant avec eux avant qu’ils ne cèdent, je leur laisse préparer le tout et ajouter les franges, et je me procurerai tout ce qu’il faut encore ; avec les voitures j’enverrai aussi une missive au général von Roth, car celui-ci se trouve également à Strasbourg où il a de bons amis, et pourra s’en occuper. Ici se trouve le fils du magistrat Pforden, un compatrioteNote: D’après Friedrich (2006, p. 51, n. 27), il s’agirait du domestique de Neumann qui aurait accompagné l’architecte en France ; cette identification reste toutefois sujette à caution., qui accompagnera le tout, et je conclurai un contrat avec lui pour m’assurer de la chose ; et j’attendrai bien humblement les occasions de faire des emplettes avec le reste de l’argent.
Sur ce je me recommande très humblement à Votre Altesse et demeure,
de
Votre Altesse,
le très humble serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 16 mars de l’année 1723
[70](27{r}81{r}Note: Le 22 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’ajouterai à mon très humble rapport fait à Votre Altesse que j’ai bien reçu la dernière, c’est-à-dire la deuxième lettre de change, et que j’ai pu lire dans le mot de Monsieur Röscher qu’aucune lettre n’est arrivée aux deux jours de poste, je sais que depuis que je suis ici, c’est-à-dire six semaines, il n’y a pas eu plus d’un courrier par semaine, mes déplacements à Versailles en sont la cause, les lettres restant en attente entre les jours de poste ; et, cette semaine, je me suis rendu deux fois à Versailles Note: Entre le lundi 15 et le vendredi 19 mars 1723, Neuman s’est rendu deux fois à Versailles en rentrant le jour même à Paris., la dernière fois j’ai conclu mon affaire avec Monsieur de Cotte qui m’a remis les trois plans. Mais le résultat ne correspond pas complètement à ce que j’avais donné à entendre en présence de Son Éminence le cardinal, et ce à quoi tendaient les intentions de Votre Altesse, et je ne puis plus rien changer ; les plans serviront à en apprécier le goût d’ici, mais j’imagine facilement que Votre Altesse aura beaucoup de réflexions à faire et, en attendant, j’étudierai la chose durant mon voyage. Je ne m’étendrai donc pas ici sur mes respectueuses observations à ce sujet, car Votre Altesse verra tout d’abord elle-même les plans et les copies jointes à cette missiveNote: Ces plans ont aujourd’hui disparu. Cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1041, p. 806, n. 1.,
[71]{81v}chacun des jeux représentant un étage principal de deux manières différentes, l’église ne convenant toutefois sur aucun d’entre eux, avec une élévation de la façade donnant sur le jardin ; vous verrez d’emblée vers quoi tend son opinionNote: L’opinion de l’architecte Robert de Cotte. sur la disposition des lieux ; maintenant que je m’apprête à prendre la route, il est probable, je le pressens aisément, qu’il ne sera pas possible de continuer les travaux de construction envisagés sans certaines modifications.
Monsieur de Cotte s’est montré très courtois lorsque j’ai pris mon congé, et comme il a demandé des précisions sur les titres de Votre Altesse, le lieu et la ville, je lui ai dit, que, pour en savoir plus, s’il voulait bien ne pas mal l’interpréter j’avais sur moi des médailles de 5 ou 6 ducats de Votre Altesse que je souhaitais lui donner, ce que j’ai fait, mais il a protesté qu’il ne voulait pas me voler, j’ai protesté en retour que je n’avais point l’intention de faire autre chose que ce que mon maître lui-même me donnait l’occasion de faire, ce qui me sembla être approprié car ces médailles portent votre portrait, et ses scrupules s’apaisèrent. J’ai également donné quelque chose à ses gens, il a de nouveau offert d’écrire et de répondre, et je lui écrirai pour lui demander ce qu’il serait encore possible de faire.
[72]82
{r}Je n’ai en revanche pas encore fini mes affaires avec Monsieur de Boffrand, et bien que je ne puisse pas avoir de plans de sa part en partie faute de temps, en partie pour éviter toute jalousie, je vais tout de même prendre son avis et écouter ses raisonnements, ce que j’avais déjà bien commencé car j’entretiens avec lui un commerce plus libre et je lui exprimerai toutes mes objections, afin que la construction corresponde davantage aux intentions de Votre Altesse ; je rapporterai le reste bien humblement par oral et, avec l’approbation de Votre Altesse, donnerai mon avis sur la chose.
En ce qui concerne les voitures, nous sommes sur le point de les emballer, et aujourd’hui nous allons conclure le contrat avec les transporteurs. Il y a quelques jours
Son Éminence le cardinal a reçu des lettres de
Son Éminence le cardinal de Spire, ce qu’elle-même m’a appris
Note: Johann Philipp Franz von Schönborn, prince-évêque de Wurtzbourg, avait déjà demandé le 27 février 1723 à son frère cadet Damian Hugo von Schönborn-Buchheim, cardinal de Spire, d’adresser une lettre de recommandation à Armand-Gaston-Maximilien de Rohan-Soubise, cardinal et prince-évêque de Strasbourg (cf. à ce sujet Freeden 1955, vol. 2, n° 1037a, p. 798-799). Damian Hugo devait y annoncer l’arrivée à Paris de l’architecte de Wurtzbourg Balthasar Neumann, et prier le cardinal de Rohan d’introduire ce dernier auprès du premier architecte du roi, Robert de Cotte. Un brouillon de cette lettre à l’ecclésiastique français, non inventorié par Freeden, est conservé aux archives municipales de Wurtzbourg (StadtAW, Zeitgeschichtliche Sammlung, biographische Mappen, Neumann, Briefkonzept). En définitive, la missive a dû arriver trop tard de Spire, car, dès le 11 février, le cardinal présentait Balthasar Neumann à Robert de Cotte ; cf. vue 29 (fol. 50v). Nous remercions Verena Friedrich, de l’université de Wurtzbourg, de nous avoir signalé l’existence de ce document, qui n’avait jusqu’à présent guère retenu l’attention des chercheurs. ; j’ai profité de l’occasion pour l’informer du fait que, sur l’ordre très obligeant de
Votre Altesse, j’avais acheté les voitures du
duc d’Osuna et j’ai parlé du prix, qu’elle a tout à fait approuvé, et par la même occasion nous avons évoqué une autre voiture valant à elle seule 28 000 livres
[73]{82v}et je lui ai dit que la première voiture était un carrosse de grande qualité et allait fort bien avec les autres. La raison de ce prix est que le vendeur avait besoin d’argent et qu’il voulait payer ses dettes. Si l’argent du change m’avait été versé ici sans délai, j’aurais pu partir avant les fêtes, mais je ne recevrai la somme que le 27 et je dois donc user de crédit afin de pouvoir expédier d’ici les voitures avant les jours fériés. Malgré mon humble position, j’ai été fort bien guidé et conseillé, j’ai visité les demeures les plus élégantes, et j’ai également été voir celle de Monsieur le duc d’Orléans où, à côté de nombreux objets rares, on découvre de la peinture ancienne en abondance, je trouve que, dans les décorations des appartements, tout est très beau et de très bon goût, et j’ai acheté nombre de gravures de toutes ces choses.
