LE ROYALISME, OU MEMOIRES DE DU BARRI DE SAINT AUNEZ, ET DE CONSTANCE DE CÉZELLI SA FEMME.

Anecdotes Héroïques sous Henrr IV.

Par M. DEL....

Nec ultimo ſive carceris, ſive crucis ſupplicio deformata Majeſtas, imo his omnibus admirabilior. Flor. lib. li.

A PARIS.

Chez Valade, Libraire, rue S. Jacques, vis - à - vis la rue de la Parcheminerie.

M. DCC. LXX.

Avec Approbation, & Privilége du Roi.

EPITRE DÉDICATOIRE A MADAME LA COMTESSE DU BARRI,

MADAME, Daignez accueillir avec bonté un hommage public de ſentiment, & de reconnoiſſance. Le zèle ſeul m'a dicté ce petit ouvrage; ſeul il oſe vous l'offrir. Je ſens qu'il eſt capable d'égarer dans une carrière qui demande des talents. Mais j'eſpére, Madame, que vos ſuffrages ſuppléeront à la médiocrité des miens. Les traits que je développe dans cet eſſai le rendent digne de paroître ſous vos auſpices. Ils ſont tous puiſés dans votre Maiſon; ils retracent la fidelité la plus héroique de deux Sujets pour leur Roi. Trop heureux ſi vous voulez bien me pardonner une entrepriſe au - deſſus de mes forces, en faveur du motif qui me l'a inſpirée.

Je ſuis avec un profond reſpect, MADAME Votre très-humble & très-obéiſſant ſerviteur.

DE L....

AVERTISSEMENT.

Les principaux traits de ce petit ouvrage ſont puiſés dans l'Hiſtoire. Dom Vaiſſette, d'Aigrefeuille, qui ont écrit celle de Languedoc, & preſque tous les Mémoires qui nous reſtent ſur la Ligue & ſur les troubles qui agiterent la France pendant la minorité de Louis XIII, les rapportent avec les plus grands éloges. Ceux à qui ces Auteurs ſont familiers, ou qui voudront les conſulter, ne nous accuſeront point d'exagération. Les bons Patriotes nous ſçauront preſque gré d'avoir rapporté au Public des exemples d'amour pour ſon Prince & pour l'Etat. On ſçait que cette vertu eſt toujours le propre de la Nation Françoiſe priſe en général. Chen nous comme chez tous les autres Peuples on voit paroître quelquefois des hommes qui ſemblent l'oublier, ou qui ſe laiſſent prévenir contre les vrais intérêts du Royaume. On ne peut le diſſimuler, on en gémit en ſecret, on ſe flatte que la grandeur d'ame, les ſacrifices les plus héroïques de nos Peres envers la Patrie, remis ſous nos yeux réchaufferont un zèle qui ſe ralentit au préjudice de notre propre gloire. C'eſt à cette eſpérance que des ouvrages d'ailleurs aſſez médiocres doivent un prodigieux ſuccès. La ſaine portion des François v voit une critique néceſſaire des mœurs du tems. Le Gouvernement toujours appliqué à maintenir la proſpérité nationale v apperçoit une lumiére qui ranime les cœurs engourdis, ou diſſipe leurs erreurs. C'eſt pourquoi il approuve, il enviſage ces eſſais. Nous n'eſpérons pas qu'il regarde celui-ci du même œil, il eſt trop peu conſidérable. Nous ſerions trop heureux que le Public l'accueille favorablement.

Par un privilége qu'on accorde à l'imagination qui s'exerce ſur des faits hiſtoriques, nous en avons rapproché qui étoient trop éloignés: nous les avons liés de la maniére que nous avons jugée la plus capable de les mettre dans un beau jour, & de les rendre plus intéreſſans.

LE ROYALISME, OU MÉMOIRES DE DU BARRI DE SAINT AUNEZ, ET DE CONSTANCE DE CÉZELLI SA FEMME.
CHAPITRE PREMIER.

Idée de la France pendant les troubles de la Ligue.

La France étoit déchirée par une faction acharnée à ſa perte. On comprend que je veux parler de ces tems de déſaſtres & de calamités, ſi connus ſous le nom de Ligue, & conſignés en caractères de ſang dans nos Annales. L'ambitieuſe Maiſon de Guiſe, l'Evangile dans une main, le fer & la flamme dans l'autre, ébranloit l'Empire François juſques dans ſes fondemens. Elle ſçavoit que la Nation fidèle, attachée à ſes Souverains par penchant, par reconnoiſſance, & par une habitude héréditaire, ne pouvoit être forcée à oublier ſes devoirs que par l'intérêt de ſon Dieu. Elle fit parler cet intérêt. Mais pour étendre ſur ſes deſſeins un voile impénétrable, & pour les exécuter plus ſûrement, elle confondit d'abord la cauſe du Monarque avec celle de la Religion. Elle montra, dans les ſectateurs des opinions nouvelles, des Ennemis également déclarés contre le Culte de leurs Peres, & contre l'autorité de leur Prince. Les Guiſes affectèrent un zèle ardent pour l'un & pour l'autre, embraſſerent leur défenſe & ſe dévouérent en apparence au ſervice de l'Etat. Qui n'eût été ſéduit par des dehors ſi impoſans? Les freres s'arment contre les freres. Le ſang coule à grands flots. D'un bout du Royaume à l'autre, la diſcorde & la guerre n'inſpirent que haines, que ravages, que meurtres, qu'embrâſements.

Un petit nombre de ſujets fideles, voyoit en gémiſſant l'ambition des chefs de la Ligue, fouler aux pieds les droits du Trône, pour envahir la Monarchie. Le Roi, trompé lui-même par leur faux dévouement, ne sentit le but de leur artificieuſe politique, que quand le fanatiſme fut porté à ſon comble, que quand il ne fut plus poſſible de s'oppoſer à ſes excès.

On ſçait tous les malheurs, tous les fleaux, qui mirent alors la France à deux doigts de ſa perte. Le nom de Ligueur étoit brigué avec enthouſiaſme. Le titre de Royaliſte étoit un opprobre, un motif d'acharnement & de perſécuton. La Ligue dominoit ſur les plus belles, & les plus nombreuſes Provinces du Royaume. Elle y avoit appellé des Etrangers qui exerçoient toutes ſortes de barbarie. Ceux-ci ſoutenoient la faction par des vues bien différentes des ſiennes; mais ils s'accordoient dans le projet de dépouiller la Maiſon des Bourbons, & de dominer ſur ſes ruines.

Les Guiſes n'avoient plus qu'un pas pour monter ſur un Trône, où des monceaux de cadavres, où celui du Roi même devoient leur ſervir de dégrés. Ce Prince infortuné n'avoit point d'héritier immédiat. L'amour perſévérant des François pour leurs Souverains légitimes, la diverſité des deſſeins de ſes Ennemis, mirent entre les Guiſes & ce Trône ébranlé, un rempart puiſſant qui le conſerva à ſes légitimes maîtres.

Il étoit né parmi les Rochers ſtériles du Bearn, ce Prince, qui, ſans ceſſer d'être le Pere de ſes Sujets, devoit les ſubjuguer, conſoler la France, la relever de ſes ruines, & lui inſpirer d'éternels regrets. Elevé parmi ſon Peuple, il en fit les délices dèsqu'il eût ouvert les yeux à la lumiére. Les Béarnois le portoient dans leurs bras. Il mangeoit à leur table, franchiſſoit les montagnes avec eux, eſſuyoit leurs ſueurs, & alloit les chercher dans leurs cabanes dès qu'il pouvoit leur rendre quelque ſervice. Il étoit bien-faiſant avant de ſçavoir que c'eſt le charme le plus doux de la Souveraineté. Son Peuple le voyoit croître comme un aſtre fécond, & qui, malgré l'aridité du ſol, y faiſoit germer, par ſa douce chaleur, la fertilité & l'abondance. On ne le nommoit que le Bon Henri. Pourquoi faut-il qu'une Gloire acquiſe ſur des ſujets aveuglés par la ſéduction du fanatiſme & de l'hypocriſie, ait fait ſubſtituer à ce titre ſublime le ſurnom de Grand? Celui-ci ne voile-t-il pas à la poſtérité le Pere des François, pour ne lui montrer que leur conquérant? Non, non, cette poſtérité plus juſte que l'hiſtoire, ne lui donne que le nom de Henri, & veut qu'on y attache l'idée de toutes les qualités d'une âme paternelle, de préférence à celle des victoires qui ont couté tant de larmes au Monarque.

Quoi qu'il en ſoit, à cette popularité qui lui captivoit les cœurs, à cette ſenſibilité qui caractériſa Henri, ce Prince joignoit les vues, le jugement, l'intrépidité, tous les talents qui font le grand Capitaine. Accoutumé dès le berceau à une vie dure & active, dans ſon enfance même, il donna des préſages de ce qu'on devoit attendre de ſon courage infatigable. A douze ans l'Europe avoit déjà les yeux ſur lui. Les bons François le regardoient en ſecret comme le Reſtaurateur de leur Empire. La Navarre devançoit le terme où il lui donneroit des Loix, & l'idolâtroit. Ce ſentiment franchit les limites de ce petit Etat, & s'alluma de proche en proche juſque dans les Provinces les plus reculées du Royaume.

Telle eſt, n'en doutons point, une des principales cauſes qui ſoutinrent la France au bord de l'abîme, creuſé par la Ligue pour l'engloutir. Tel fut le reſſort puiſſant qui éleva au-deſſus d'eux-mêmes le petit nombre de François qui avoient garanti leur cœur des piéges d'une aſſociation fatale aux légitimes héritiers du Trône; reſſort qui dans une longue ſuite de victoires, fit enfin triompher le petit nombre du plus grand, & les bons patriotes d'une multitude d'inſenſés & de fanatiques. O! malheureux François! ſi le Ciel n'eut comblé Henri de vertus, vous ſeriez donc en proie à une domination étrangére! Que dis-je! votre Empire ne ſeroit plus. Vous ſeriez confondus avec ces Peuples floriſſants, qui furent anéantis par une chaîne de révolutions deſtructives, & dont on ne connoît plus que le nom. Que la mémoire du Prince, qui vous a ſauvé malgré vous d'une ſi cruelle cataſtrophe, doit vous être chere! Que ne devez-vous point à ceux d'entre vous, qui fidéles à ce Grand Roi, lui ont prêté leurs bras, & ont verſé leur ſang ſous fes drapeaux pour la gloire du Trône & le ſalut de la Patrie!

CHAPITRE II.

Etabliſſement de Du Barri en France, ſon éducation; exploits, & mort de ſon Pere.

L'attachement inviolable que les droits ſacrés de Henri, ſon ame héroïque, & toutes ſes vertus royales inſpiroient aux bons François, ſe manifeſtoit à meſure qu'on le connoiſſoit mieux & qu'on le voyoit de plus près. Dans les Provinces éloignées ſa renommée lui faiſoit des Partiſans. Dans les Pays voiſins de la Navarre, ſes actions, le ſpectacle de ſes qualités embrâſoient les cœurs d'amour, & de zèle. Les habitants du Languedoc, & ceux des Provinces adjacentes, avoient pour lui la même admiration & le même dévouement que ſes propres Sujets. On eût dit qu'un preſſentiment ſecret des dangers qui menaçoient ce jeune Héros, ajoutoit encore au tendre intérêt qu'on prenoit à ſa perſonne. Ce noble entouſiaſme éclatoit dans les Catholiques Romains, comme dans les Huguenots; tels on nommoit alors les Prétendus Réformés; ainſi ces Pays furent le premier Théâtre de la Guerre. Il ſuffiſoit que les chefs de la Ligue connuſſent les diſpoſitions des habitants, en faveur du Prince qu'ils vouloient écarter du Trône, pour qu'ils fiſſent tous leurs efforts pour lui enlever ces Provinces, ou du moins pour l'y arrêter tant qu'ils pourroient.

C'eſt dans ces malheureuſes circonſtances que du Barri ſe fit connoître en France. Son Père, d'une Maiſon d'Irlande, qui jouit encore du titre de Pair de ce Royaume, avoit abandonné ſa Patrie dans le déſeſpoir de ne pouvoir briſer les fers ſous le poids deſquels elle gémiſſoit.

Le Languedoc fut ſa retraite .

Les troubles qui agitoient dès lors ſa nouvelle Patrie, n'empêcherent pas que la Cour ne lui donnât du ſervice & des emplois convenables à ſon rang . Il ſervit l'Etat avec ce zèle & ces lumiéres qui ſont les garants preſqu'aſſurés des ſuccès. Le Languedoc, où il s'étoit fixé, ne tarda pas à le diſtinguer parmi la nombreuſe Nobleſſe qui faiſoit ſa gloire & ſa ſûreté. Il n'avoit qu'un fils, il le nourrit, dès ſon bas âge, des ſentimens de fidélité & de reconnoiſſance qu'il devoit à un Etat qui lui avoit offert un azile. Il ne le vit pas plutôt capable de quelque reflexion, qu'il débrouilla à ſes yeux le cahos des intérêts des divers partis qui déchiroient le ſein de la France. Il lui inſpira de l'horreur pour la rébellion, quelques couleurs qu'elle oſât donner à ſes entrepriſes. Il l'accoutuma de bonne- heure à lier la félicité des Peuples avec l'obéiſſance envers leurs Maîtres, & la cauſe des Souverains avec celle du Ciel. A ces principes, dictés par la vérité & par ſon propre cœur, il joignit l'exercice continuel des armes; leçons d'autant plus néceſſaires, & d'autant plus faciles à pratiquer; qu'environnés d'ennemis de toutes parts, ils étoient forcés d'être ſans ceſſe ſur leurs gardes. Son premier ſéjour fut aux environs de Narbonne, cette poſition ſeconda bientôt ſon zèle, pour ſe porter ſans ceſſe dans tous les endroits qui avoient beſoin de ſecours.

Par cette éducation guerriere, St. Aunez devint un des plus fidéles, & des plus zélés ſerviteurs du Roi. A peu près du même âge que Henri, il avoit fait, comme ce Prince, & ſous ſes yeux, ſes premieres armes aux journées de Jarnac & de Montcontour, célébres par la défaite des Huguenots, animés en ſecret par les ennemis, encore cachés du Roi, & de l'Etat. Si St. Aunez, excité par l'exemple du jeune Prince, ſe dévoua au parti contraire; de ſon côté Henri ſçut le diſtinguer, & fut ſi frappé des preuves de valeur qu'il donna dans ces rencontres, qu'il ne le perdit preſque plus de vue, & n'oublia rien pour ſe l'attacher. Mais tant que la France eut un Roi, St. Aunez s'excuſa de paſſer dans ſes troupes, & préféra la gloire de ſervir l'Etat avec fidélité, aux avantages qui lui étoient offerts. La conduite du Prince avoit un effet contraire à la pureté de ſes intentions. Les Monumens du tems font foi, que le Roi de Navarre ne s'étoit point jetté dans le parti Proteſtant, par haine du Roi ou de l'Etat; mais pour s'oppoſer à une foule de favoris, dont les conſeils cauſoient tous les troubles.