Sur ce, en me recommandant très humblement à
Votre Altesse, je demeure à vie,
de Votre Altesse,
le très humble et dévoué serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 22 mars de l’année 1723
Je vais adresser les voitures à Strasbourg à Monsieur le résident de Mayence, et par la même occasion j’écrirai à Monsieur le général von Roth, pour que, sans présumer de ma position, il écrive également à Monsieur le résident afin de hâter l’affaire.
[74](28{r}Note: Le 24 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
Répondant aux ordres très gracieux de Votre Altesse, donnés le 13 et transmis le 23 par M. Röscher, je rapporte humblement à Votre Altesse qu’avant vendredi après-midi les trois voitures seront parties d’ici avec tout leur équipement, et elles seront suivies de nombreux objets dont je vous enverrai la liste par la prochaine poste – des chenets avec leurs accessoires de la plus belle sorte, dorés et ou non, de belles appliques à deux feux, dorées ou non, et j’ai pour ainsi dire été obligé, en raison du beau travail et du cadre doré, de prendre le miroir assorti et, de même, des cadres, des fauteuils et des canapés non dorés, et ce qui peut servir de modèle aux sculpteurs sur la toute dernière façon dont on réalise ici ces objets ; et comme l’occasion s’est présentée, viendra aussi un tapissierNote: Il pourrait s’agir de Jean-Jacques Gillet, de Johann Andreas Klimpert ou de Johann Thomas, tous trois tapissiers à la cour de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103 (Gillet) et p. 70, n. 108 (Klimpert) ; Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2 (Thomas)., comme je vous l’ai déjà humblement annoncé, accompagné d’un bon doreur, dont j’ai vu le travail et sur lequel on m’a dit beaucoup de bien et que Monsieur de Boffrand juge également habile car il s’y entend aussi bien en dorure sur bois que sur plâtre.
[75]{83v}Il a demandé 1 200 francs par an, mais pour la première année j’ai pu négocier 1 000 francs, laissés à l’approbation de Votre Altesse, j’ai certes trouvé la somme élevée, mais j’ai pu obtenir la possibilité, si Votre Altesse ne voulait plus l’employer, de le remercier à tout moment. C’est un un homme marié ici, de presque 48 ans ; en monnaie allemande, il nous coûterait 190 thalers.
Je suis toujours à la recherche des statues que Votre Altesse a réclamées, mais pour l’instant je n’en ai trouvé que deux, que j’aimerais toutefois plus belles. En ce qui concerne le balcon donnant sur la grande cour, dont je vous avais parlé dans ma dernière missive, je vous en joins ici une vue en perspective et de profil en faisant remarquer que l’architrave posée sur les quatre colonnes libres doit être étendue, comme indiqué en A, et l’entrecolonnement élargi, comme on le voit sur la coupe à la lettre B, afin qu’il y ait assez de place pour les fenêtres de l’entresol et que les proportions ne soient pas trop ramasséesNote: Ces dessins ont aujourd’hui disparu.. La raison principale est de mieux faire correspondre l’ensemble à l’autre façade de la cour d’honneur, ce faisant, on n’aura pas besoin de longues architraves sur chacune des quatre colonnades, comme prévu au début,
[76]84
{r}84{r}et on n’aura pas davantage besoin de poser de longues pierres sur chaque colonnade, mais des pierres de petite dimension assemblées à joints obliques, comme l’indiquent les pointillés ; et si les maîtres artisans n’en réussissent pas bien l’exécution, je sais tout à fait comment procéder, mais on pourrait au moins y poser les chapiteauxNote: L’architrave sera mise en place par Neumann à son retour. En attendant, les maîtres artisans peuvent déjà poser les chapiteaux sur les colonnes.. On pourrait encore attendre un peu avec l’érection des arcades dans la grande cour, comme déjà mentionné dans une précédente et humble relation, car je n’ai pas encore totalement terminé avec Monsieur de Boffrand ; mais je pourrai avancer là-dessus samedi et, aujourd’hui, j’ai beaucoup discuté et réfléchi sur les plans avec lui, je ne laisserai Monsieur de Boffrand ni personne d’autre voir les plans de Monsieur de Cotte afin d’éviter les jalousies. En ce qui concerne la division du jardin en deux parties, que j’avais envoyée une première fois à Votre Altesse, Monsieur de Boffrand l’a approuvée ; en ce qui concerne l’église, en revanche, nous en sommes encore à discuter de son opinion. Je travaillerai donc et ferai ce qu’il sera en mon pouvoir. J’observerai scrupuleusement la date convenue pour mon retour.
Sur ce, très respectueusement, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 24 mars de l’année 1723
[77](29{r}85{r}Note: Le 29 mars 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur
,
Avec cette lettre je joins à Votre Altesse la liste de ce que j’ai pu encore acquérir en plus des voitures et de leurs beaux équipements, dont de beaux chenets, des appliques, statues, miroirs, objets dorés ou non, en bois sculpté et en bronze, en partie pour servir de modèles, et qui sont de la dernière mode et manière de faire : tout ce que, sans présumer de mon humble position, j’ai jugé bon de prendre, afin de pouvoir montrer aux sculpteurs comment procéder, de même des objets fondus et dorés, pour montrer la manière de fixer la meilleure dorure, que ce soit sur du métal ou sur du bois ; et les 3 voitures sont parties d’ici le 26 au soir avec en outre une voiture, où on été chargées 2 caisses, la plus longue contenant des cadres de miroirs dorés et des objets non dorés, la plus petite des objets en verre et des miroirs, 1 caisse contenant 2 crucifix de table dorés et une lourde caisse avec des objets en métal pesant plus de 2 quintaux, ainsi que 2 autres caisses dans lesquelles se trouvent les 10 harnais pour les voitures ; l’ensemble, y compris les calèches, est passé à la douane, a été plombé et devra donc arriver fermé à Wurtzbourg. De plus, le tapissierNote: Il pourrait s’agir de Jean-Jacques Gillet, de Johann Andreas Klimpert ou de Johann Thomas, tous trois tapissiers à la cour de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103 (Gillet) et p. 70, n. 108 (Klimpert) ; Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2 (Thomas). sera accompagné
[78]{85v}d’un doreur, dont j’ai dû vous parler dans mon très humble rapport précédent, et du jeune compatrioteNote: D’après Friedrich (2006, p. 51, n. 27), il s’agirait du domestique de Neumann qui aurait accompagné l’architecte en France ; cette identification reste toutefois sujette à caution., auquel a été clairement indiqué qu’il ne toucherait pas de défraiement de la part de Votre Altesse pour son voyage. Le doreur dont j’ai parlé est également peintre et sait appliquer la dorure sur le bois, le plâtre, le plomb et le métal, d’après les procédés d’ici pour ce qui est de la dorure sur plomb ; il ne parle certes pas un mot d’allemand, mais je me suis renseigné sur sa personne, car ce qui compte est d’obtenir un bon ouvrage ; d’ici mercredi, j’aurai terminé mon travail avec Monsieur de Boffrand et je pense partir d’ici le 1er avril, ou au plus tard le 2 au matin. Avec ce courrier j’ai aussi écrit une lettre à Monsieur Stehling, résident de Son Altesse le prince-électeur à Strasbourg, et précisé tout ce qui allait arriver, et j’ai demandé de prévoir, en attendant, le transport par bateau, afin que tout soit apporté par voie d’eau à Mayence, entre-temps, et pour plus de sécurité, j’ai déjà payé le transporteur à la hauteur de 677, six-cent-soixante-dix-sept livres, dont Monsieur Stehling s’acquittera à la livraison, si bien que le transporteur devra assumer les risques du voyage. J’ai encore nombre de modèles de brides de harnais et de boucles que je ferai suivre, tout cela étant encore en fabrication. Avec toutes ces dépenses, j’ai largement dépassé les 25 000 livres
[79]86
{r}et j’espère que Votre Altesse n’en prendra point ombrage ; j’ai trouvé assez utile de pouvoir faire des copies de tous ces objets afin d’en composer par la suite d’encore plus riches, ce à quoi je m’engage. J’ai bien observé le goût d’ici, et je pourrai l’imiter à la plus grande satisfaction de Votre Altesse.
J’ai été souvent chez Monsieur d’Iberville, mais il a beaucoup de soucis en ce moment et ne pouvait donc m’être d’un grand secours, un marchand de glacesNote: Glaces au sens de « miroirs ». m’a avancé le crédit nécessaire, et, sans vouloir présumer de ma position, Votre Altesse pourra lui envoyer la somme correspondante quand elle le voudra bien, par Monsieur Steitz de Francfort qui la transmettra à Paris à Monsieur Maçé, comme nous l’avons déjà fait par le passé, et elle devra alors être payée à Monsieur GranierNote: Il pourrait s’agir de Charles Granier, miroitier renommé à l’époque (cf. Pozsgai 2012, p. 175, n. 790), ou du « marchand-miroitier » J. Granier qui, depuis 1717, était entre autres le fournisseur de la cour électorale de Bavière (cf. Friedrich 2006, p. 77, n. 132)., marchand Au Carreau royalNote: Il s’agit du nom de l’enseigne. sur le pont Notre-Dame à Paris, à savoir la somme de 6 632 livres conformément à la liste ci-jointe ; avec cette somme, Monsieur Granier devra également payer le sellier ; en attendant, c’est une bonne manière d’éviter que mon voyage ne soit retardé. D’ici mercredi, je vous enverrai de Paris un autre humble rapport, avec tout ce j’aurai pu discuter avec Monsieur de Boffrand. Il trouve l’église encore trop petite
[80]{86v}et voudrait bien l’agrandir sur les deux cours. J’irai demain à Versailles Note: Neumann prévoit de se rendre le mardi 30 mars 1723 à Versailles et de retourner le soir même dans son logis parisien. pour y prendre congé de Son Éminence le cardinal et lui faire mes remerciements. Peut-être verrai-je aussi les jeux d’eaux, les arbres, les jardins dont les fleurs sont ici tout écloses.
Sur ce en me recommandant très humblement à Votre Altesse, je demeure à vie,
de
Votre Altesse,
le très humble et dévoué serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 29 mars de l’année 1723
[81][87]{r}[87]{r}Addendum 19 - encart ALe 17 février 1723 de Paris.
Liste détaillée des frais engagés pour les carrosses et pour l’achat de nouveaux objets en métal pour Votre Altesse, et envoyés d’ici le 26 mars au soir, à savoir
en livres19 600 | | d’après le contrat de vente pour le carrosse et son harnais |
20 | | pourboire |
80 | | à l’écuyer qui a mis une bâche pour une meilleure protection |
700 | | au sellier chez qui se trouvait le grand carrosse, et pour 4 nouvelles roues, des sangles, des cordes, une bâche cirée et l’emballage |
15 | | pourboire |
263 | | pour le nettoyage des harnais et l’ajout de plusieurs nouveaux accessoires |
10 | | pourboire |
583 | | à l’autre sellier pour l’emballage des 2 carrosses |
10 | | pourboire |
28 | | pour les charrons |
492 | | pour les nouvelles franges et les éléments manquants mais déjà prévus |
940 | | taxe versée à la Douane royale |
60 | | provision ; nota bene : le règlement prévoit en outre de payer 1 000 livres |
70 | | pour les bâches et l’emballage des caisses |
6 | | pourboire |
8 | | pourboire pour les charretiers |
12 | | pour plusieurs caisses à transporter conformément au contrat |
890 | | à payer en acompte aux charretiers |
|
23 691 | | livres |
pour les voitures sans les frais que Monsieur Stehling à Strasbourg doit payer aux charretiers d’un montant de 677 livres en outre
180 | | au doreur Monsieur le Preux en acompte |
135 | | au tapissier Note: Il pourrait s’agir de Jean-Jacques Gillet, de Johann Andreas Klimpert ou de Johann Thomas, tous trois tapissiers à la cour de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103 (Gillet) et p. 70, n. 108 (Klimpert) ; Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2 (Thomas). en acompte |
60 | | pour un écran de cheminée en bois |
62 | | pour un canapé |
12 | | pour une partie d’une chaise comme modèle |
5 | | pour le transport jusqu’au domicile |
50 | | pour les fiacres ou les cochers qui m’ont prêté main forte |
200 | | pour différents pourboires aux architectes, paiement non achevé |
650 | | pour différentes gravures |
1 000 | | pour un grand miroir, orné d’un cadre doré |
150 | | pour un autre cadre doré |
300 | | pour 2 crucifix de table dorés |
|
2 704 | | sous-total |
[82][87]{v}750 | | pour une paire de chenets dorés avec des putti et tous leurs accessoires |
150 | | pour les caisses servant à emballer la table, le miroir et le cadre |
430 | | pour 2 lions pour la cheminée, non dorés |
380 | | pour 2 chevaux pour la cheminée, l’un doréNote: Deux chenets en forme de chevaux (non dorés) ornent la cheminée de la « chambre au damas vert » (« Gründamastenen Zimmer ») de la résidence de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 77. |
170 | | pour une paire de pendules rondes et leurs socles |
150 | | pour une paire d’encoignures |
1 456 | | pour 7 statues en bronze |
5 | | pour le transport jusqu’au logement |
60 | | pour 2 bataillesNote: Ces « batailles » sont probablement des bas-reliefs figurant des scènes de bataille. Vu leur prix plutôt modique, il pourrait s’agir de modèles en terre cuite pour des plaques de cheminée., aucune en bronze |
350 | | une paire d’appliques à deux feux dorées à chaud |
450 | | {une paire} d’une autre facture et dorée |
190 | | pour 2 paires de chaises dorées comme modèles |
322 | | pour une paire non dorée |
265 | | pour une paire de harnais de carrosse, avec toutes les pièces métalliques coulées et tous les accessoires de la meilleure façon pour le grand carrosse, et 8 grandes boucles à la dernière mode |
80 | | modèles de sangles pour voitures et de harnais, encore en cours de production, ils arriveront avec l’autre voiture de campagne |
45 | | au banquier pour avoir avancé 8 000 livres quelques jours auparavant |
|
5 247 sous-total |
2 704 sous-total |
2 3681 sous-total |
|
31 632 |
31 632 | déjà dépensées ou somme totale |
25 000 | reçues |
|
6 632
| restent à régler par lettre de change au nom de Monsieur GranierNote: Il pourrait s’agir de Charles Granier, miroitier renommé à l’époque (cf. Pozsgai 2012, p. 175, n. 790), ou du « marchand-miroitier » J. Granier qui, depuis 1717, était entre autres le fournisseur de la cour électorale de Bavière (cf. Friedrich 2006, p. 77, n. 132). marchand au Carreau royal sur le pont Notre-Dame à Paris. |
Sera indiqué à nouveau sur la prochaine facture quand je serai rentré chez moi.