Ainſi, inébranlable dans ſes devoirs, St. Aunez ſe contenta d'admirer le Héros Navarrois, & de ſouhaiter en ſecret à la France, un Prince que le Ciel deſtinoit pour la gouverner. Plus d'une fois même, le Gentilhomme fut contraint de marcher contre le Prince avec ce qu'il avoit pu ramaſſer de bons Royaliſtes. C'eſt dans ces occaſions, c'eſt par les obſtacles qu'il apportoit fréquemment aux entrepriſes des Proteſtans que Henri l'eſtima de plus en plus, & nourrit pour m'exprimer ainſi, cette bienveillance qui éclata dans la ſuite ſur le Gentil-homme & ſur ſa famille.

Pour ne point anticiper ſur les événements, nous allons toucher légérement tout ce qui regarde S. Aunez juſqu'à cette époque. Il avoit vôlé avec ſon Pere, & pluſieurs GentilsHommes du Canton, au ſecours d'Ouveillan qu'une troupe de factieux ménaçoit d'inſulter. Les Royaliſtes cacherent ſi heureuſement leur marche, que les Rebelles approcherent de la place, dans la confiance qu'elle ne pourroit leur réſiſter; mais ils tomberent dans une embuſcade, commandée par du Barri, où ils furent preſque tous taillés en piéces, ou faits priſonniers.

La joie de ces ſuccès fut interrompue par une bleſſure mortelle qu'avoit reçu le Commandant de l'entrepriſe. On le porta dans la Ville, ſuivi des priſonniers, & au bruit des cris de Victoire. Son fils & pluſieurs Officiers l'entourroient les larmes aux yeux. Le Chirurgien ſonda ſa plaie, la déclara mortelle, & ne lui promit que peu d'inſtants à vivre.

Le Vieillard, ſans s'émouvoir à une pareille nouvelle, embraſſa ſes amis, & après avoir fait, & reçu les adieux les plus touchans, il pria qu'on le laiſſât ſeul avec ſon fils. Il raſſemble toutes ſes forces, fait appeller ce digne objet de ſa tendreſſe, lui prend la main, & lui parle à peu près en ces termes.

“Eſſuyez vos larmes, mon fils. Ma vie eſt ſans reproche, & je meurs en défendant ma Patrie, & mon Roi. Vous êtes jeune, mon fils, je ne demandois quelques années encore “au Ciel, que pour vous conduire “dans ce tems orageux. Ses Arrêts “ſont juſtes. Soumettons-nous & “adorons. Gravez dans votre mémoire les dernieres paroles d'un “Pere. Puiſſent-elles vous préſerver de “toute eſpéce de ſéductions! Soyez “inébranlable dans vos devoirs, & “ſur-tout fidèle au Roi notre nouveau Maître. Récemment tranſplantés dans ſes Etats, nous lui devons “l'azile, & la fortune. Moins il y a “de tems que nous ſommes ſes Sujets, plus nous ſommes obligés de “lui marquer de zèle, & d'attachement. Les Gentils-hommes François “peuvent couvrir leurs fautes d'une “longue ſuite de ſervices. Eh! plut “à Dieu qu'ils euſſent moins ſouvent “beſoin de les réclamer! Pour nous “qui n'avons nuls droits à ſa protection, oſerions-nous recourir à ſa “clémence? Si nous voulons que la “France nous adopte pour ſes enfans, il ne faut pas ceſſer de la ſervir comme notre mere. Quelles faveurs n'aurez-vous pas lieu d'attendre de ſa tendreſſe? Que vois-je, “ô mon fils! Mon âme en ce moment, preſque dégagée de ſon enveloppe terreſtre, s'élance dans les “ſiécles futurs; le voile de l'avenir “ſe déchire à mes yeux. Un Prince “que nous admirons, qui eſt digne “de commander à l'Univers, dont “le courage s'eſt attiré de juſtes éloges, qui eſt dans le parti des Rebelles, en déteſtant la révolte, qui “eſt armé pour délivrer le Roi, & “l'Etat de leurs oppreſſeurs, & de “leurs Tirans; ce Prince ſera ton Maître, mon fils! Je le vois aſſis ſur “le Trône des François. Que d'embuches il a évité! Que de combats “il a livré! Que de périls il a affronté “avant d'y monter!.... O ſurpriſe!... “il te ſourit, t'offre ſa confiance, “un commandement!.... j'entends des “gémiſſements, des cris lugubres. Des “perfides, des ſcélérats dénaturés.... “O mon cher fils! quel deſtin glorieux! Il cauſera des regrets, des “ſoupirs au plus humain des Rois.“

Quelques larmes coulent de ſes yeux à un tableau ſi déchirant, ſes forces ſemblent l'avoir abandonné pour jamais. Il revient à lui, jette un regard d'attendriſſement ſur ſon fils, &, comme ranimé par une inſpiration nouvelle, il continue: “Une Héroïne te diſputera la palme du courage. Elle triomphera de vos ennemis à force de valeur & de magnanimité. Henri lui décernera la Couronne des ſerviteurs fideles.... Quelle “carriére s'ouvre pour nos Neveux!.... “Ciel! reçois mon âme..... Le Livre du “deſtin.... la ſcene de la vie.... ſe ferment pour moi....Adieu.. mon cher“

A ces mots, il expire dans les bras de ſon fils. Je m'abſtiendrai d'inſiſter ſur l'excès de la douleur de St. Aunez, déſormais appellé Du Barri. Je me contenterai de dire que les regrets de cet infortuné répondirent à la vive tendreſſe qu'il avoit pour ſon pere, & à l'eſtime que ce brave Officier s'étoit acquiſe.

CHAPITRE III.

Du Barri ſauve Ouveillan où réſidoit Conſtance de Cézelli; ils font connoiſſance en combattant à côté l'un de l'autre. Valeur, triomphe de Conſtance.

Même avant que le tems eût pu calmer ſes regrets, le jeune du Barri eut plus d'une occaſion d'en venger l'objet chéri. Le Pays étoit infeſté de troupes, qui, diviſées par détachements, ravageoient les campagnes, & pilloient les Villes & les Bourgs ſans défenſe. Il falloit ſans ceſſe attaquer & pourſuivre les Rebelles, ſans ceſſe éclairer leurs pas, & leurs deſſeins, & défendre ſes propres foyers de leurs approches. Du Barri paſſa quelques années dans une perpétuelle alternative de guerres & d'armiſtices, auſſi-tôt rompus que publiés.

Dans une nouvelle expédition, pour la défenſe du poſte où ſon Pere avoit reçu le coup mortel, les ennemis étoient prêts de s'en emparer. Les Citoyens accourent ſur les murs, combattent avec tant de réſolution, qu'en peu d'inſtants les ennemis perdent leurs avantages, & une proie qu'ils regardoient comme aſſurée. Ce ſecours étoit compoſé de jeuneſſe des deux ſexes. Le haſard voulut qu'une fille combattît dans l'attaque la plus vive, à côté de du Barri. Son courage, ſon ſang-froid, la vigueur, & la rapidité de ſes coups, lui cauſerent autant de ſurpriſe que d'admiration; Conſtance de Cézelli, (ainſi s'appelloit la jeune Héroïne) ne conçut pas une moins bonne opinion de lui. Quand elle vit les Rebelles repouſſés, & ſonger à ſe retirer; Chevalier, “lui dit-elle, pourſuivons ces Brigands juſques dans leurs retraites, “exterminons-les juſqu'au dernier.„ Elle s'élance par une bréche dans le foſſé; du Barri la ſuit, & lui-même eſt imité par tous les braves défenſeurs de la Ville. On fait un tel carnage des aſſiégeants, qu'en moins d'une heure on n'en voit pas un ſeul en état de réſiſter.

Les Vainqueurs, chargés de leurs dépouilles, & conduiſant un grand nombre de priſonniers, reprirent le chemin de la Ville. Du Barri n'avoit pas quitté Conſtance dans la mêlée, il l'accompagna de même au retour, lui rendit tous les ſervices dont elle avoit beſoin après un combat auſſi long que périlleux, & lui adreſſa les éloges qu'elle méritoit. Conſtance attribua le peu qu'elle avoit fait, aux exemples de bravoure qu'il lui avoit donnés.

Après ces honnêtetés réciproques, du Barri s'écria“ Hélas! il y a trois ans, “Mademoiſelle, que votre réſidence “fut encore attaquée; que nous la “défendîmes avec le même bonheur, “& que mon Pere fut bleſſé mortellement, en commandant une em“buſcade où les ennemis tomberent, “& furent preſque tous maſſacrés.... “Quoi! vous êtes le fils de ce généreux Vieillard? Nous payâmes à ſes “funérailles, & nous payons encore “à ſa mémoire le tribut de nos pleurs “& de notre reconnoiſſance. J'étois trop jeune encore pour qu'on “me permît de prendre les armes. “D'ailleurs mon Pere y fit le devoir “d'un bon Citoyen. Il fut auſſi bleſſé “dangereuſement, & depuis ce tems “les ſuites de ſa bleſſure le retiennent “au lit. Inſtruite de l'extrême danger “que nous courrions, animée par le “déſeſpoir où étoit mon Pere de ne “pouvoir contribuer à la défenſe de “la Ville, je réſolus de le remplacer, “& ſans le prévenir de mon deſſein, “je vôlai ſur nos remparts. Que d'inquiétudes, que d'allarmes ma fuite “n'a-t'elle pas cauſé à ce tendre Pere? “avec quelle joie il va m'ouvrir ſon “ſein! votre courage, Monſieur, “a ſoutenu le mien. Voudrez - vous “bien me préſenter à mon Pere, & “lui demander grace pour une démarche qu'il condamne?„

Du Barri, ravi que Conſtance lui fournît elle-même le moyen de connoître une famille qui l'intéreſſoit déjà ſi vivement, lui offrit ſon entremiſe ſans balancer. Couverts de pouſſiére & de ſang, ils ſe préſentent au lit de Monſieur de Cézelli . Ce Vieillard ſaiſi d'effroi pouſſe un cri, Conſtance ſe précipite dans ſes bras, & lui dit que ſes habits ne ſont ſouillés que du ſang ennemi. A peine en croit - il ſes aſſurances réitérées. Il craint pour ſa fille & l'admire à la fois. Il jette un œil inquiet ſur toute ſa perſonne.“ Oui, mon Pere, le Ciel “a protégé ma vie. Pluſieurs ennemis ſont tombés ſous mes coups, „& leurs armes n'ont pu m'atteindre. Ce Chevalier a reçu une legére “contuſion au bras. Qu'il a néanmoins “terraſſé de Rebelles! ah! mon Pere, “que de courage il a montré! C'eſt à “lui que je dois les foibles efforts que “j'ai faits pour me rendre digne de “vous; c'eſt pour la ſeconde fois “qu'il ſauve nos murs. Il a perdu ſon “Pere dans l'action où vous avez été “bleſſé.

Monſieur de Cézelli pleure de joie, tend les bras à du Barri, le preſſe ſur ſon ſein, & ne peut lui exprimer les ſentimens qu'il éprouve, que par des ſyllabes ſans ſuite, & des embraſſements redoublés. Quand ces premiers tranſports furent un peu calmés, “Votre abſence, ma fille, m'a accablé d'inquiétude, & de douleur, je “vous ai crue tombée entre les mains “de quelques ennemis, qui s'étoient “fait jour au milieu de nos braves “défenſeurs. Ah! ſi j'avois pu imaginer que vous fuſſiez du nombre “de ces derniers, j'aurois expiré de “crainte. Vous n'auriez plus de Pere, “vous vous reprocheriez ma mort. “Conſtance, un zèle aveugle eſt plus “nuiſible qu'utile dans un péril émi“nent. Que les larmes que vous m'avez ſait répandre, vous retiennent “à l'avenir dans les devoirs réſervés à “votre ſexe. Un mouvement de terreur de votre part, pouvoit jetter “le déſordre dans nos Troupes, & “cette Place, par votre imprudence, “ſeroit en proie à la fureur de ſes „ennemis.„

Du Barri fit un éloge ſi touchant de la valeur de Conſtance, peignit ſous des couleurs ſi vraies ſa fermeté, la tranquillité de ſon ame au milieu des dangers, & ſur-tout les bons effets qu'avoient produit la deſcente dans le foſſé, & l'idée de pourſuivre l'ennemi, que le Vieillard embraſſa ſa fille, & excuſa ſon action en faveur du ſuccès.

Il étoit tard. Nos jeunes combattants étoient fatigués. On leur ſervit des rafraîchiſſements, & du Barri fut prié d'accepter un lit dans la maiſon. Il ſe rendit ſans peine à la premiére inſtance de Mlle de Cézelli. Il avoit admiré ſon intrépidité dans le combat. A ce ſentiment ſuccéda bientôt une émotion plus douce. L'amour avoit choiſi le moment du carnage pour bleſſer ſon cœur juſqu'alors inſenſible. Toute la nuit Conſtance fut préſente à ſon eſprit, toute la nuit il s'occupa des moyens de faire connoître les exploits de la jeune Héroïne, dans la Province entiére. Elevé dès ſon enfance parmi le tumulte des armes, il connoiſſoit peu les tendres penchants du cœur humain. Il croyoit rendre juſtice à la valeur de Conſtance quand il lui offroit l'hommage d'une vive tendreſſe.

La reconnoiſſance des Habitans envers Mlle de Cézelli, & lui, va lui ôter, pour quelques momens, la liberté de ſe connoître, & de ſe convaincre de la nature de ſes ſentiments.

Le bruit s'étant répandu que c'étoit à l'exemple de Conſtance que pluſieurs filles du peuple, & d'un ordre ſupérieur, oubliant la foibleſſe de leur ſexe, avoient vôlé à la défenſe des remparts; que Conſtance avoit beaucoup contribué à en chaſſer les ennemis, à les pourſuivre loin des murs, & à les détruire entiérement. De plus on ſçavoit que du Barri avoit une grande part à cette victoire: que, malgré la perte qu'il avoit fait ſous les murs de la Place la premiére fois qu'elle avoit été attaquée, il n'avoit pas héſité d'accourir à ſon ſecours, accompagné de quelques ſoldats, & d'une foule de Gentils-hommes raſſemblés à la hâte. Ce qu'il y avoit de Nobleſſe dans la Ville, & les plus notables Bourgeois, réſolurent de célébrer leur délivrance par une fête publique, & de la commencer par des remercîmens à Conſtance, & à du Barri. Ainſi on ſe rendit le matin en Corps, au bruit des inſtrumens militaires, de l'Artillerie, & de la Mouſqueterie, à la maiſon de Monſieur de Cézelli. On adreſſa à ſa fille, & à leur jeune hôte, les complimens, & les éloges les plus flateurs; on les invita a ſe mettre à la tête de la Bourgeoiſie juſqu'à l'Egliſe dans laquelle en alloit rendre grace au Ciel de la protection qu'il avoit accordée aux armes de la Ville.