Balthasar Neumann
Paris le
29 mars 1723.
[83](20[88]{r}[88]{r}Note: Le 3 avril 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’envoie encore d’ici mon très humble rapport à Votre Altesse, à savoir que j’ai mis mes affaires en ordre autant que possible et j’ai vu ce que le temps m’a permis de voir ; j’y ai trouvé ce qui me satisfait, et donc aujourd’hui je vais partir d’ici avec Monsieur von Reigersberg pour Cambrai.
J’ai avancé suffisamment mes affaires avec Monsieur de Boffrand, et n’obtiendrai donc presque plus rien de lui sinon ses idées qu’il a seulement indiquées de quelques traits de blanc de plomb ; il a recopié ces annotations au blanc de plomb pour les avoir avec lui et m’a assuré qu’avant que je n’arrive à Wurtzbourg il aurait envoyé plusieurs plans par la poste, car lui-même avait aussi beaucoup à faire. À son avis, premièrement, dans la cour principale, là où se trouvent 7 arcades, il faut faire avancer les colonnes des deux côtés et ajouter un balcon au-dessus, deuxièmement il ne faut faire qu’un escalier principal dans l’entrée, côté gauche, et cet escalier devrait être entièrement ceint d’une galerie, tout comme Monsieur de Cotte l’a déjà indiqué sur l’un de ses plans, et à l’emplacement de l’autre escalier s’ouvre une petite cour, comme c’était déjà le cas, et tout au début une antichambre qui mène à la salle des gardes ; troisièmement la chapelle resterait de forme ovale,
[84][88]{v}mais il y aurait en même temps une longue nef dans le bâtiment intermédiaire entre les cours, comme c’est indiqué par quelques traits à la mine de plomb sur le dessin ci-joint. Les chapiteaux sur les colonnes sont comme dans le modèle, j’en ai sur moi une esquisse de grande dimension dessinée par mes soins ; mais ils ne plaisent pas, car il s’agit de faire des chapiteaux, comme l’exige l’ordre correspondant, avec des rinceaux, et comme rien n’a été fait pour ces colonnes à part les pierres brutes, Votre Altesse aura encore le temps de donner des ordres en conséquence.
Je vais me hâter de faire mon voyage aussi vite que possible et, afin de ne pas perdre de temps, si Votre Altesse me donnait l’ordre d’aller à Amsterdam, je n’irai pas en Angleterre. Avant-hier, j’ai encore été chez Son Éminence Monsieur le cardinal de Rohan, Note: Le jeudi 1er avril 1723, Neumann s’est rendu à Versailles et est pour retourné le jour même à Paris. qui se déclare prêt à rendre service à Votre Altesse autant que son temps le lui permettra, chose qu’il fera avec plaisir, partout où il pourra être utile.
Son Éminence m’a encore demandé de faire savoir à Votre Altesse qu’entre-temps on pouvait acheter ici les carrosses et les chevaux de feu Madame. J’ai vu le tout : la grande calèche fait 7 pieds 10 pouces de long par le milieu et 4 pieds 10 pouces de large et peut contenir 6 personnes.