Conſtance embraſſe ſon Pere qui ſuccomboit à ſa joie; dans ce moment le Conſul poſe ſur ſa tête une Couronne de Laurlers, & on prend le chemin de l'Egliſe. Le Peuple appelle, à grand cris, Conſtance, ſa libératrice. Le nom de du Barri eſt ſouvent mêlé dans ces acclamations flateuſes à celui de Mlle Cézelli; heureux préſages des liens qui uniront bientôt leurs cœurs. Un repas ſplendide étoit préparé à l'Hôtel Municipal. Tous deux y occuperent les premiéres places, à côté de Monſieur de Cézelli qu'on y avoit tranſporté dans un fauteuil à bras. La fête fut terminée par des obſéques honorables, & des éloges funébres de ceux qui avoient péri à la défenſe de la Place, & par une Collecte en faveur des Habitans bleſſés qui étoient d'une fortune au-deſſous de la médiocre.

CHAPITRE IV.

Amours de Du Barri pour Conſtance. Caractere de celle-ci. Le Patriotiſme de ſon Pere, & le ſien.

Du Barri fut moins touché de la part qu'il avoit eu à ces honneurs, que de celle que Conſtance y avoit méritée; il eût voulu qu'elle eût été le ſeul objet de la fête. Que ne lui fut-il poſſible d'attribuer à elle ſeule tout l'honneur de la défaite des Ennemis! Si ſes diſcours n'en perſuaderent pas l'aſſemblée, il eut du moins la ſatisfaction de la remettre ſouvent ſur les louanges de Mlle de Cézelli. Cette jeune Perſonne, auſſi modeſte que reconnoiſſante, s'étendit ſur les ſiennes avec la même ardeur: Dans ce combat de politeſſes, la paſſion naiſſante de du Barri, fit des progrès ſenſibles. Le nom de Conſtance excitoit une douce émotion dans ſon cœur; ſi ſes regards rencontroient les ſiens un trouble enchanteur s'emparoit de ſes ſens, l'Yvreſſe de ſon âme ſe peignoit dans la rougeur de ſon viſage. Il fut retenu encore cette nuit chez Monſieur de Cézelli. Il y goûta moins de repos que la veille. Conſtance ne ſortit point de ſon imagination. L'eſpéce de triomphe, dont ſa valeur venoit d'être honorée, étoit un nouveau motif de s'attacher de plus en plus à elle, mais il ne voyoit dans cette valeur même qu'un obſtacle de plus à ſes déſirs. Comment oſer croire qu'une âme ſi grande, ſi héroïque, permît quelqu'accès à la tendreſſe? Ne regardoit-elle pas ce penchant comme une foibleſſe indigne d'elle? Il avoit vu dans ſes yeux une vive reconnoiſſance, des marques d'eſtime; mais inſenſible au feu qui animoit les ſiens, avoit-elle paru un inſtant comprendre leur langage?

C'eſt ainſi que l'amour véritable eſt accompagné d'inquiétude & de craintes. C'eſt ainſi que du Barri à peine Amant ſe réputoit malheureux. Le jour le ſurprit dans ces triſtes réflexions. Ce tems n'étoit pas encore venu où la jeuneſſe préſomptueuſe, & pleine de confiance, ne devoit point croire de Beautés inſenſibles à ſon mérite, & à ſes attaques. Du Barri ne penſoit pas ainſi. Plus Conſtance lui paroiſſoit digne de ſa tendreſſe, plus il craignoit qu'elle fît un meilleur choix. Il voyoit approcher le moment de ſe ſéparer d'elle. Il n'en peut cacher ſon chagrin; après avoir pris pluſieurs fois la réſolution de lui déclarer les ſentimens qu'elle lui avoit inſpirés, il aima mieux reſter dans l'incertitude, que de s'expoſer à déplaire à Conſtance par un aveu trop précipité. La perpléxité, le trouble de ſon âme, percerent dans ſes adieux. S'il entendit avec une ſorte de plaiſir Monſieur de Cézelli, l'inviter à le venir voir ſouvent, l'impreſſion de cette preuve d'amitié céda bientôt au regret de quitter un ſéjour où il avoit reçu, pour ainſi dire, des mains de Conſtance, le prix de ſon zèle. Il part en proie à ſon impatience & à ſes réflexions. Faiſons connoître plus particuliérement Mlle de Cézelli au Lecteur.

Elle n'avoit pas encore dix-huit ans; une taille bien priſe, le teint du plus grand éclat, un air intéreſſant, la beauté de ſes yeux, la nobleſſe de ſon front, ſon regard doux & animé annonçoiént moins ce qu'on appelle communément de l'eſprit, qu'une douceur de caractere, que cette ſorte d'humanité qui s'attendrit ſur le ſort des malheureux. Elle étoit belle, mais de cette beauté, qui, ſi on peut le dire, emprunte encore plus de la bonté de l'âme que des graces de la Perfonne; ſon port étoit noble & dégagé, ſans étude, ſans contrainte; ſon ſourire attrayant ſembloit ne reſpirer que le deſir d'obliger: en un mot, ſi on eût pu ne conſidérer que ſa ſeule Perſonne, on l'eût priſe pour un ouvrage accompli de la Nature, ſi on n'eût vu que ſon âme, elle eût paſſé pour l'aſſemblage des plus beaux dons de l'Intelligence ſuprême.

Son Pere, qui lui-même avoit veillé à ſon éducation, avoit nourri, & fortifié en elle ces graces naïves & piquantes qui diſtinguent ſon ſexe, & le rendent les délices d'une ſociété choiſie.

Les troubles qui agitoient ſa Province, & tout le Royaume ne contribuerent pas peuà lui faire une habitude de la réflexion & du raiſonnement. Le bruit continuel des armes, les ravages, les dévaſtations, le pillage, les incendies; ſuites ordinaires des guerres civiles, firent des impreſſions profondes ſur ce jeune cœur: Son Pere, Royaliſte juſqu'à l'enthouſiaſme, lui expliqua avec ſoin les droits imperturbables du Souverain ſur ſes Sujets, & les devoirs des Sujets envers leur Souverain. Il l'embrâſa de ce zèle ardent pour ſon Prince & pour l'Etat dont il étoit dévoré lui-même.

Imbue de ces principes ſolides, Conſtance, dans un corps charmant, montra une ame dévouée au Roi & à la Patrie pour eux-mêmes, & une ardeur de courage qui alla juſqu'à l'intrépidité. Elle en donnera bientôt des preuves. Mais ces vertus tenoient de cette modération, de cette clémence qui faiſoient le fonds de ſon caractere. Son attachement pour l'Etat ne la porra jamais à ces violences criantes, à ces excès qui ont terni la mémoire de plus d'un Grand homme.

Aux attraits ſéduiſans de ſa figure relevée encore par un habit d'amazône qu'elle avoit pris pour combattre, eſt - il étonnant que du Barri ait ſenti les premiéres étincelles de l'amour, & que tant de dons réunis l'aient en un moment ſoumis à leur empire? Sa paſſion augmentoit à meſure qu'il connoiſſoit plus Conſtance. Dans tous les objets qui s'offroient à ſa vue, il ne voyoit qu'elle. Quelque violence qu'il ſe fit, il ne put différer que deux jours à lui rendre viſite. Il n'étoit éloigné de la Ville qu'elle habitoit, que de trois lieues; cette diſtance, & l'intervalle de deux jours pendant leſquels il ne l'avoit point vue, lui paroiſſoient immenſes. Il ſe rendit auprès d'elle, bien réſolu de lui découvrir le fond de ſon cœur, & d'apprendre du ſien ce qu'il avoit à craindre ou à eſpérer. C'étoit, ſe diſoit-il à lui-même, mourir de mille ſupplices que de flotter dans une ſi longue incertitude de ſon ſort. Cependant quelque occaſion qu'il en eut, il n'oſa jamais s'expliquer devant Mlle de Cézelli. Il s'en retourna ſans aucun éclairciſſement.

CHAPITRE V.

Mariage de ou Barri avec Conſtance, nouvelle preuve de ſon Patriotiſme.

Il ne tarda pas d'imaginer un prétexte qui le ramena à la Ville. Conſtance le reçut avec une certaine politeſſe mêlée d'embarras, qui l'interdit au point qu'il ſe fût encore retiré ſans annoncer le motif de ſes viſites; mais ſe défiant de ſoi-même, il avoit tracé ſes ſentimens ſur le papier. Il mit ce billet ſur le lit de Monſieur de Cézelli, dans un moment où il put le lire en liberté. Le Vieillard l'apperçut, ſe douta de l'artifice, & lut avec précipitation.

Un moment après, du Barri rentra dans ſa chambre, il l'aborde en tremblant, Cézelli ſourit, & lui parla ainſi“ Je n'aurois pas cru, Monſieur, “qu'un Chevalier courageux & intrépide comme vous, eût tant de timidité pour déclarer qu'il aime. Raſurez-vous, j'ai connu votre cœur “peut-être avant vous. Si j'euſſe déſaprouvé vos ſentimens, je vous aurois moins preſſé de m'accorder votre amitié. Je vous avoue même que “ſans vous nommer, j'ai preſſenti ma “fille ſur ſes diſpoſitions pour le mariage. Je ne me ſuis pas contenté “de ces réponſes vagues que font les “jeunes Perſonnes en pareille circonſtance. J'ai exigé qu'elle s'expliquât “avec préciſion, & ſans détour. Elle “m'a répliqué poſitivemevent qu'il “n'étoit pas tems encore qu'elle formât des nœuds de cette nature; mais “ne vous en allarmez point, j'ai cru “entrevoir que vous étiez la cauſe de “cette répugnance; je vous ai fait intervenir dans la converſation; ma “fille eſt devenue rêveuſe, & j'ai conclu “de-là, qu'elle n'éloignoit ſon mariage, que parce qu'elle craignoit “que mon choix ne fût tombé ſur “un autre. La rougeur qui lui eſt montée au viſage chaque fois que je lui “ai parlé de vous depuis ce moment, “m'a preſque confirmé dans cette “idée; ainſi allez vous promener une “heure dans la Ville, je ſonderai le “cœur de ma fille, & il ne dépendra “pas de moi qu'elle ne réponde à vos “ſentimens.„

Ces lueurs d'eſpérance, je ne ſçai quel mouvement d'amour propre inſpirerent plus de confiance à du Barri, il ſortit. Conſtance fut appellée; inſtruite de ſes deſſeins, elle avoua avec cette franchiſe, qui eſt le partage d'une ame élevée, que depuis qu'elle avoit vû du Barri dans le combat, elle éprouvoit des ſenſations qui lui avoient été juſqu'alors inconnues; qu'elle ne s'étoit pas long-tems diſſimulée à elle - même, que c'étoit l'effet d'un tendre penchant; qu'elle avoit fermement réſolu d'être unie à ce jeune Officier, ou de ne l'être à nul autre; & que, ſi elle avoit, dans quelques entretiens dont il pourroit ſe reſſouvenir, témoigné un grand éloignement pour le mariage, c'eſt qu'elle craignoit qu'il n'eût des vues ſur quelqu'autre jeune homme.

Monſieur de Cézelli ſourit à cette réponſe naïve, & s'occupa juſques au retour de du Barri à donner à ſa fille les conſeils que ſa ſageſſe lui dicta pour un engagement tel que celui qu'elle alloit former. Du Barri, impatient de ſçavoir le ſort qu'elle deſtinoit à ſes vœux, rentra bientôt. En l'apperçevant, Monſieur de Cézelli lui tendit les bras, & lui communiqua les ſentimens de Conſtance auſſi ingénuement qu'elle les lui avoit confiés à lui-même. Il tombe aux genoux de ſa Maîtreſſe, & ne peut lui marquer ſa reconnoiſſance que par ſes ſoupirs, & qu'en preſſant une de ſes mains ſur ſa bouche.

Après les tranſports que la certitude d'être aimés inſpira à ces jeunes cœurs, où néanmoins Conſtance mit un peu plus de retenue, on régla tout ce qui avoit rapport à la célébration du mariage. La ſituation de Monſieur de Cézelli, les malheurs qui accabloient la Province, empêcherent de faire cette cérémonie avec un certain éclat; mais ces circonſtances mêmes déterminerent la le retarder au-delà de quinze jours. Je gliſſe legérement ſur l'impatience avec laquelle du Barri attendit cet heureux moment, & ſur les diſcours paſſionnés qu'il tint dans cet intervalle à ſon aimable Conſtance. Les événemens qui ſuivent leur mariage ſont trop intéreſſans pour ne pas me hâter de les mettre ſous les yeux du Lecteur.

A peine ces Epoux jouiſſoient des plaiſirs qui ſont le prix d'une tendreſſe mutuelle, & de la ſatisfaction qu'une poſſeſſion chere & certaine ne manque pas d'inſpirer, que le bruit ſe répandit que le Roi de Navarre, à la tête d'un corps de troupes, avoit pénétré dans le Querci, & méditoit quelqu'entrepriſe d'éclat. Du Barri veut monter à cheval, ramaſſér ce qu'il pourra de ſoldats & de Nobleſſe, & tenter de s'oppoſer à ſa marche & à ſes progrès; Conſtance lui déclare qu'il lui ſeroit honteux de n'être ſa compagne que dans les ſoins, & les loiſirs domeſtiques.“ Cher Epoux “ ajoute-t'elle“ mon ſort eſt uni au vôtre “pour partager vos dangers comme “votre bonheur; rien ne pourra me “détourner de la réſolution de mourir ou de vaincre avec vous.„

Pendant ce peu de mots, Monſieur de Cézelli fondoit en larmes. „Quoi! “Conſtance, s'écrie-t-il, tu m'abandonnerois ſur ce lit de douleur, & “aux maux qui me conſument? Son gestu que tu ne peux t'éloigner ſans “me mettre au tombeau. L'honneur “appelle ton Epoux, il m'a parlé comme à lui. Mais le devoir exige de toi “que tu me conſoles dans les peines “que j'endure; que tu veilles à ce “reſte de vie que le Tout-Puiſſant “daigne me conſerver. Si mon amitié “t'eſt chere, ſi tu garde quelque ſouvenir de l'exiſtance que tu me dois, “des ſoins que j'ai pris de ton enfance, & pour former ton cœur à la “vertu, tu ne perceras pas ce ſein “où tu t'es repoſée, que tu as fait “palpiter de joie tant de fois. Ta premiere témérité a été heureuſe. “Crains que le Ciel qui donne la “force de combattre, ne punisse la ſeconde, “& te faſſe trouver une mort inutile “à la Patrie. Ma fille, le zèle indiſcret a perdu plus de Provinces qu'il “n'en a défendu. Vois mes pleurs, “vois ces cheveux blanchis dans les “haſards que tu veux courir ſans néceſſité, & ſans fruit. Ces bleſſures “qui me tourmentent ſans ceſſe, je “les ai reçues pour défendre ton “azile, pour garantir ton honneur, “tes jours des outrages du ſoldat “effréné, & tu me quitterois pour “étaler une vaine audace? Ah! Conſtance, ta véritable gloire eſt de remplir tes devoirs auprès de l'auteur “de tes jours, d'un Pere qui ne “ſupporte les maux cruels qui le “déchirent, que parce qu'il trouve “de la conſolation dans le tendre “intérêt que tu y prends, que parce “qu'il s'il eſt expoſé pour ton propre ſalut.