[85][89]{r}[89]{r}Elle est dorée avec des franges et des motifs en crépineNote: Le terme crépine désigne un large galon de passementerie ajourée., le plafond de l’impérialeNote: L’impériale désigne à l’origine le dessus d’un carrosse en forme de dôme, par extension, le terme désignera plus tard la partie supérieure d’un moyen de transport public (diligence, autobus, wagon de chemin de fer). est tapissé de velours rouge et également décoré de franges, le prix en est cependant de 50 000 livres, avec 8 chevaux noirs aux extrémités grises pour 14 000 francs, en plus 8 chevaux pommelés aux extrémités blanches à 10 000 francs, ce sont tous de grands FrisonsNote: Frißlander désigne une race de chevaux, originaire de Frise (Friesland en allemand). Le nom allemand actuel est Friese et son équivalent français est Frison. de 5 ans, je dirais plutôt 7 ans pour l’un d’entre eux. Les harnais que je vous ai déjà envoyés sont plus beaux. Le premier écuyer, Monsieur le marquis de Poulpry, m’a tout montré et m’a demandé s’il devait espérer un achat de ma part, je lui ai répondu qu’il fallait d’abord que j’écrive à Votre Altesse et qu’on ne devait pas s’attarder là-dessus, car il n’y aurait pas de réponse avant 4 semaines, que cela soit du goût de Votre Altesse ou non ; je me permets de vous en faire mon humble rapport car Son Éminence Monsieur le cardinal avait fort envie de voir l’affaire conclue, bien que je l’eusse informé du fait que les autres voitures et leur équipement étaient déjà parties et que je ne susse point si Votre Altesse était disposée à en acquérir davantage, sans vouloir présumer de mon humble position. Si Votre Altesse avait le désir d’envoyer une lettre à ce sujet, l’adresse est « À Monsieur le marquis de Poulpry, premier écuyer de feu Madame à l’hôtel des Écuries, rue du Bac vis-à-vis l’hôtel des MousquetairesNote: Nous avons modernisé ce passage écrit en français dans le texte original. », pour lui dire si elle a ou non l’intention d’acheter quelque chose ; j’ai dit à Monsieur l’écuyer
[86][89]{v}que les franges extérieures étaient très usées et bien noircies, et il m’a dit qu’on pouvait arranger cela ; j’ai répondu que ces choses-là ne pouvaient pas toujours être réparées et je ne me suis pas davantage étendu sur la chose. Sinon, j’ai encore acheté deux statues de métal fort bien faites, avec leur piédestal, qui pourront être payées après réception à Wurtzbourg, et je les ai fait expédier aujourd’hui par diligence,
sur ce en me recommandant très humblement à
Votre
Altesse, je demeure à vie,
de Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 3 avril de l’année 1723
[87][90]{r}[90]{r}P.S. :
Je viens à l’instant de vous écrire très humblement que je voulais partir de Paris avec Monsieur von Reigersberg, mais comme c’est aujourd’hui qu’arrive la poste allemande et que je reçois mon courrier, et comme je n’ai rien reçu lors de l’avant-dernier jour de poste, j’avais pensé que si rien n’arrivait, je partirais ; mais Votre Altesse m’ayant mandé de ne pas partir avant d’en avoir reçu positivement l’ordre, j’ai accompagné Monsieur von Reigersberg jusqu’à Chantilly, afin de voir ce domaine avec sa demeure pour la chasse, qui se trouve à dix heures de Paris et appartient à Monsieur le duc de France, où j’ai eu grand plaisir à admirer les jeux d’eaux et les bâtiments ainsi que la ménagerie et d’autres choses ; et hier soir je suis rentré à Paris.
En ce qui concerne les instructions que Votre Altesse a eu l’obligeance de me donner dans sa dernière lettre touchant les choses à voir avec Monsieur de Cotte, à savoir de réaliser les plans et l’élévation, tout cela je l’ai déjà fait et je ne peux demander davantage à Monsieur de Cotte, sinon lui expliquer, comme je l’ai déjà fait, que Votre Altesse ne voudra pas permettre que les cours soient si étroites et les fenêtres si grandes, car la saison d’hiver est chez nous plus longue et plus rigoureuse, et que nous avons donc beaucoup à faire avec le stockage de grandes quantités de charbon de bois sous les toits et l’entretien des chandelles, ce qui est fort embarrassant ; quant à l’église, Monsieur de Cotte ne veut pas démordre de cet emplacement malgré la possibilité d’une entrée donnant sur la rue évitant aux fidèles de passer par la cour, comme je vous l’ai déjà rapporté bien humblement dans ma précédente relation, je dispose déjà non seulement de deux plans
[88][90]{v}différents, totalement terminés, mais aussi de l’élévation telle qu’elle devrait être ; et Monsieur de Cotte m’assure que s’il peut encore nous être utile, il suffira de lui écrire par la poste et de demander les plans et l’agencement des pièces à l’intérieur, et il y répondra aussitôt pour nous envoyer son avis ; j’ai apporté tout de suite votre lettre à Son Éminence le cardinal de Rohan qui se trouvait justement à Paris, avec le compliment et les remerciements, conformément aux instructions de Votre Altesse, ce que Son Éminence a fort gracieusement agréé, ajoutant que si Votre Altesse, dans sa prochaine lettre, devait davantage expliciter plusieurs points concernant ces plans, on continuerait à faire venir Monsieur de Cotte, mais j’ai dit que tant que Votre Altesse n’aurait pas tous les plans de Monsieur de Cotte, dont j’avais certes bien humblement envoyé des copies, et tant que je ne serais pas revenu au pays et n’aurais pas présenté à Votre Altesse les idées de Monsieur de Cotte, cela n’en valait pas la peine. Avec Monsieur de Boffrand, qui m’a beaucoup assisté, j’ai également terminé mes affaires ; il part dans huit jours en voyage et il m’a assuré qu’il voulait tout envoyer par la poste, ainsi que je vous l’ai déjà appris par mon courrier. Les voitures et mes achats ont déjà été envoyés il y a huit jours par la poste conformément à la liste, et tout cela devrait être arrivé d’ici le 8 à Strasbourg avec le décorateur-doreur ainsi que le tapissierNote: Il pourrait s’agir de Jean-Jacques Gillet, de Johann Andreas Klimpert ou de Johann Thomas, tous trois tapissiers à la cour de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103 (Gillet) et p. 70, n. 108 (Klimpert) ; Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2 (Thomas). et notre compatrioteNote: D’après Friedrich (2006, p. 51, n. 27), il s’agirait du domestique de Neumann qui aurait accompagné l’architecte en France ; cette identification reste toutefois sujette à caution., à qui j’ai confié le contrôle ; tout est scellé avec le plomb du roi, et accompagné des passeports royaux, comme le veut l’usage.
[89][91]{r}[91]{r}Le pays est sûr, sept personnes accompagnent le chargement, et j’espère que rien ne manquera à l’arrivée ; je n’ai pu renégocier à la baisse le contrat du tapissierNote: Il pourrait s’agir de Jean-Jacques Gillet, de Johann Andreas Klimpert ou de Johann Thomas, tous trois tapissiers à la cour de Wurtzbourg ; cf. Friedrich 2006, p. 69-70, n. 103 (Gillet) et p. 70, n. 108 (Klimpert) ; Freeden 1955, vol. 2, n° 1037, p. 798, n. 2 (Thomas)., comme cela fait déjà huit jours qu’ils sont en route ;
au cas où Monsieur de Boffrand ne devrait pas rentrer chez lui, je lui laisserai tout par écrit, et lui transmettrai mes intentions par un bon ami à luiNote: Il est impossible de dire à quelle connaissance parisienne Neumann se réfère ici. que je connais également ; je suis suffisamment avancé dans mes discussions avec les architectes, qui ne savent rien l’un de l’autre, et je veux rester crédible auprès des deux et éviter toute jalousie, et c’est pourquoi, auprès de bons amisNote: Il est impossible de dire à quelles connaissances parisiennes Neumann se réfère ici., quand j’en ai parlé, j’ai juste dit que le propos final de mon séjour parisien était d’avoir l’opinion de Messieurs les architectes et qu’on récompenserait chacun selon son dû, et j’espérais ainsi que cela n’aurait pas d’importance et que j’avais bien fait ; et si jamais ils devaient se rencontrer, comme cela arrive souvent dans certains travaux où ils sont amenés à correspondre, personne ne s’étonnerait que j’aie fait la connaissance de l’un et de l’autre ; c’est donc une très bonne raison pour ne pas emporter de suite un plan de Monsieur de Boffrand et que celui-ci fasse son travail de sa propre volonté, afin de se donner l’honneur de plaire à Monsieur d’Erthal et à Votre Altesse en raison de notre relation. En ce qui me concerne, plus longtemps je peux rester ici, mieux c’est. Je vois néanmoins plusieurs points relatifs à la distribution et l’aménagement des bâtiments sur lesquels il faudra prendre bientôt une décision et composer ; pour ce qui est de leurs réflexions orales à soumettre à la gracieuse
[90][91]{v}approbation de
Votre Altesse, j’aurai besoin de trois mois pour y travailler et pour écrire le tout ; et donc je crois et j’espère que d’ici demain
samediNote: Neumann a apparemment rédigé ce passage dès la veille du 3 avril, date à laquelle il achève et signe sa lettre ; cf. vue 86 (fol. 88v). et jusqu’à
mardi, lors des trois prochains jours de poste, je recevrai les très obligeantes instructions de
Votre Altesse et entre-temps j’aurai l’occasion de voir également les jeux d’eau à
Versailles. D’ici la prochaine poste, dans huit jours à partir d’aujourd’hui, si je ne peux le faire demain, je vais rédiger une description brève et générale du goût actuel des architectes français et de la façon dont sont faites les pièces et les garde-robes ainsi que l’ameublement des appartements. La plupart des fusils et des pistolets viennent d’
Allemagne, et je vais aller voir tout ça. J’ai également découvert un très bon
maître ferronnier et je suis absorbé par la recherche d’un compagnon serrurier, mais je n’ai pas encore trouvé la bonne personne, j’ai également commencé à chercher un sculpteur pour les ornementations, mais je ne vous enverrai pas tout de suite ces gens : j’attendrai d’être de retour et d’avoir l’accord de
Votre Altesse pour leur écrire, et alors ils pourront venir tout de suite, car je n’ai pas eu le temps de tout faire et j’ai organisé la chose avec de bons amis
Note: Il est impossible de dire à quelles connaissances parisiennes Neumann se réfère ici. de telle manière que je puisse à tout moment demander ce dont j’ai besoin à
Paris, que ce soient des gens, des objets à fabriquer, des dessins pour les intérieurs ou d’autres choses semblables. Je n’ai cessé d’entretenir le
tapissier Klimpert de ces idées, je lui ai également dit sur quoi il devait le plus s’informer et se qualifier, et je lui avancerai une bonne somme en thalers allemands sur son compte, qu’on lui transmettra par lettre de change ; cet
amiNote: Neumann fait probablement référence à l’un des amis qu’il cite plus haut dans cette lettre. dont j’ai déjà parlé dans mon humble rapport il y a huit jours m’aide beaucoup et me fait crédit.
[91](21[92]{r}Note: Le 7 avril 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’ai très humblement reçu les ordres obligeants de Votre Altesse du 27 mars, arrivés ici le 6 avril avec les remarques de Monsieur von Ritter, qui m’ont permis de prendre entre-temps connaissance de l’avis de Votre Altesse sur les plans que je lui avais envoyés auparavant ; je n’ai cessé de me prononcer contre une réduction de la taille des cours auprès de Messieurs les architectes, et cela pour les raisons qu’avaient exposées Votre Altesse et que je connaissais bien, et j’avais même ajouté que, pour un grand seigneur, la distance était trop grande pour se rendre à pied à l’église, ce à quoi on m’a répondu que l’on pouvait tout à fait l’y porter, sachant que la chapelle de Versailles était plus éloignée que celle-ci. Je n’ai pas manqué de faire toutes les observations possibles en présence de Son Éminence le cardinal de Rohan et d’autres personnes, mais Monsieur de Cotte a persisté dans son idée de réduire la taille des cours et des autres parties concernées, ainsi que Votre Altesse le verra par elle-même dans les dessins que je lui ai envoyés il y a déjà plus de 14 jours, en plus de l’élévation du côté jardin qui s’inspire du goût français. J’ai également rappelé qu’il y a un plan où la grande galerie donnant sur le jardin de Sainte-Afre est trop large,
[92][92]{v}et même si l’on en proportionnait mieux la largeur, les cours seraient toujours trop petites, alors que dans leur état actuel elles semblent plus grandes, mais tout cela je vous l’ai déjà raconté. En ce qui concerne les escaliers, Votre Altesse aura vu par les deux plans déjà reçus que j’ai veillé à défendre l’idée qu’avait eue Votre Altesse en ce qui concerne le premier escalier pour qu’elle soit gardée telle quelle autant que possible, et c’est ce que j’ai remis à Monsieur de Cotte, dessiné à la mine de plomb ; mais ce dessin n’est pas à l’échelle, donc j’attends l’opinion de Votre Altesse sur ces plans réalisés après en avoir à nouveau discuté avec Monsieur de Cotte ; et en ce qui concerne Monsieur de Boffrand, qui ne va pas rentrer avant plusieurs jours, je vous ai très humblement envoyé par la dernière poste son opinion, avec lui je me sens plus libre de mes mouvements et j’ai donc à nouveau travaillé au plan afin de défendre autant que possible les intentions de Votre Altesse, et aussi pour qu’on ne dérange pas ce qui a déjà été bien avancé dans les travaux actuels ; je vais, sans présumer de mon humble position, défendre ce que je peux en ce qui concerne l’église et en particulier les deux cours, et comme tout le monde trouve que l’église est trop petite et que Votre Altesse aura bien la grâce de trouver un moyen
[93]93
{r}pour la faire agrandir, j’ai commencé à en effacer l’intérieur sur un ancien plan et je pense avoir fait tout ce que je pouvais pour défendre vos idées, et j’ai créé un renfoncement dans l’angle de la cour, comme Votre Altesse pourra le voir, qui n’aura besoin ni de sous-sol, ni de cave et servira à l’espace ovale en saillie déjà prévu initialement et qui devait faciliter la communication ; c’est un peu comme si l’on avait conservé l’extérieur de l’église tel quel, mais l’ovale a une meilleure forme et n’est plus aussi allongé, et j’ai de même ajouté un chœur qui s’inspire de celui de Versailles, deux oratoires, que j’ai signalés, et le lieu pour la musique à l’endroit que j’ai indiqué et, par la même occasion, j’ai élargi l’espace qui permet de passer derrière les colonnes, comme Votre Altesse aura l’obligeance de le voir dans les esquisses à la mine de plomb ci-jointesNote: Ces dessins ont aujourd’hui disparu ; cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1052, p. 823, n. 1.. Ce jour de poste était trop rapproché du précédent, et je n’ai pas eu le temps de tout copier convenablement ; par conséquent je me suis contenté de reporter les éléments en m’aidant d’une chambre noireNote: Neumann utilisait apparemment une camera obscura., il faut donc les regarder à l’envers, pour ne pas voir la cour avant à la place de la cour arrière. Les autres choses ne sont pas encore mises au propre, ce à quoi je travaille encore, hormis l’escalier que j’ai déjà agencé, et je crois que, si Votre Altesse ne devait pas donner un avis positif sur l’escalier à la française, celui-ci devrait lui convenirNote: Neumann fait référence à l’escalier qu’il a lui-même dessiné..