Du Barri joignit ſes repréſentations à celles de Monſieur de Cézelli, Conſtance les combattit avec toute la force du raiſonnement, dont ſon ardeur pour la gloire, & ſon enthouſiaſme patriotique la rendoient capable. Mais la voix de la nature l'emporta enfin dans ſon cœur. Allez donc, cher “Epoux, reprit-elle d'un ton pénétré; allez ſans moi à l'ennemi. Puiſſiez-vous en triompher avec un éclat “proportionné aux ſacrifices que je “fais à mon Pere! Puiſſe le Ciel vous “protéger, ſelon la juſtice de la cauſe “que vous défendez!

CHAPITRE VI.

Du Barri ſe ſignale à la priſe de Cahors. Le Roi de avarre le rencontre par - tout. Il eſt bleſſé & fait priſonnier.

Du Barri partit avec quelques gentilshommes de la ville & des environs. Par des nouveaux avis, ils ſçurent en chemin que le Roi de Navarre étoit entré par ſurpriſe dans Cahors; que depuis un jour les habitans s'y défendoient de poſte en poſte avec une valeur incroyable, mais qu'il n'y avoit pas d'apparence qu'ils arrivaſſent à tems pour la ſecourir. A cette fâcheuſe nouvelle, ils font la plus grande diligence, ramaſſent tout ce qu'ils peuvent de nobleſſe & de payſans de bonne volonté, & arrivent au nombre d'environ cent hommes le ſecond jour de l'attaque. Ce ſecours, tout foible qu'il étoit, releva le courage des habitans. L'ennemi étoit dans l'intérieur de la place, & en avoit ſoumis une grande partie en combattant de rue en rue. Barri viſite les poſtes qui ſe défendoient encore, multiplie les barricades, fait garnir les greniers des maiſons, de tuiles, de pierres, & de tout ce qui pouvoit incommoder l'ennemi ou ralentir ſon impétuoſité. Il diſtribua dans ces greniers les femmes, les vieillards, & les enfans hors d'état de porter les armes. Il n'oublia pas d'exagérer aux citoyens le ſecours qui leur étoit venu, d'exciter leur courage par de courtes harangues, & de preſcrire le plus grand ordre dans les opérations que l'état des choſes exigeoit.

Après des meſures ſi propres à lui gagner la confiance, il raſſembla les principaux des Officiers & des Citoyens, releva par des juſtes louanges, leur belle & opiniâtre défenſe, & leur déclara que le ſalut de leur ville dépendoit d'une attaque vigoureuſe & imprévue des principaux poſtes occupés par les ennemis. „Fatigués d'un combat “de deux jours, ils ſe repoſent “maintenant dans l'idée que vous “n'êtes pas moins épuiſés qu'eux; “c'eſt ce que nous aſſurent leur “ſilence & leur inaction: vers minuit, ils ſcront encore plus profondément enſevelis dans le ſommeil; ce ſera le tems favorable “de fondre ſur eux, de profiter de “leur confuſion, de les paſſer au “fil de l'épée & de les chaſſer de “vos murs.“

Ce projet fut approuvé de la plûpart des Officiers. Mais quelques Citoyens objecterent à du Barri qu'il ſeroit difficile d'engager des gens accablés de fatigue, & découragés par le mauvais ſuccès de la nuit précédente, (car c'étoit pendant cette nuit que les aſſiégeans s'étoient établis dans la partie qu'ils occupoient;) qu'il ſeroit difficile, dis-je, de les porter à combattre une ſeconde fois dans les ténebres. Du Barri jugea que les Proteſtans qui tenoient ce langage, avoient quelque intelligence ſecrette avec les aſſaillans, & pourroient les avertir de ſa réſolution: pour les empêcher d'abuſer de ſa confidence, il céda ſans replique à leurs raiſons, & parut abandonner entiérement ſon projet. Il ſortit de l'aſſemblée comme pour aller lui-même prendre le repos dont il avoit beſoin, après une marche forcée. Mais il rejoignit ſecrettement les Officiers qu'il avoit vu bien intentionnés, & n'eut pas de peine à leur faire approuver l'attaque. Le Commandant ſur - tout l'applaudit beaucoup, chargea du Barri de parcourir les Corps-de-Garde, d'en tirer Soldats & Habitans qui lui montreroient de la réſolution, de les raſſembler dans les lieux les plus convenables, & de leur ordonner de ſe tenir prêts à marcher au premier ſignal. Il en compoſa un petit corps d'environ ſix cents hommes. En attendant le moment fixé, on s'occupa à régler tout ce qui pouvoit concourir au ſuccès de l'entrepriſe.

A minuit on ſe dirigea ſur l'Evêché & le Séminaire, deux poſtes qui ſervoient de Place d'armes & de point de ralliement aux ennemis. On y marcha avec tant de ſecret que les Sentinelles furent égorgées; & les Portes enfoncées, avant que l'ennemi apperçût qu'il étoit attaqué. Ainſi ces poſtes furent repris ans preſque aucune perte. On y fit beaucoup de Priſonniers, qu'on garrotta & enchaîna faute d'un endroit ſûr, où on pût les garder. Après avoir laiſſé cent hommes au Séminaire, & autant à l'Evêché, le reſte alla fierement inſulter pluſieurs pelotons des Aſſiégeans.

Mais le Prince inſtruit de ces avantages, travailla avec une ardeur incroyable à en arrêter les ſuites, & à réparer ſes pertes. Les aſſiégés furent donc reçus avec beaucoup d'intrépidité. Les ſuccès qu'ils venoient d'avoir leur enfloient le cœur. Ils combattirent en déterminés, & ſoutinrent long-tems l'impétuoſité des ennemis, avec un égal avantage. Le Prince ſe portoit ſans ceſſe où le danger étoit le plus grand. Du Barri eut plus d'une fois l'honneur de ſe meſurer avec lui, & de cauſer du déſordre parmi ceux qui combattoient à ſes côtés. Henri étonné de le rencontrer à chaque pas, lui cria enfin en s'avançant à lui: “Ventre ſingri, Chevalier, eſt„ce à moi que vous en voulez? Ne „me ménagez pas: je ne ſuis qu'un “Soldat comme vous... Sire, vous “m'apprenez à faire mon devoir; „mourir pour mon Roi, eſt tout “ce que je veux.“

A ces mots, il ſe lance dans la mêlée, ſe fait jour juſques à un Drapeau, l'enleve, & revient aux ſiens avec ce glorieux trophée. Le Prince qui embraſſoit tout d'un coup d'œil, vit bientôt que rien ne remuoit dans les autres quartiers de la Ville. En Capitaine habile, il y fit faire de fauſſes attaques. Cette diverſion diviſa les forces des Royaliſtes. Les Habitans qui combattoient ſous les ordres de du Barri, ſourds à ſa voix, ſe débanderent & coururent à leurs maiſons, qu'ils croyoient déja au pillage. Les Aſſiégeans profitent de ce moment, courent aux deux poſtes qu'ils avoient perdus, en criant que la Ville étoit rendue. Cette fauſſe nouvelle, la menace de ne faire quartier à perſonne de ceux qui voudroient tenter une réſiſtance inutile, découragerent le peu de Soldats, commis à la garde de ces poſtes. Ils livrerent leurs Portes, & la plûpart prirent la fuite. Les Aſſiégeans déchaînerent leurs Priſonniers. Ceux-ci, animés à la vengeance, volent au combat. Les Habitans, excités par le danger, confus d'avoir laiſſé perdre des avantages d'une ſi grande importance, font les derniers efforts. Le carnage recommence avec furie; chaque rue eſt un champ de bataille jonché de morts; il pleut de deſſus les toits une grêle de pierres & de matieres enflammées: le ſang ruiſſelle; on n'entend que des cris lamentables de la part de ceux qui cédent, qu'acclamations de victoire de la part de ceux qui pourſuivent. Du Barri ſe porte par-tout, anime les Habitans par ſes diſcours & par ſes exemples; où il ſe trouve, le combat ſe rétablit, les ennemis perdent du terrein; va - t - il porter du ſecours ailleurs? les ſiens ſont enfomcés de nouveau: déja il avoit pouſſé les Aſſiégeans hors d'une rue entiere, & en avoit fait une horrible boucherie. Henri accourt, ſe met à la tête des ſiens, & reprend quelque avantage qu'il reperd bien-tôt: l'acharnement eſt tel de part & d'autre, qu'on ſe ſaiſit au corps, qu'on ſe foule aux pieds pour ne pas perdre le tems à ſe ſervir de l'épée. Enfin, la troupe de du Barri eſt repouſſée; elle l'abandonne, & couvert de ſang, & de pluſieurs bleſſures aſſez légeres, il eſt fait priſonnier, ſous les yeux de Henri. Ce Prince crie: „qu'on ménage ce Chevalier, qu'on “panſe ſes bleſſures, ventre-ſingri! “j'aimerois mieux gagner un Officier comme lui, qu'une Ville: “qu'on me le repréſente quand “celle-ci ſera ſoumiſe.“

Elle tint encore pendant deux jours , mais ce ne fut que pour combler ſes malheurs, par une plus grande perte de ſes Habitans: les progrès du Prince releverent autant le courage des ſiens, qu'ils abbatirent celui des Aſſiégés. Henri les pouſſa de barricades en barricades, & de rue en rue, avec moins de réſiſtance. Il crioit ſans ceſſe à ceux-ci: rendez-vous; & aux ſiens: épargnez leur ſang, ils ſont François comme nous. Mots ſublimes! & qui caractériſent ſi bien la généroſité, la bonté d'ame de ce grand Prince!

C'eſt ainſi que Louis XV, ce digne héritier de l'ame de Henri, & de ſon Trône, rendit la journée de Laufeld célebre par le diſcours qu'il tint au Général Ligonier, qu'on lui amena priſonnier: „Ne vaudroit - il “pas mieux, lui dit-il, ſonger ſérieuſêment à la paix, que de faire “périr tant de braves gens?“

La Ville enfin ſoumiſe, Henri donna les ordres les plus ſéveres, pour défendre le pillage & toute eſpece de violence; enſorte qu'au bout de quelques heures, la tranquillité fut rétablie, & que chacun fut auſſi libre, auſſi aſſuré chez ſoi qu'auparavant.

CHAPITRE VII.

Le Roi de avarre rend la liberté aux Priſonniers de marque, veut intimider du Barri, fait ſon éloge, le renvoye, lui donne ſon Cheval & ſon Epée.

Après ce premier ſoin qu'exigeoit l'intérêt & le bonheur de ſa conquête, Henri ſe fit amener les Priſonniers de marque. Il déplora en leur préſence la néceſſité où les ennemis du Roi & de l'Etat le réduiſoient de ſoutenir un parti opprimé, les armes à la main; loua le zele & la valeur de ces Officiers, donna des juſtes regrets à ceux qui étoient morts, voulut qu'on ſoignât les bleſſés avec la plus grande attention, & qu'on leur rendît leurs armes avec tout ce qu'ils pouvoient avoir perdu; en un mot, les combla de toutes les autres marques de bienveillance & d'humanité qui dépendirent de lui: „Pour ce Chevalier là, ajouta-t-il, en parlant à du Barri, je lui “réſerve un autre traitement; il a “fait perdre autant de monde depuis cette nuit, que j'en ai perdu “les deux jours précédens; & ſi “on avoit répondu à ſon zele, je “manquois mon coup; ventreſingri, je le punirai de m'avoir “donné de l'inquiétude... Seigneur, “ma vie eſt entre vos mains; vos reproches me flattent trop pour héſiter de la perdre en un ſi beau moment: j'ai ſervi mon Roi; & ſi des “preſſentimens, que le Ciel juſtifie “chaque jour, ne me trompent “point, vous le deviendrez avant “peu; je ſouhaite qu'alors votre “Majeſté ne trouve dans tous les “François que des Sujets fidéles... “Chevalier, ne pénétrons point “dans l'avenir; Dieu fera de moi “ce qu'il lui plaira; s'il m'appelle au Trône des François, “je les forcerai de m'aimer; mais “vous, ne craignez-vous point ma “colere? .... Non, Prince, & je “voudrois l'avoir méritée par la “défaite entière de vos Troupes.... “J'eſtime votre valeur, recevez „mon Cheval de bataille & cette “Epée; l'un vous reconduira chez “vous, l'autre vous fera reſſouvenir que je ſçais m'en ſervir auſſi; “voilà comme le Navarrois ſe venge d'un brave homme.“

Du Barri tombe aux pieds du Prince, & lui marque, par ſon trouble, plus énergique que les paroles, la vivacité des impreſſions & des ſentimens dont il eſt pénétré. Henri le releve, le conduit en s'appuyant ſur ſon épaule dans une autre piece, & l'engage, par les éloges & les promeſſes les plus avantageuſes, à s'attacher à ſa perſonne & à ſon parti: „Seigneur, répond du “Barri avec fermeté, ce parti eſt “rebelle à ſon Roi; il ne m'appartient pas d'en ſçavoir davantage; “mais, permettez-moi, Sire, de “continuer à vous parler avec franchiſe. Si ce parti ne vous avoit pas “à ſa tête, il ſeroit beaucoup moins “à craindre. Je vous vois gémir “dans votre cœur des maux qui déſolent un Royaume qui vous eſt “deſtiné. Votre caracterc eſt trop “bon, trop généreux, pour n'être “pas touché de ces déſordres, pour “ne pas ſéparer les intérêts du Roi “d'avec ceux de la Ligue. Cette aſſociation monſtrueuſe, n'a en vue “que l'aviliſſement de la maiſon “Royale. Voilà, Seigneur, ce que “vous ſçavez mieux que moi. Nous “ſacrifier au ſervice du Roi, à la “conſervation de ſa couronne, “n'eſt-ce pas vous ſervir vous-même, vous qui y avez des droits inconteſtables après ſa mort?.. Auſſi “n'eſt-ce pas contre Henri III que “je prends les armes, mais contre “les ambitieux ſuppôts de la Ligue. “Je m'en ſuis expliqué à la face de “toute l'Europe.... Ah! Prince, “vous le voyez aujourd'hui dans la “perſonne de Henri III. Un Souverain n'eſt pas toujours le maître “de faire à ſes ſujets tout le bien “qu'il deſire. Vous aimez les François, vous les portez dans vos “entrailles. Vous n'aſpirez qu'à “leur procurer une paix durable, “qu'à les rendre le plus heureux “peuple de la terre. Cependant, “Seigneur, vous voyez couler ſes “larmes, & ſon ſang inonder nos “Provinces. S'il m'étoit permis de “porter vos regards ſur des tems “plus malheureux encore, quelles “playes profondes ne vous faudra-t-il pas faire à ce peuple enchaîné “par les circonſtances, par les préventions du fanatiſme, avant de “parvenir à le convaincre des vertus bienfaiſantes de votre grande “ame! on verra alors le meilleur “des Rois, le plus digne d'être “aimé, celui dont les actions d'amour rempliront ſeules les faſtes “publics, qui ſera un objet éternel de reconnoiſſance, & de vénération: on vous verra, dis-je, “Seigneur, lutter contre les malheurs du tems, & ſacrifier à votre “valeur une partie de vos ſujets “pour ſauver l'autre. Vous friſſonnez! des pleurs s'échappent “de vos yeux! Ah! Prince, puiſſe le “Ciel écarter de votre perſonne, “& du ſein de la France, des fléaux “ſi terribles! puiſſiez-vous, Sire, “ne donner à votre Peuple que des “preuves de la bienveillance, de “l'affection paternelle dont vous “brûlez pour lui. Juſqu'à ce que le “Tout - Puiſſant imprime à vos “droits ſacrés leur dernier degré “d'authenticité, ſouffrez que je “conſacre à mon Roi le peu que “je puis; ma fidélité à ſon ſervice “me vaudra peut - être un jour un “favorable regard de votre Majeſté, “& je ne deſire rien de plus au „monde..... „Continuez, Chevalier, je ne vous oublierai pas: ſi “j'étois plus riche, je récompenſerois mieux un ſi beau zelel „adieu, ſi les choſes changent, “venez me trouver; je tâcherai de “juſtifier la bonne opinion que vous “avez de moi.“

Du Barri lui fit une inclination profonde, & ſe retira. En ſortant, un Officier lui dit que le Prince avoit ordonné une eſcorte pour lui & pour tous les Royaliſtes, qui, n'étant pas de la Ville, deſircroient de s'en retourner. Cette nouvelle attention de la part de Henri, ne fit qu'accroître les ſentimens de reſpect, qu'il avoit depuis long-tems pour ce jeune Héros. On les accompagna en effet, juſqu'à ce qu'on s'imagina qu'il n'y avoit plus à craindre pour leurs perſonnes.