[94]{93v}En ce qui concerne l’écoulement des eaux je saurai trouver une solution et ferai faire le nécessaire, je vais donc dessiner les autres façades et tout le plan à la mine de plomb, puis montrer le tout pour voir ce qui sera approuvé ou critiqué ; de cette manière les quatre pavillons restent dans la cour d’honneur et l’escalier ne manquera aucunement de lumière, car la cour arrière sera dotée de grandes fenêtres très régulières. Cent choses seront encore évoquées tant que durera ma présence, que je rapporterai bien humblement à Votre Altesse ; il vaudrait mieux ne pas trop avancer les travaux là où subsistent des doutes, comme dans la cour d’honneur : les piédroits des arcades peuvent bien aller jusqu’aux impostes, ce qui convient, et si on prend les grandes fenêtres donnant sur le jardin, la distribution des arcades sera certes correcte, mais on ne verra plus les appuis de fenêtres ; de plus, si Votre Altesse voulait bien donner son accord pour les colonnes libres comme je l’ai noté ici, et qu’on fasse là-dessus une terrasse, cela permettrait de gagner de l’espace pour les pièces, au lieu de rogner sur la première petite cour, ce que montrera en outre la disposition finale. Je vais aussi dessiner à l’échelle l’escalier à la française et défendre l’idée des quatre pavillons pour voir ce qui peut se faire, puisque Monsieur de Cotte a abandonné l’idée des deux pavillons.
Demain, je me rendrai avec plusieurs chevaliers à Fontainebleau pour visiter des demeures de campagne,
[95][94]{r}[94]{r}et samedi je serai de retour à Paris : c’est jour de poste et j’y attendrai les très obligeantes instructions de Votre Altesse. Entre-temps Monsieur de Boffrand sera aussi rentré chez lui, Monsieur le marquis de Livry n’est pas à Paris mais à Versailles, et le roi va se rendre à Meudon, où il devrait être présent tout ce temps. Je vais voir si je peux obtenir un chien d’arrêt et comment le faire parvenir à Votre Altesse ; les voitures seront aujourd’hui ou demain sans faute à Strasbourg, avec tout le reste. J’ai vu beaucoup de fusils mais je n’en ai encore acheté aucun, mais je pourrai facilement les faire envoyer par la diligence, bien que je ne les trouve pas si remarquables que cela. Je vais aussi m’informer sur les soies et les velours rehaussés d’or et d’argent,
sur ce en me recommandant très humblement à
Votre Altesse, je demeure à vie,
de Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 7 avril de l’année 1723
[96](32[95]{r}
[95]{r}Note: Le 12 avril 1723
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
J’ai reçu les très obligeantes instructions de Votre Altesse, en date du 3, le 10 dans la nuit, car j’étais de retour de Fontainebleau et de la visite de plusieurs demeures de campagne Note: Neumann n’a reçu les lettres de son maître qu’à son retour à Paris le samedi 10 mars 1723, après un périple en Île-de-France durant lequel il a visité plusieurs châteaux et maisons de plaisance., un voyage qui m’a procuré beaucoup de plaisir et où j’ai vu de nombreuses et belles constructions ainsi que la manière dont sont faits leurs jardins.
En ce qui concerne mon départ de Paris, celui-ci aura lieu, si Dieu le veut, le 15, et je passerai donc par Cambrai, Tournai, Bruxelles, etc., puis, comme le temps pressera, par SchupbachNote: Schupbach (commune de l’arrondissement actuel de Limburg-Weilburg dans la Hesse) était connue pour ses carrières qui pourraient avoir intéressé Neumann ; cf. Freeden 1955, vol. 2, n° 1055, p. 826, n. 3. et Wetzlar, avant d’arriver à Francfort ; je ne veux certes pas trop me dépêcher en visitant les villes et les fortifications, mais je dois économiser mon temps ; cependant, s’il devait me rester du temps et de l’argent, je voudrais bien, avec l’obligeante autorisation de Votre Altesse, de Wetzlar aller à Cassel en passant par Fulda, mais je ne ferai pas cela avant
[97][95]{v}d’en avoir reçu l’ordre bien obligeant de Votre Altesse à Wetzlar chez Monsieur Frißen ou à la poste ; je demanderai où elle se trouve, mais si vos ordres n’y sont pas, je reviendrai sans détour à Wurtzbourg en passant par Francfort.
Demain et aujourd’hui je vais encore avoir des entretiens avec Monsieur de Cotte et Monsieur de Boffrand au sujet des plans, et je soumettrai à Monsieur de Boffrand mes derniers dessins avec l’église et l’escalier et d’autres détails, que je vous ai déjà envoyés, puis je partirai d’ici. Votre Altesse aura pu voir dans les dessins que j’ai déjà envoyés le plan et l’élévation, où n’est pas seulement reporté l’avis de Monsieur de Cotte, en particulier en ce qui concerne l’élévation ; on voit qu’ici, leurs deux avis se rejoignent, mais je n’ai montré à aucun d’entre eux les plans de l’autre, et je n’ai pas fait de commentaires positifs en disant que telle était l’opinion de l’un ou de l’autre, afin d’éviter toute jalousie ; et si j’en ai encore le temps, je les mettrai à la poste de mercredi
[98][96]{r}95{r}avec un courrier pour Votre Altesse; mais si je n’y arrive pas, je lui enverrai mon très humble rapport de Bruxelles.
Je n’ai pu encore parler au marquis de Livry au sujet d’un chien d’arrêt, mais je le ferai mardi ou mercredi.