CHAPITRE VIII.

Henri III nomme du Barri Gouverneur de Leucate; ſes ſervices dans ce poſte. Il met la Frontiere de Rouſſillon à contribution.

Si Barri avoit eu lieu de contempler de près les qualités héroïques, & la clémence du vainqueur, il n'en déploroit pas moins la perte d'une Ville, qui ouvroit la Province de Languedoc aux Rebelles juſqu'à ſa Capitale. Si le parti du Roi avoit eu du deſſous dans cette rencontre, les prodiges de valeur, la réſiſtance opiniâtre qu'il avoit faite, lui laiſſoit la conſolation qu'il ne méritoit aucun reproche. Enfin, ſi Madame du Barri devoit apprendre la nouvelle de la priſe de Cahors, du moins il lui rapportoit les éloges dont le Roi de Navarre avoit honoré ſon courage & ſa conduite, & les récompenſes qu'il avoit cru devoir lui accorder.

Ces conſidérations triſtes ou flateuſes, l'occuperent juſques chezlui. A ſon ſilence morne, à ſon air abbatu, Conſtance comprit ſans peine que les Royaliſtes avoient été vaincus. Leur malheur diminua la joie qu'elle avoit de voir ſon mari. Le Cheval, l'Epée, dont le Roi de Navarre avoit récompenſé ſon intrépidité, en étoient un témoignage bien flatteur. Conſtance fut ravie que ſon époux eut moiſſonné des lauriers, même dans un Champ où la victoire s'étoit déclarée pour les ennemis. Elle avoit trop de jugement pour ne pas convenir qu'une défaite où l'on ne ſuccombe qu'à la diſcipline, n'eſt pas ſans honneur pour les vaincus. Elle avoit trop de fermeté, pour ſe laiſſer abbatre par un revers. Ainſi, nos deux époux s'occuperent à relever le courage de leur parti. Ils viſitoient la Nobleſſe des environs; l'affermiſſoient dans ſon devoir. Du Barri apprenoit-il qu'un Bourg, qu'une Ville, étoient menacés? il ramaſſoit ce qu'il pouvoit de forces, & s'y jettoit en attendant l'ennemi. Il lui dreſſoit des ambuſcades, le ſurprenoit dans ſes marches, évantoit ſes deſſeins, & les faiſoit connoître aux Officiers ſupérieurs. Henri III, inſtruit des ſervices importans que lui rendoit ce brave ſerviteur, lui donna un Gouvernement dans la Province. Leucate, ville conſidérable alors, à ſix lieues de Narbonne, & à pareille diſtance de Perpignan, étoit défendue par une bonne Citadelle .

C'étoit un poſte important, ſur les frontieres du Languedoc & du Rouſſillon. Les Eſpagnols, fauteurs des troubles, & qui, comme je l'ai dit plus haut, ſoutenoient laLigue pour leurs intérêts propres, le regardoient avec raiſon comme une clef de la France. Henri III, pour le même motif, avoit à cœur de conſerver cette place: ainſi, il en donna le Gouvernement à du Barri, comme une récompenſe de ſes ſervices paſſés, & comme un poſte où il ne manqueroit pas d'occaſion de ſignaler ſon zele pour ſa perſonne. En effet, le nouveau Gouverneur n'oublia rien pour le mettre hors d'inſulte. Il fit réparer les fortifications, le pourvut d'armes, & de munitions de toute eſpece; diſciplina les Bourgeois, pour en augmenter ſa petite garniſon, en cas de ſiége, & inſpira ſon zele patriotique à tous les Habitans de Leucate & des environs, au point qu'il ſe vit un corps de troupes reſpectable, prêt à marcher à ſes premiers ordres. On n'en ſera point ſurpris, ſi l'on fait attention que le nom de du Barri, connu dans la Province, y inſpiroit ſeul de la confiance; que tandis que toutes les Campagnes étoient dévaſtées & pillées, celles qui étoient ſous la protection directe de Leucate, ne ſe reſſentoit preſque point de la Guerre; que le Payſan enſemençoit ſes terres, dans la certitude d'en faire la récolte.

Tel fut le premier effet des ſorties, & des patrouilles fréquentes ordonnées, & ſouvent commandées par le gouverneur lui-même. Telle fut la terreur que ſa vigilance imprima, que l'ennemi n'oſa plus paroître dans l'étendue de ſon gouvernement. Barri n'ignoroit pas que la ſûreté dont on jouiſſoit autour de lui, inſpireroit une nonchalance, & une ſécurité funeſte. Peu ſatisfait de contenir les ennemis loin de la place, il réſolut de pouſſer des détachemens juſques dans le Rouſſillon. Il excita les bourgeois & les payſans à en partager la gloire & les périls, en leur offrant un butin aſſuré. Il avoit un autre motif ſecret d'entreprendre des expéditions. La Cour, dans une diſette affreuſe, n'étoit pas en état de payer la garniſon, & de renouveller ſes aproviſionnemens, & ſes munitions. Les uns & les autres diminuoient conſidérablement; s'il ne s'en procuroit à la pointe de l'épée, il ne pourroit faire une longue réſiſtance s'il étoit attaqué, & il étoit bien informé que les Eſpagnols & les Ligueurs le voyoient d'un mauvais œil braver en quelque ſorte leur puiſſance. Il forma donc un détachement de gens déterminés, ſe mit à leur tête, & ſe répandit dans les Bourgs & dans les Villages ſur les frontieres du Rouſſillon. Il en rapporta un butin conſidérable dont il abandonna aux ſoldats tout ce qu'il ne pouvoit pas appliquer au ſervice de la place. Il réitéra ſes détachemens & les pouſſa quelquefois juſques ſous les murs de Peroignan; les ſoldats, les bourgeois, les payſans ſe diſputoient, par intérêt, l'honneur d'en être. Ainſi non - ſeulement du Barri avoit mis le pays à couvert des incurſions des Ligueurs & de leurs alliés; mais il avoit encore l'art de le faire ſubſiſter à leurs dépens. La fortune jalouſe de ces ſuccès fit bientôt ſuccéder, à la joie qu'en reſſentoient nos époux, la douleur & les regrets.

Monſieur de Cézelli, épuiſé par des infirmités contre leſquelles il luttoit depuis ltantd'années, y ſuccomba enfin; ſes maux n'avoient point diminué les agrémens de ſon commerce, ni ralenti ſa tendreſſe pour ſes enfans. Ceux-ci furent dans une déſolation inexprimable de ſa mort. Preſque toute la ville n'y fût pas moins ſenſible. Monſieur de Cézelli jouiſſoit de l'eſtime générale; ce ſentiment ſi propre à le faire regretter davantage devint peu à peu un motif de conſolation pour Monſieur & Madame du Barri. Il eſt ſi doux de voir la mémoire de nos proches honorée par nos concitoyens; cette ſeconde vie que leurs vertus leur ont procurée, dédommage en quelque ſorte leur poſtérité de celle qu'ils ont perdue.

CHAPITRE IX.

Henri IV, parvenu à la Couronne, confire du Barri dans ſon Gouvernement. Leucate aſſiégée; ſoins de du Barripour la défenfe de cette place.

Tandis que, par ſon intelligence & ſon intrépidité, Barri faiſoit reſpecter les armes de Henri III, à une des extrémités du Royaume, ce Prince, au cœur de la France, au milieu de ſa Cour, environné d'ennemis, bravé, menacé de toutes parts par les chefs audacieux de la Ligue, avoit été contraint de ſe réconcilier avec le Roi de Navarre, & d'implorer ſon ſecours. Henri, toujours généreux & magnanime étoit accouru venger l'honneur du Trône, & celui du Monarque. Les Ligueurs virent du premier coupd'œil ce qu'ils avoient à craindre de la réunion de ces deux Princes. Déja ils étoient aux portes de Paris, à la tête d'une petite armée qui groſſiſſoit tous les jours. La Ligue vômit de ſon ſein un monſtre qui plongea le poignard dans le cœur de Henri III. Le coup étoit mortel. Le Prince ne ſurvécut que quelques heures. Le Roi de Navarre entre dans ſa chambre au moment qu'il venoit d'expirer, ſe jette ſur le corps ſanglant, l'embraſſe avec tranſport, & le cœur gros de ſoupirs, il s'écrie „Les larmes ne le feront pas revivre. “Les vraies preuves d'affection, & „de fidélité ſont de le venger. Pour “moi, j'y ſacrifierai ma vie: nous “ſommes tous François, & il n'ya “rien qui nous diſtingue aux devoirs “que nous devons à notre Roi, & “au ſervice de notre Patrie.

A peine ce Prince eut-il été proclamé Roi de France par les troupes qu'il commandoit, & par le petit nombre des Seigneurs fidéles, qu'il fit écrire à du Barri qu'il étoit ſon Roi, qu'ils ſeroient amis déſormais, qu'il le confirmoit dans ſon gouvernement, juſqu'à ce qu'en poſſeſſion du Royaume ou de la plus grande partie, il lui fût poſſible de mieux récompenſer ſon courage & ſa fidélité.

Du Barri, au comble de ſa joie de voir ſes preſſentimens accomplis, répondit qu'il ne pouvoit que ſacrifier ſa vie pour le nouveau Roi des François.

A peine cette nouvelle fut répandue dans la ville, qu'un événement non moins heureux pour du Barri, augmenta la joie publique. Depuis ſon mariage, il avoit deſiré en vain des fruits de ſon amour. Le Ciel touché de ſes ſoupirs, lui accorda enfin cette faveur ſi propre à reſſerrer les plus beaux nœuds. Le jour même qu'il reçut ſes proviſions, Conſtance donna le jour à un fils. Sa naiſſance ſous de ſi heureux auſpices redoubla les tranſports d'allégreſſe dans toute la ville. On la célébra par des fêtes & des réjouiſſances qui durerent pluſieurs jours. D'une commune voix, on appella le petit S. Aunez, Hercule, nom qu'il conſerva & mérita dans la ſuite. Son père étoit tranſporté de tant de marques de zele & d'eſtime. Comme il goûtoit le plaiſir de ſe voir revivre dans un autre lui - même! Que de doux embraſſemens il prodigua à cette innocente créature, & à ſa mere! Ses regards attendris, pleins de ſatisfaction, erroient de l'une à l'autre. Il prenoit ſon fils, le preſſoit ſur ſon cœur. Il retournoit à ſon épouſe, & ne pouvoit lui exprimer que par ſes ſoupirs ſa vive tendreſſe & ſes remercimens: „Chere compagne, “s'écrioit-il, après toi, voilà le “plus grand des bienfaits que le Ciel “m'ait accordé: nous recevons une “vie nouvelle.... Nous nous aimerons encore davantage, répliquoit “Madame du Barri, cet enfant, “gage de ton amour, ſera l'objet “de ta complaiſance, & le garant “de notre commune felicité.“

Après ces douces effuſions de cœur, chacun retournoit à ſes devoirs. Car tel eſt l'effet d'une paſſion honnête, qu'elle n'eſt pleinement ſatisfaite que par notre exactitude à remplir tout ce que notre état nous impoſe d'obligations. Peut-on s'aimer véritablement, quand on a des reproches ſecrets à ſe faire? L'attachement mutuel de ces deux époux étoit une eſpece de flambeau qui les éclairoit dans les moindres détails confiés à leurs ſoins. Pendant les ſix mois qui ſuivirent la naiſſance de leurs fils, ſans incident fâcheux, dans une douce tranquillité, ils s'occupoient ainſi alternativement de ce qu'ils devoient à leur place, & à eux-mêmes. La plus furieuſe tempête ſuccéda bientôt à ce calme profond.

Les Eſpagnols irrités des incurſions que le Gouverneur de Leucate avoit oſé faire dans un pays de leur domination, ſe joignirent aux Ligueurs répandus dans le Languedoc, & cauſerent le dégat juſques ſous les murs de Leucate. Du Barri les repouſſa avec perte conſidérable des leurs; mais il comprit que leur deſſein étoit de faire le ſiége de Leucate. Il la munit de tout ce qui pouvoit lui être néceſſaire; y fit entrer des forces ſuffiſantes, & ſe prépara à un edéfen ſe opiniâtre.

CHAPITRE X.

Le Gouverneur eſt pris par les Ligueurs; ſa fermeté, celle de Conſtance: il eſt maſſacré.

Les ennemis connoiſſoient trop ſon courage & ſon activité, pour regarder Leucate comme une conquête facile. Peu raſſurés par le nombre de leurs troupes, ils chercherent à joindre l'artifice à la force. Ils tenterent de corrompre la fidélité du Gouverneur & de ſe procurer des intelligences dans la place qui puſſent les en défaire; mais il étoit trop affermi dans ſon devoir, & trop chéri des habitans. Ceux-ci l'inſtruiſirent des démarches odieuſes que les rebelles faiſoient auprès d'eux. Il ne manqua pas d'apprendre aux ennemis que leurs attentats lui étoient connus. Couverts de confuſion, déſeſpérant du ſuccès, ils n'avoient encore oſé former le ſiége: les ſoldats étoient découragés par le peu d'aſſurance de leurs chefs, & par de mouvemens continuels & ſans fruit. Déja les rebelles s'éloignoient, & on ſe flattoit dans la ville qu'ils ne l'aſſiégeroient point. Un événement qu'on ne peut lire dans l'hiſtoire ſans être frappé d'horreur & d'indignation, & qui eſt le comble des cruautés dont le fanatiſme eſt capable, va changer la face des affaires. Le Gouverneur avoit des avis & des projets de la derniere importance à communiquer au Duc de Montmorenci, qui commandoit en chef dans le Languedoc: ſoit qu'il fallût qu'il s'abouchât avec ce Général, ſoit qu'il ne connût perſonne autour de lui en état de s'acquiter exactement de cette commiſſion; il n'écoute que ſon zèle, part, & tombe malheureuſement entre les mains des Ligueurs. Ceux-ci marchent auſſi tôt avec les Eſpagnols ſur Leucate, l'inveſtiſſent & pouſſent les travaux du ſiége avec la derniere vigueur.

Conſtance informée du ſort de ſon mari, en avoit été conſternée, la douleur avoit ſuſpendu un moment dans l'ame de cette héroïne ſon intrépidité naturelle. Elle ne ſentoit que trop ce qu'elle avoit à redouter, pour une tête ſi chere, de la férocité des ennemis. Après avoir payé ce juſte tribut à la nature, le zèle patriotique, l'intérêt de l'état qui l'embraſoient, ſécherent peu-à-peu ſes pleurs. Du Barri en partant lui avoit remis le commandement de la Place. Les Officiers s'étoient écriés unanimement qu'elle étoit digne d'en remplir les fonctions, & qu'ils lui obéiroient comme à lui-même; ainſi Conſtance, à la premiere approche des ennemis, parcourt les remparts, & donne les ordres avec une fermeté qui étoit le comble de l'héroïſme dans l'extrême accablement où elle ſe trouvoit. Dans des ſorties faites à propos, elle combloit les tranchées des ennemis, démontoit, enclouoit, ou enlevoit leur artillerie. La ſienne étoit ſervie avec tant de capacité & de ſuccès, qu'elle foudroyoit par-tout les Aſſiégeans. Depuis près de quinze jours, les ennemis, malgré leur animoſité & leurs efforts, ne pouvoient ſe flater que de très-médiocres progrès, & avoient perdu beaucoup de monde. Une réſiſtance ſi inattendue de la part d'une femme, inflexible aux menaces réitérées qu'on lui avoit faites de maſſacrer ſon mari ſous ſes yeux, ſi elle ne ſe rendoit pas, dans une fortereſſe preſque iſolée, & qui n'avoit nul eſpoir de ſecours; cette réſiſtance, dis - je, excita la fureur des chefs. Chaque jour, on avoit tout mis en uſage pour ébranler la fidélité du Gouverneur. Le Général Eſpagnol le fait venir devant lui: avec un zèle & des éloges perfides, il lui repréſente qu'il eſt honteux qu'un Officier de ſon mérite, ne ſoit, après tant de ſervices, que Commandant d'une Bicoque; que pays étranger pour pays étranger, la prudence, l'intérêt de ſa famille, exigeoient qu'il préférât celui qui lui donneroit le plus d'avantages; que s'il s'attachoit à l'Eſpagne, elle le gratifieroit, non - ſeulement de terres conſidérables, mais encore, qu'elle l'éleveroit aux premieres dignités militaires; que quoiqu'abandonné lui-même, dans le coin d'une Province, il ſçavoit de bonne part que les François de ſa faction étoient jaloux de ſon Gouvernement, ſi on pouvoit l'appeller ainſi; qu'il ſuccomberoit bientôt ſous les traits de l'envie, ou ſous les forces combinées de la ſainte Ligue & de l'Eſpagne; que le Prince qu'il ſervoit, Roi de nom, haï, abandonné de tous ſes Sujets, chaſſé du Royaume dans quelques mois, ne trouveroit pas un aſyle dans l'Europe entiere, & ſeroit obligé d'en aller mendier chez les Potentats Aſiatiques. „La vérité, ajouta-t-il, la ſaine politique, votre honneur, votre avancement, vous parlent par ma bouche; une puiſſance juſtement irritée des ravages que vous avez cauſés ſur ſes “terres, veut bien vous les pardonner, vous tendre les bras, & vous “offrir une fortune & des honneurs; ne laſſez pas ſes bontés “par de nouveaux refus; forcée à “punir, elle déployeroit ſur vous “toute la rigueur des ſupplices... “Je n'ai pas beſoin de fortune, ni “de dignités; l'honneur de mourir “ſujet fidéle, eſt toute mon ambition; la France eſt la Patrie de mon “choix; je la ſervirai juſqu'au dernier ſoupir; vos fureurs, & celles „de la Ligue, contre le Roi & l'Etat “attireront ſur vous la vengeance “céleſte; le Tout-Puiſſant eſt trop “juſte pour vous accorder le ſuccès “que vous vous promettez; les “François rougiront de leur aveuglement, & déteſteront une nation que les arment pour la détruire, “& pour s'enrichir de leurs dépouilles; ils repouſſeront les feux dont “vous dévorez leur Patrie ſur l'Eſpagne elle - même, & vainqueurs de “leurs tyrans, ils ne leur feront ſentir leur domination que pour les “rendre plus heureux; tels ſont “du moins les vœux que je fais “pour mes compatriotes & pour “les vôtres. Telle eſt ma réponſe; vos menaces, ni leur effet, “ne m'en arracheront point d'autre; vous pouvez préparer vos “tortures... Eſpagnol, bouillant “de colere, le fit charger de fers, “& jetter dans un cachot.“

Le lendemain matin, les aſſiégeans envoyerent un trompêtte dans la ville; conduit chez Conſtance avec les précautions accoutumées, il lui déclara, de la part de ſes Généraux, qu'ils alloient faire mourir ſon mari dans les tourmens, ſi elle ne leur ouvroit les portes de la ville & de la citadelle.

Madame du Barri se fit violence pour ne point laiſſer appercevoir le déchirement que lui cauſoit une pareille menace; elle répondit avec fermeté, que s'ils vouloient commettre un crime, elle ne croyoit pas devoir les arrêter par une lâcheté, &qu'elle ne rachetera jamais la vie de ſon mari en livrant une fortereſſe pour la conſervation de laquelle il feroit gloire de mourir. Le trompette fut ramené hors de la ville, un bandeau ſur les yeux. Les Généraux irrités d'une réponſe qu'ils devoient admirer, jugerent à propos néanmoins de la communiquer à du Barri, & de faire un dernier effort pour le gagner. Ils y employerent ſucceſſivement & les procédés les plus affreux, & les menaces les plus terribles. Il les écouta d'un air ſerein, & repliqua: „Ma femme ne ſeroit pas digne ni d'elle ni de moi, ſi elle “avoit la lâcheté de vous rendre “une Place que le Roi m'a confiée; “je remercie le Ciel de lui avoir “inſpiré le refus courageux dont “vous vous plaignez. Sûr qu'elle “s'enterrera ſous les ruines de Leucate, j'attends la mort ſans crainte; aſſouviſſez votre rage, appellez vos bourreaux. Je ſurvivrai “à moi-même dans une chere “épouſe.

Les rebelles l'accablerent d'injures & d'outrages, l'entraînerent ſur une éminence d'où il pouvoit être vu des aſſiégés, & s'efforcent de l'émouvoir par tout ce que l'appareil des tourmens a de plus affreux. Ferme: il promene un regard tranquille ſur les inſtrumens, ſur les miniſtres de ſon ſupplice. Les barbares qui l'ordonnoient, déſeſpérant de vaincre ſon courage, tinrent conſeil entre eux, & réſolurent de l'amollir par les larmes même de ſon épouſe; ils lui envoyerent un ſecond trompette, pour lui offrir un ſauf-conduit, une trêve de quelques heures, & pour l'inviter à venir arracher du Barri à une mort que ſon obſtination rendoit inévitable. Elle réfléchit un moment, accepte la trêve, en rend & donne les ôtages, & ſe rend dans le camp ennemi. Les Généraux la reçoivent à l'endroit même où ils avoient conduit ſon mari, & où il étoit entouré de tous les apprêts de ſon ſupplice, à ce ſpectacle ſes genoux tremblent ſous ſon corps, quelques larmes coulent de ſes yeux, du Barri allarmé de ces premieres marques d'abbatement lui tend les bras & s'écrie: „Chere Conſtance, tout “ce que tu vois eſt préparé pour “mon triomphe. Je vais recevoir “le digne prix de mon zele: ſois “ferme dans ton devoir, & tout ce “que la mort a de plus horrible “n'altérera pas la paix de mon ame.“

Ce peu de mots rendit à Conſtance toute ſa fermeté: „Non, reprend - elle, en s'adreſſant aux chefs des Rebelles,“ la mort de “mon mari ne me fera point changer de réſolution; il m'a inſpiré “ſon dévouement à la patrie; répandez, répandez mon ſang avec “le ſien; violer la trêve ne ſera “pas plus honteux pour vous, que “d'égorger un homme qui vous “force à l'eſtimer; ſi l'échange de “tous les priſonniers qu'il a faits ne “vous ſuffit pas pour ſa perſonne, “ſi les larmes d'une épouſe, ſi la voix “de l'humanité ne vous donnent “point d'horreur d'un crime attroce, frappez votre victime; ſon ſang “s'élevera juſqu'au Ciel, & en provoquera les carreaux vengeurs; “ſon nom ſera cher à la poſtérité, “& le vôtre n'y paſſera que pour en “être l'exécration.... Cher époux, “tu ſuccombes à la barbarie de tes “ennemis! mais vois ton Roi qui “pleure ſur ton ſort! vois la patrie “qui t'érige dans ſon cœur un trophée immortel! vois une épouſe “qui jure de verſer juſqu'à la derniere goutte de ſon ſang pour te “venger! vois dans tes bourreaux “mêmes les inſtrumens de la gloire! Embraſſons-nous pour la derniere fois; tu vivras toujours dans “le cœur de ton épouſe; tu n'y auras “de rival que l'honneur“

A ces adieux déchirans, la plûpart des rebelles fondoient en larmes. Plus leurs chefs remarquoient de grandeur d'ame dans ces époux, plus leur rage contre le Gouverneur s'envenimoit. Furieux de ſe voir bravés & vaincus par un ſexe ſi foible, ſe flatant que la Viile tomberoit en leur pouvoir, dès qu'ils ſeroient délivrés de ſon généreux défenſeur, ils ſe déterminerent enfin à conſommer une des plus barbares actions qui nous ſoient préſentées par l'hiſtoire. Le Commandant Eſpagnol éleve la voix, & dit à Madame du Barri, que puiſqu'elle ne veut pas ſauver la vie à ſon mari, il va commencer à exercer ſur lui les rigueurs qu'il prépare à toute la Ville. Mots terriribles, qui cauſerent un friſſonnement univerſel à Conſtance! elle inonde de ſes pleurs le ſein de Barri, entrelace ſes bras autour de lui, & veut mourir des mêmes coups. Attendri, ſuffoqué par ſa douleur, du Barri rappelle ſa raiſon & ſon courage: „Ne ternis point, chere „épouſe, le plus beau moment de „ma vie: laiſſe m'en achever le ſacrifice ſans foibleſſe: fuis un lieu “qui n'eſt funeſte qu'à notre amour: “je lis dans les yeux de nos ennemis, qu'ils n'épargneroient pas “ton ſang: nous mourrions ſans “eſpoir d'être vengés; Leucate “tomberoit au pouvoir des rebelles: tu te dois à la Patrie plus “qu'à moi; ne m'envie point “la gloire de te le prouver, par “mon exemple; fuis... adieu... chere “Conſtance: tu reſtes à Leucate, “à mon fils; puiſſe cet enfant jouir “d'un meilleur ſort:... adieu!“

Il fait ſigne à ceux qui avoient accompagné cette épouſe infortunée, de l'ôter de ſes bras, baignés de larmes. Ceux-ci lançant ſur les rebelles des regards farouches & menaçans, exécuterent l'ordre de leur Gouverneur; ils enlevent Conſtance: Barri la ſuit un moment des yeux, ſe tourne du côté des ennemis, & provoque leur fureur d'un air tranquille & aſſuré. Les Généraux donnent le fatal ſignal. Les miniſtres de leur barbarie ſe précipitent ſur lui, la hache à la main, & il expire ſous leurs coups. Au bruit de cette ſanglante exécution, Conſtance, évanouie, ſembla ſe ranimer, tourna la tête, & retomba ſans connoiſſance, & preſque ſans vie.

CHAPITRE XI.

Conſtance obtient le Corps de du Barri. Les Aſſiégés veulent maſſacrer par repreſailles les Priſonniers. Généroſité de Conſtance; elle leur rend la liberté.

A PEINe l'eut on rentrée dans la Ville, que les Habitans s'arrachent les cheveux, & rempliſſent l'air de cris lugubres & d'exécration contre les ennemis, l'entourent, & lui jurent de verſer leur ſang pour venger la mort de leur Gouverneur. Au mot de vengeance, Conſtance entr'ouvre une paupiere mourante, & pouſſe un profond ſoupir. On lui donne tous les ſecours que ſa ſituation exigeoit; elle revient à elle. L'affluence d'Officiers & de Peuple qui l'environnoient, & qui crioient: „vengeance, vengeance; qu'on “nous mene à ces monſtres feroces, “fut pour elle une foible conſolation d'une ſi grande perte. Cependant leurs ſermens, ces marques d'attachement & de douleur, lui rappellerent peu à peu le motif du ſacrifice qu'elle venoit de faire à leur ſalut. Les ennemis lui renvoyerent ſes ôtages, redemanderent les leurs, & déclarerent l'armiſtice rompu. Conſtance écrivit aux Généraux un billet baigné de ſes larmes, où elle les conjuroit de ne pas lui refuſer le corps de ſon mari. Soit qu'ils fuſſent déja en proie aux remords, ſoit que la pitié eut ſuccédé dans leur cœur à un excès de cruauté, ils renvoyerent le cadavre, même avec une certaine pompe. Je ne décrirai point les cris, les gémiſſemens, la déſolation, que la vue de ce corps enſanglanté, excita dans toute la Ville. L'eſtime, la réputation que le Gouverneur s'étoit acquiſe, les feront préſumer ſans peine au lecteur. Je me contenterai de dire que le deuil fut général, que le moindre des Habitans fondoit en larmes à ſes obſéques, & que ſon tombeau fut long-tems l'objet d'une ſorte de vénération & de regrets publics.

J'ai déja fait entendre que Conſtance ne ſe livra pas tellement à ſa douleur, qu'elle oubliât les ſoins qu'elle devoit à la conſervation de la place. Elle veilla en effet à ce que les ennemis ne puſſent tirer aucun avantage de l'eſpece de déſordre qu'un événement ſi tragique avoit jetté parmi les Habitans. Elle en viſita, dès le même jour, les fortifications, renforça les CorpsdeGardes, & pourvût à tout avec autant d'activité que de préſence d'eſprit.