En ce qui concerne l’agencement des dessins, avec l’accord de Votre Altesse, je pourrai y faire beaucoup de choses en une huitaine de jours ; on ne pourra réaliser les doubles pilastres dans la cour d’honneur ou les cinq arcades au lieu des sept, étant donné qu’on ne peut pas les placer près des quatre pavillons et qu’on ne pourra pas bien distinguer la façade avec tant de colonnes ; si on ne fait pas trop avancer l’église à l’intérieur des cours, cela pourra être compensé par un autre agencement. Je ne peux faire davantage en ce qui concerne les modifications à apporter aux plans ni en discuter plus avant avec les architectes, en particulier avec Monsieur de Cotte, qui aime surtout ses propres plans,
[99][96]{v}avant que Votre Altesse n’ait l’obligeance de prendre d’autres résolutions et de retourner les plans aux architectes d’ici, ce d’autant plus si Votre Altesse devait avoir d’autres objections à formuler. Je ne peux les mettre tous d’accord, et cela me suffit d’avoir pris les avis de chacun, avis qui ne sont pas tous exprimés dans les plans et que je pourrai présenter bien humblement à Votre Altesse. Je lui envoie donc l’autre partie incluant l’autre escalier à la française, et si Votre Altesse devait déjà avoir approuvé celui que j’avais envoyé, il conviendra aussi car la symétrie y est bien observée et le haut de l’escalier, aboutissant en B, mène vers les appartements de Votre Altesse, il faut juste achever le dessin comme l’autre, et ce sera bien ainsi ; comme la poste doit bientôt partir, cela ne me permet pas de vous donner davantage de mes bien humbles explications, et je vous en entretiendrai bientôt humblement. Je vais me pencher sur ces dessins
[100][97]{r}[97]{r}avec Monsieur de Boffrand. L’agencement des pièces, marqué en rouge dans les dessins, pourra tout à fait se faire de cette façon, si la façade que j’ai envoyée à Votre Altesse devait lui plaire, avec seulement des pilastres simples, et jumelés à l’extrémité du pavillon. Seules les petites pièces dans les pavillons n’ont pas rencontré l’approbation des architectes.
Votre Altesse a eu l’obligeance de rappeler qu’il fallait ménager l’argent afin qu’il ne faille pas envoyer une nouvelle lettre de change ; elle aura vu entre-temps la liste que j’ai jointe, mentionnant tous les nombreux objets que je lui ai envoyés et que j’ai eu l’occasion d’acquérir, car je les ai presque tous trouvés nécessaires, et j’espère que Votre Altesse aura la grâce de l’agréer. Je pense pouvoir faire avec l’argent que j’ai encore sur moi pour financer le reste du voyage et, aujourd’hui, le chargement devrait, je l’espère, être envoyé de Strasbourg par voie d’eau. Les routes sont actuellement sûres, on ne rapporte pas le moindre incident et j’ai pris toutes les précautions possibles.
Sur ce en me recommandant très humblement à
Votre Altesse, je demeure à vie,
de Votre Altesse,
le très humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 12 avril de l’année 1723
[101](33[98]{r}[98]{r}Note: Le 14 avril 1723
Note:
N.
Voyage à Paris, compte rendu des bâtiments visités à l’attention de l’évêque
Très honorable prince d’Empire, Votre Altesse, Monseigneur,
Je rapporte bien humblement à Votre Altesse qu’hier et avant-hier j’ai pris le temps de parler une fois encore des bâtiments à Monsieur de Cotte, lequel m’a déclaré que l’église et le grand degré étaient bien conçus, tels que je vous les ai envoyés avec mon avant-dernier courrier, mais il n’a pas changé d’avis sur le fait qu’il serait mieux que l’église soit plus proche de l’escalier et il a affirmé que dans le second pavillon face au jardin il fallait de grands cabinets, et j’ai expliqué toutes les raisons pour lesquelles telle ou telle chose était ainsi. En conclusion, si, après mon arrivée à Wurtzbourg et mon humble rapport à Votre Altesse, nous lui écrivions de nouveau, il répondrait aussitôt et donnerait son avis ; je n’ai pu en obtenir davantage.
Avec Monsieur Boffrand, j’ai longuement discuté une dernière fois de ces annotations, au blanc de plomb, dont je vous ai également bien humblement envoyé une copie, afin de connaître son avis là-dessus. Il est d’un commerce
[102]{[98v]}plus facile et après mure réflexion, il approuve l’idée de se contenter de réduire quelque peu la largeur du déambulatoire autour du chœur et celle du chœur de l’église ; il trouve le grand degré fort grand, et il n’a pas manqué de m’indiquer où placer les colonnes jumelées, pilastres simples et colonnes libres, sur lesquelles nous avons longuement réfléchi, ainsi que sur leurs chefferonsNote: Le terme « chefferon » utilisé par Neumann n’ayant pas pu être identifié, nous avons pris le parti de le conserver. Le terme technique « chevron » ne fait pas sens dans ce contexte., et sur la façon de concevoir et placer l’attique et les corniches qui courent tout le long du bâtiment ; j’ai pour ma part bien expliqué et exprimé les idées que je m’étais faites à ce sujet et lui ai laissé tous les plans, copiés à son intention pour partie par mes soins, et pour une autre par ses gens, et Monsieur de Boffrand m’a assuré que d’ici un mois il ferait des plans d’élévation et de coupe à partir de tout cela, et qu’il enverrait bien entendu l’ensemble par la poste à Wurtzbourg. Notre correspondance est donc désormais organisée. De plus, hier, j’ai encore eu la chance de voir pour la première fois jaillir les eaux de Versailles, ce qui m’a procuré un grand plaisir avant mon départ ; Note: Le mardi 13 avril 1723, Neumann s’est rendu à Versailles et est retourné le jour même à Paris. ; aujourd’hui on devrait les faire jouer à Marly où j’ai encore l’intention d’aller.
[103][99]{r}[99]{r}Demain, si Dieu le veut, je partirai d’ici. Pour les fusils et les pistolets, que Votre Altesse a eu l’obligeance de m’ordonner d’acheter et d’envoyer avec les voitures, il est à présent trop tard, car celles-ci sont déjà parties il y a huit jours, et je ne peux rien emporter avec moi par cheval de poste ; mais j’ai fait en sorte que de bons amisNote: Il est impossible de dire à quelles connaissances parisiennes Neumann se réfère ici. puissent envoyer tout ce que l’on voudrait avoir. Je pense que j’arriverai le 5 mai à Wurtzbourg
et que les plans de Monsieur de Boffrand arriveront huit jours plus tard : après leur arrivée, tout sera plus aisé et avec l’humble rapport que je ferai à Votre Altesse, il lui sera très facile de prendre une décision, c’est pourquoi je ne saurais ici donner avec tout mon respect davantage d’explications.
J’ai reçu il y a trois jours mon passeport, signé par le roi et le cardinal Dubois. Le serrurier chez lequel j’avais commandé deux modèles de serrures n’a pas encore terminé son ouvrage, mais il me l’enverra,
sur ce, je demeure à vie, avec mon très humble respect,
de
Votre Altesse,
le plus humble et fidèle serviteur,
Balthasar Neumann
Paris, le 14 avril de l’année 1723