Elle s'occupoit ainſi de la ſûreté d'une Place que le coup le plus cruel venoit d'abandonner à ſes ſoins, & que l'intérêt de ſa vengeance, ainſi que le vœu unanime de ſa garniſon & de ſes habitans, l'engagoit de plus en plus à défendre. Une foule de peuple s'étoit aſſemblée autour d'elle, la ſuivoit, tantôt dans un morne ſilence, tantôt en frappant l'air des cris de ſa douleur, & des ſermens de ſacrifier leur vie à exterminer les meurtriers de leur Gouverneur. Conſtance remercioit un peuple touché de ſes malheurs, ſi tranſporté d'indignation contre ſes ennemis, quand tout à coup il s'éléve une voix qui s'écrie: „que tardons-nous à faire “couler le ſang des bourreaux de “notre Chef; nous avons de leurs “priſonniers, allons les maſſacrer “ſur nos remparts.“ Jamais repreſailles ne furent ſi juſtes. Tout le peuple répéte: allons les maſſacrer ſur nos remparts, & preſſe Conſtance de lui livrer les priſonniers. Déja cette populace forcenée marche à l'endroit où les priſonniers ſont renfermés. Conſtance, à force de prieres & de larmes, parvient à les arrêter, à en obtenir un moment de ſilence, & leur parle à peu près en ces termes: „Votre “zèle, mes amis, eſt le plus grand “motif de conſolation pour moi; “l'horreur que vous inſpire un “crime atroce, eſt le plus digne “éloge qu'il ſoit poſſible d'adreſſer “au brave défenſeur que nous “pleurons. Mais ne nous laiſſons “point aveugler par une ardeur de “vengeance, qui nous confondroit “avec des monſtres indignes du “nom d'hommes. Qu'exige de “nous le ſang de mon mari? pourquoi a-t-il immolé ſa vie? Que “nous faſſions ce qu'il feroit s'il “vivoit, c'eſt-à-dire, de nous enſevelir tous ſous les ruines de “cette Ville avant de la rendre, pour “la conſerver au Roi notre maître “légitime: eh! croyez-vous, mes “enfans, que le Ciel, irrité contre “nos ennemis par une action auſſi “lâche qu'inouie, ne nous aban“donneroit pas nous - même, ſi „nous oſions nous rendre auſſi cou“pables qu'ils le ſont à ſes yeux. “Les entrailles de l'Eternel ſont “émues à la vue du ſang innocent “répandu; ſon bras s'arme pour “en tirer une vengeance, qui n'appartient qu'à lui. Voulez - vous “qu'il ſeconde, qu'il couronne nos “efforts, repoſons-nous ſur ſa puiſſance d'un intérêt ſi cher; ne ſouillons ni la cauſe que nous défendons, ni la mémoire de mon “mari. Son ſang, ſes manes, nous “crient vengeance. C'eſt à notre “valeur, à nos juſtes armes, de la “ſatisfaire; repouſſons les ennemis, exterminons-les, s'il ſe peut, „juſqu'au dernier, mais à force “ouverte, par la ſupériorité de “notre courage. Ne juſtifions point “leur crime par un autre. Qu'un “reſſentiment, hélas! trop fondé, “ne nous inſpire que des actions „auſſi humaines, auſſi pures, que “leur aveugle animoſité leur en a “inſpiré d'atroces. Vous parlez de „repreſailles? ah! ce moyen eſt “la honte, l'opprobre de l'humanité. C'eſt une reſſource que le “démon des combats a inventé “pour avilir, pour détruire plus „facilement l'eſpece humaine, condamnée par la nature, abhorrée “par le Ciel: cette loi barbare n'a “de force que dans les maîns des “tyrans, des deſtructeurs du monde. “Eh! quoi, oublierons-nous que “les hommes ſont nos freres, parce “qu'il en eſt qui l'ont oublié? Parce “que des perfides font couler mes “larmes & les vôtres, enfoncerons-nous le poignard dans le cœur de “vingt familles, déja accablées ſous “le poids des allarmes & de la “guerre? Si nous ſommes malheureux, eſt - ce une raiſon pour “en augmenter le nombre? D'ailleurs, à quelles conditions ces Priſonniers, que vous demandez que “je livre à votre fureur, ſe ſont-ils “rendus à nous? Que nous leur ſauverions la vie, que nous les conſerverions à leurs familles & à “l'Etat, que nous les traiterions “comme nos amis, comme nos “nos freres. Nous le leur avons promis. Trahirions - nous leur confiance, la foibleſſe, ou le ſort “des armes où nous - mêmes les “avons réduits? La perfidie, le “parjure, la violation de toute les “loix de l'humanité, que de crimes vous voulez commettre à “la fois! Au nom du Ciel, qui „nous a preſcrit de pardonner, de “ces larmes qui vous attendriſſent, “d'un époux dont le ſort excite “votre courroux, ne pourſuivez “nos ennemis communs que les “armes à la main; n'imitez point “leur barbarie; ne partagez point “leur honte & leurs remords; attaquons-les avec cette ſupériorité “que nous donne ſur eux la juſtice “de notre cauſe, & que nous devons nous promettre de la nobleſſe des procédés. Le Ciel eſt pour “nous; cette Ville ſera à jamais, “pour les rebelles, un objet de “déſeſpoir, comme elle eſt déja un “monument de leur cruauté.“

Les Habitans, pénétrés d'admiration pour Conſtance, célébrent ſa grandeur d'ame par mille acclamations, mille promeſſes de verſer leur ſang pour ſes intérêts, & de ſe laiſſer conduire par ſes conſeils & par ſes ordres. Ils reconnoiſſent unanimement qu'une ardeur inconſidérée leur a ſuggéré un deſſein horrible, & jurent à Conſtance, que l'obligation qu'ils lui ont de ne l'avoir pas exécuté, reſſerrera de plus en plus les nœuds qui l'attachent à elle. La Gouvernante leur montre combien elle eſt ſenſible à ces aſſurances, & rentre chez-elle. La propoſition du Peuple lui avoit fait trop d'horreur; ſa légéreté naturelle lui donnoit trop de défiance, pour ne pas prendre des meſures capables de réprimer une fureur que ſon diſcours avoit ralentie, & que le moindre cri pourroit rallumer. Elle envoie chercher le plus conſidérable des Priſonniers. (C'étoit un Gentilhomme nommé de Loupian.) Il eſt à remarquer que Monſieur le Duc de Montmorenci l'avoit fait priſonnier, & qu'inſtruit que du Barri avoit eu le même ſort, il avoit cru devoir envoyer Loupian à Conſtance, pour qu'il lui répondit en quelque ſorte de la vie de ſon mari. Ce Priſonnier n'ignoroit pas le deſſein du Duc. Il paroît en tremblant devant elle; il ſçavoit le ſort tragique de ſon mari, & ſe regardoit comme la premiere victime qu'elle dût immoler à ſa douleur. Il veut tomber à ſes genoux; la Gouvernante l'en empêche: „Ne craignez rien, “Monſieur, d'une femme ſi profondément affligée; ceux dont “vous ſuivez malheureuſement la “faction, m'ont cauſé aujourd'hui “une perte irréparable, & dont je “me vengerai ſi le Ciel daigne m'être propice. Mais je ne ſçais point “provoquer ſa colere quand j'implore ſon ſecours. Je reſpecte vos “malheurs dans les miens. Le crime “des Aſſiégeans a excité une telle “indignation parmi la Garniſon & “le Peuple de cette Ville, contre “eux & leurs adhérans, que nivous, “ni nos autres Priſonniers, ne “m'y paroiſſent pas en ſûreté. Je “vous ai fait venir ici, pour vous “communiquer mes craintes, & “vous dire que nos portes vous ſont “ouvertes. Vous pouvez donc retourner dès-à-préſent en votre “Camp, ou vous retirer ailleurs, “ſi vous le jugez à propos. Je vous “fournirai, ſi vous prenez ce dernier parti, une eſcorte qui me “répondra de vous, & de votre vie, “ſur la ſienne.“

Loupian confus d'une généroſité ſi héroïque, s'écrie: „Non, “Madame, je ne rejoindrai point “nos troupes; je ſerois indigne de “la grace que vous m'accordez, & “du nom de François, ſi je reprenois les armes contre ma libératrice. J'irai déplorer dans la ſolitude, le plus long-tems que je “pourrai, le ſort de ma Patrie. “Je gémirai de ce que la religion ſainte, que nous ſoutenons contre des Peuples ſuperſtitieux, ne “nous inſpire que des violences & “des meurtres, tandis que vous “nous donnez les plus grands exemples de courage & d'humanité. “Je n'oublierai jamais, Madame, “que je vous dois la vie; que vous “pouviez me l'ôter avec un ombre “de juſtice, & qu'en m'accordant “ce rare bienfait, vous y avez “ajouté celui preſqu'auſſi eſtimable de la liberté.“

La converſation roula encore quelques momens ſur la nature des droits que chaque parti revendiquoit, & ſur les motifs qui les armoient l'un contre l'autre. Le Ligueur étoit trop prévenu en faveur des Rebelles. La Gouvernante étoit trop attachée au ſervice du Roi, & aux intérêts du Trône; ainſi, chacun perſiſta dans ſon opinion. Madame du Barri ſouhaita bien ſincerement que les Rebelles fuſſent enfin éclairés ſur leurs véritables devoirs, & le Gentilhomme prit congé d'elle, plein d'eſtime & de reconnoiſſance pour une ame ſi héroïque.

CHAPITRE XII.

Vigoureuſe ſortie ſur les Aſſiégeans; ils ſont battus, diſperſés, & la Ville délivrée.

Loupian fut conduit juſqu'à plus d'une lieue de la ville; quelques-autres priſonniers deſirerent de rejoindre les leurs, & Conſtance le leur permit Après avoir ainſi pourvu à leur ſûreté, elle s'occupa des moyens d'affoiblir les aſſiégeans, & de les forcer de lever le ſiége: ceux-ci frappés d'un eſprit de vertige, avoient paſſé la journée à ſe reprocher la mort du Gouverneur. Les François faiſoient éclater leur mécontentement contre les Eſpagnols; Conſtance, à leur inaction, preſſentit leur méſintelligence, & réſolut d'en profiter. Vers le milieu de la nuit, elle ſe mit à la tête d'une partie de ſa garniſon, & tomba à l'improviſte ſur les aſſiégeans; la douleur qui abat les ames communes, ſembloit ajouter à ſon intrépidité; elle fit un carnage horrible des ennemis, combla leurs travaux, s'empara d'une batterie de quatre piéces de canon & les pointa contre les rebelles. La plûpart crurent tout perdu, & prirent la fuite. Les Généraux raſſemblerent avec peine un petit corps de troupes capables de s'oppoſer aux aſſiégés, & celui - ci ne pût ſoutenir long - tems leur impétuoſité; toute la tranchée fut abandonnée; l'artillerie démontée ou enclouée, & les rebelles obligés de ſe ſauver dans leurs retranchemens & leur camp.

Conſtance ne jugea pas à propos de les y attaquer, elle rentra dans la ville avec ſix piéces de canon des ennemis, pluſieurs drapeaux, & plus de deux cents priſonniers. Au point du jour les ennemis voyant leurs tranchées jonchées de morts ou comblées, leur artillerie priſe, ou hors d'état de ſervir, le peu qu'il leur reſtoit de monde, aigri, conſterné, découragé, ſongerent à leur retraite; Conſtance obſervoit leurs mouvemens, elle monte à cheval, confie la garde de la place à un Officier expérimenté, & va avec des troupes fraîches ſe mettre en embuſcade à environ deux mille de la ville, dans un endroit où il falloit que les ennemis paſſaſſent; ils garderent dabord quelqu'ordre dans leur retraite; mais étonnés de n'être point pourſuivis, ils ſe débanderent & braverent les menaces de leurs Généraux; Conſtance les ſurprend, fond l'épée à la main ſur les bagages, & ſur l'arriere - garde; elle éprouve d'abord quelque réſiſtance; elle encourage les ſiens, leur crie: „C'eſt ici qu'il faut venger votre “Gouverneur,“ & ſe précipite au milieu des ennemis. Ses troupes ſecondent ſes efforts, enfoncent les bataillons ennemis, & les diſperſent. Les Généraux inſtruits par quelques fuyards de la défaite de l'arriere-garde & de la priſe des bagages, veulent tourner bride, & accourir à leur ſecours; mais l'épouvante étoit générale, on fut ſourd à leur voix, on chercha ſon ſalut dans la fuite. Madame du Barri, maîtreſſe des bagages & du champ de bataille, envoya quelque cavalerie pour éclairer les deſſeins des ennemis, & pour recueillir les fuyards; au bout d'environ une demi - heure on lui amena une trentaine de priſonniers, & on lui apprit que les rebelles ſe retiroient avec la plus grande vîteſſe; alors elle raſſemble les charriots, les caiſſons & les priſonniers, & reprend le chemin de Leucate.

CHAPITRE XIII.

Elle eſt nommée Gouvernante de Leucate, & la ſurvivance accordée à ſon fils. Soins qu'elle prend pour aſſurer les travaux de la Campagne. Elle reçoit des lettres de Henri IV.

Son entrée fut une eſpece de triomphe; l'air retentiſſoit des cris de victoire, d'éloges & de bénédictions; cette héroïne fut reconduite chez elle au bruit des tambours, des inſtrumens militaires & des acclamations publiques. Le jour fut conſacré aux réjouiſſances, & aux actions de grace; Conſtance diſtribua le butin à la garniſon, & aux braves habitans qui avoient pris les armes, parut aux cérémonies où elle ne pût ſe diſpenſer d'aſſiſter, & ſe retira chez elle pour ne point troubler la joie publique par des larmes qu'elle avoit peine à retenir.

Bien différente de ces héros de l'antiquité, qui ſe dévouoient au bien public par une eſpece d'emportement frénétique, elle ſçavoit allier les droits de la nature, avec le zèle patriotique, combattre les ennemis de l'Etat, & pleurer ſes pertes domeſtiques. Elle prit ſon fils entre ſes bras, le preſſa contre ſon ſein. „C'eſt “l'image vivante de ſon pere, dit-elle, en le mouillant de ſes larmes, “il aura ſon courage, ſon attachement inviolable pour ſon Souverain. Ciel! préſerve - le des attentats du fanatiſme; ſi ſon ſang doit “couler pour la France, du moins “qu'elle ne le répande pas elle-même.“

Elle donna quelques jours à l'amertume de ſon regret & à ſa juſte douleur; l'Officier qu'elle avoit envoyé au Roi pour lui apprendre la mort de ſon mari, la défaite des ennemis, & la levée du ſiége, revint à Leucate avec une Lettre & un Brévet de ce Prince; dans la premiere, il déploroit amérement la mort de du Barri, donnoit des juſtes regrets à ſa mémoire, faiſoit ſon éloge, & celui de la valeur de ſon épouſe, & lui promettoit d'être ſon conſolateur & le pere de ſon enfant. Par le ſecond, il lui donnoit le gouvernement d'une fortereſſe qu'elle avoit défendue au péril de ce qu'elle avoit de plus cher, & en aſſuroit la ſurvivance à ſon fils; à ces récompenſes Henri IV. joignit les témoignages de cette rare bienveillance qui accompagnoit ſes moindres actions, & il chargea l'Officier d'aſſurer Madame du Barri que dès qu'il ſeroit en poſſeſſion paiſible de ſa Couronne, il ne mettroit point de bornes à ſes bienfaits.

Nous ne pouvons nous réfuſer à comparer à cette lettre, à ces regrets de Henri, la douleur dont Louis XV fut pénétré dans une pareille circonſtance. Le cœur des bons Princes eſt preſque toujours le même, ainſi que leur hiſtoire. Louis écrit: „J'ai perdu un honnête-homme que j'eſtimois & que j'aimois; je ſçai qu'il “a un frere dans l'état eccléſiaſtique: donnez - lui le premier Bé“néfice, s'il en eſt digne, comme “je le crois.“

Ces promeſſes d'un Roi humain, généreux par caractere, ne contribuerent pas peu à diſſiper le noir chagrin de Conſtance. S'il lui reſta pendant pluſieurs années un fond de mélancolie qu'elle eut peine à vaincre dans le particulier, elle s'en rendit maîtreſſe en public. Après ce qu'elle devoit à ſa place, l'éducation de ſon fils l'occupa uniquement; le jeune enfant répondit à ſes ſoins, & dès l'âge de huit ans il fut mis au nombre des Pages de S. M. Nous aurons occaſion d'en parler encore plus bas.

Nous avons dit que le Languedoc avoit été une des premieres provinvinces où la guerre s'étoit allumée, parce qu'il n'importoit pas moins aux deux partis de la retenir dans leur obéiſſance. Quand Henri IV fut monté ſur le Trône, il pourſuivit les Ligueurs dans le cœur de la France, & juſques ſous les murs de la Capitale; ainſi le feu de la diſcorde ſembla ſe ralentir ſur les frontieres. Les ennemis preſſés vivement, ne purent renvoyer de nouvelles troupes ſur Leucate, & cette ville n'eut rien à redouter de leur part.

La Gouvernante employa ſa petite garniſon, pendant les années ſuivantes, à chaſſer des campagnes voiſines diverſes troupes de brigands qui y cauſoient encore quelques ravages. Elle protégea l'agriculture, fit ſucceſſivement quelques levées de troupes, qu'elle envoya à l'Armée Royale, & n'oublia rien pour rendre le loiſir où elle ſe trouvoit, utile aux intérêts du Roi.

Ce Prince, ſi juſte appréciateur du mérite, & de la fidélité à ſon ſervice, ſi ardent à les récompenſer, ſoupiroit après le moment d'effectuer ſes promeſſes à l'égard de la Gouvernante. Il ſe déroba quelquefois aux affaires, au tumulte des armes, pour peindre à Conſtance, dans quelques lignes tracées de ſa main, les embarras où il ſe trouvoit, le deſir qu'il avoit de reconnoître ſes ſervices. Madame du Barri recevoit ces lettres précieuſes, y puiſoit des nouveaux motifs de conſacrer ſa vie aux intérêts d'un Roi, qui verſoit ſes chagrins dans le ſein d'une ſujette, & qui ſe plaignoit de n'avoir pour elle qu'une bienveillance ſtérile. Ces épanchemens d'une ame ſenſible & pénétrée, lui étoient plus chers que la fortune, que les honneurs les plus éclatans: tous les efforts, tous les ſacrifices qu'elle avoit fait pour ſon Roi, n'étoient rien en comparaiſon de ces mots, écrits de ſa main. Elle voyoit, preſqu'avec douleur, que la tranquillité rétablie dans la Province la privoit des occaſions de faire briller ſon zèle, & d'expoſer ſa vie aux plus grands périls. Combien de fois ne reprocha-t-elle pas à la nature de lui avoir donné un ſexe, auquel le maniement des armes ſemble interdit! Combien de fois ne fut-elle pas prête à voler dans ces combats, où Henri ſe haſardant en ſimple ſoldat, fixoit la victoire par ſa valeur, & la payoit ſouvent de ſon ſang! Qu'il lui ſeroit doux de jetter le déſordre & l'effroi parmi les Ligueurs, & de leur montrer leur devoir dans la perſévérance d'une femme à ſervir l'Etat! O préjugé cruell l'homme s'égare, oublie ce qu'il doit à ſa Patrie, à ſon Roi, & il prodigue le ridicule à une femme qui leur eſt fidele!

Cette réflexion retint ſon courage; elle ſe contenta de fatiguer le Ciel de ſes vœux, pour la proſpérité des armes de Henri; ſa cauſe étoit trop juſte; les deſſeins de ce Prince en faveur de ſon Peuple étoient trop dignes de la divinité, pour qu'elle ne l'aidât pas à vaincre tous ſes ennemis; mais ce ne fut qu'après plus de onze ans de fatigues, de travaux & de périls.

Conſtance n'attendit pas ſi long-tems à recevoir des marques de la bienveillance du Roi; immédiatement après ſon mariage, ce Prince l'attacha à la Reine, en qualité de Dame d'honneur.

CHAPITRE XIV.

Conſtance arrive à la Cour; n'uſe de ſa faveur que pour le bien publie: converſation touchante qu'elle a avec le Roi.

C'est donc à la Cour, ſur ce nouveau théatre, où nous allons la conſidérer encore quelques inſtans. Je ne doute point que l'élévation de ſes ſentimens & ſon zèle héroïque, n'ayent aſſez intéreſſé le lecteur pour qu'il ſoit charmé de voir tout ce qui a rapport à une femme ſi digne d'éloges. La douceur de ſon caractère, ſa modération, ſon déſintéreſſement, l'uſage qu'elle fit conſtamment de ſon crédit, en faveur du Peuple, ne fourniront pas un tableau moins touchant que ſes exploits, & ſon ſublime entouſiaſme pour le ſervice de ſes Souverains. Sa renommée l'avoit dévancée à la Cour. Ceux des courtiſans, qui ſçavent eſtimer les belles actions, leur juſte valeur, lui témoignerent les égards & l'empreſſement les plus flateurs; mais il eſt auprès des Rois, comme dans les autres ſociétés, une claſſe d'hommes qui cherchent à s'attirer la conſidération, en couvrant les objets les plus graves, de ridicule. Ils ne les voyent que du côté qui peut prêter à leurs fades plaiſanteries. Ils ne s'étudient qu'à aiguiſer les traits de la ſatyre & de l'épigramme, qu'à faire courir quelques prétendus bons mots, ſur les perſonnages les plus eſtimables. Miſérable talent, que la malignité humaine applaudit néanmoins trop ſouvent,parce qu'il venge la médiocrité de l'éclat des qualités du cœur & de la beauté.

Conſtance fut d'abord en butte aux pointes de ces mauvais plaiſans, mais où elle plaiſanta la premiere de leurs traits inſipides, où elle ſe contenta de les mépriſer, à l'exemple des gens ſenſés. Ces petits zoïles de Cour, car où n'y en a-t-il pas? honteux de ſe voir peu écoutés, exercerent leurs talens ſur d'autres perſonnes.

Elle ne s'éleva pas moins heureuſement au-deſſus des déſagrémens d'une autre eſpece, que l'envie tâcha de lui ſuſciter, & elle n'eût le tems que d'être connue, pour jouir d'une eſtime générale.

La Reine avoit pour elle des bontés particulieres; le Roi l'honoroit de ſa bienveillance, & même d'entretiens aſſez longs, enſorte qu'elle ne tarda pas à avoir toutes les apparences d'un grand crédit, & une eſpece de cour, où pluſieurs de ceux qui l'avoient tournée en ridicule, ne furent pas les derniers à briguer l'honneur d'être admis. Elle ne leur marqua jamais le moindre reſſentiment; elle les obligea même quand elle en eut occaſion. Le mérite ſeul avoit une recommandation ſuffiſante auprès d'elle; ſans ce titre, toutes les conſidérations qui ſe tirent de la politique, de l'intérêt, des liens du ſang même, n'étoient d'aucun poids dans ſon eſprit. D'un autre côté, l'indigent, le foible, la trouvoient toujours ſenſible à leurs malheurs, toujours prête à les protéger s'ils étoient perſécutés, à réclamer les loix en leur faveur, s'ils craignoient de ſuccomber ſous des adverſaires puiſſans. On eut dit que la vue, preſque continuelle de ſon Roi, rempliſſoit ſon ame, & n'y laiſſoit point de place à l'ambition. Que la conduite de ce Prince étoit attendriſſante en effet! Il travailloit avec autant d'activité que de patience, à effacer de ſon Royaume juſqu'au plus légeres traces des malheurs paſſés. Tous ſes ſoins, toutes ſes ſollicitudes, étoient pour ſon Peuple. Il s'informoit exactement de la ſituation des Provinces. S'il y en avoit qui ſouffriſſent la diſette, ou quelques autres maux, auxquels les troubles l'euſſent mis dans l'impuiſſance de remédier, ſon cœur paternel étoit déchiré. Il venoit chez la Reine, pouſſoit des profonds ſoupirs en préſence de Madame du Barri, & ſe plaignoit que la fortune s'oppoſât au deſir qu'il avoit de rendre tous ſes ſujets heureux. Ils ſont mes enfans, “s'écrioit-il, dans ces triſtes momens: “ils pleurent, & je ne puis eſſuyer “leurs larmes; je n'ai qu'une affection impuiſſante à leur offrir. “Ah! ſi le Ciel me prête des jours, “je parviendrai enfin à faire leur “bonheur; ſans la Ligue, mon “Peuple vivroit dans l'abondance... “Ses miſeres m'accablent de douleur.“

Une autre fois, plein de la plus vive joie, il diſoit à la Reine en l'abordant: „Sully ſort d'avec moi; il “m'a fait voir que l'on pouvoit “diminuer la taille d'une telle Généralité. Il ne portoit cette diminution qu'à cent mille francs; je “lui ai obſervé que c'étoit bien peu, “& il en a encore retranché cent “mille. Il a murmuré, mais la diminution eſt faite. Ces pauvres “gens! comme ils ſeront joyeux “en apprenant que je fais mon “poſſible pour les ſoulager! Pour “moi, la nouvelle d'une grande “victoire remportée par mes “troupes, ne me feroit pas plus „de plaiſir. Vous en êtes bien aiſe “auſſi, je penſe, ma bonne Gouvernante? A propos, vous ne me “demandez rien, vous n'avez donc “point de confiance en moi?.... “Sire, je ſuis comblée des bontés “de votre Majeſté, vous ſervir juſqu'à la mort eſt tout ce que je “deſire...“ Ventre-ſingri, vous en “avez aſſez fait pour moi; il y “a aſſez long - tems que je donne, malgré moi, à des gens “qui ne le méritent guere; il eſt “juſte que je m'acquite envers mes “bons ſerviteurs; je vous accorde „mille écus de penſion, & cent „mille francs que Sully vous payera; c'eſt pour vous remplir des “avances que vous avez faites dans “la défenſe de Leucate; quand je “ſerai plus riche, nous verrons...“

Madame du Barri ſe jette aux genoux de Henri, & le conjure de vouloir bien l'écouter un inſtant. Il la fait relever, & ajoute qu'il veut qu'elle accepte.... „Sire, de grace, “un mot... j'écoute: parlez...“ Je “ne manque de rien ici; près “de vos Majeſtés, honorée de leurs “regards, & de leurs entretiens, „eſt-il fortune que je préféraſſe à “mon ſort? J'admire dans vos ames “royales, cette affection paternelle “pour vos ſujets. Je m'afflige de „vos chagrins, & vous n'en avez “que quand vous ne pouvez faire “à votre Royaume, tout le bien “que vous lui deſirez. Je goûte les “tranſports de votre joie, & vous “n'en reſſentez pas de plus douce, “que lorſqu'il vous eſt permis d'étendre une main bienfaiſante ſur “votre Royaume; Sire, votre confiance me rend preſque l'égale de “mes maîtres, & j'oſerois lui demander d'autres biens! je n'ai “qu'un fils, qui ſera toujours aſſez “riche s'il mérite vos bontés.

“J'en ſuis content; hier au ſoir “il m'attendoit pour m'éclairer “en rentrant, il étoit accablé de “ſommeil; je dis pourquoi l'on “n'avoit pas fait coucher cet enfant? Voici ſa réponſe: „Le Sujet “dormira-t-il, quand le Souverain “veille... Elle me frappa; j'aurai “ſoin de lui, mais ſans déroger à “ce que je dois à la mere. Vous “toucherez cent mille francs; je “le veux.“

Conſtance n'oſa repliquer; elle voulut ſe proſterner aux pieds de Henri, pour le remercier; il l'arrêta par la main, & ſortit peu après de l'appartement de la Reine. Cette Princeſſe n'admiroit pas moins, que la Cour & la Ville, cette bonté de caractere; ce penchant toujours actif à la bienfaiſance, qui étoient l'empreinte des moindres démarches de Henri. La Reine, & ſa Dame d'honneur, s'étendirent à l'envi ſur les hautes qualités du Monarque. Qu'une Cour qui tire ſon principal éclat de l'amour du Prince pour ſes ſujets, offre un tableau touchant! Qu'elle heureuſe activité ſon exemple n'inſpire-t-il pas à ceux qui entourent ſa perſonne, & qui partagent ſon autorité! Henri IV, a laiſſé ce ſentiment précieux en héritage à ſes deſcendans; mais il étoit réſervé au Prince qui nous gouverne, de le faire paroître avec la plus grande énergie. tendre inquiétude pour ſesProvinces, qui ſouffrent de l'intempérance des ſaiſons; douleur profonde, quand les malheurs des tems le forcent à ſubvenir aux charges de l'état; bienfaits, mots ſublimes dans ces rencontres, où le Roi ſe cache derriere un voile, pour ne montrer que le Pere; tranſports d'ivreſſe à la joie de ſon Peuple, quand il faut récompenſer ou pardonner; lenteur, répugnance à punir. Ces traits aractériſent bien la reſſemblance de ces deux grands Princes. Henri apprend qu'un de ſes détachemens s'eſt rendu maître d'une province révoltée, & qu'il la traite avec rigueur.“ Partez, s'écrie-t il, “à un de ſes ſerviteurs affidés, allez “à mes ſoldats, dites - leur qu'ils “ceſſent leurs ravages; maltraiter “mes peuples, c'eſt s'en prendre à “moi; quoique rebelles, ils ſont „toujours mes enfans.“ De même on vit dans Louis XV, après la bataille de Fontenoy, un pere attendri ſur le ſort de ſes ſoldats, les conſoler comme ſes enfans; tous les bleſſés furent ſecourus comme s'ils l'avoient été par leurs freres, les ennemis priſonniers & bleſſés devinrent nos compatriotes, & furent traités comme eux dans les hôpitaux préparés pour ce jour de ſang; c'eſt l'ame de Henri.... Que dis-je? Non, c'eſt celle de Louis; gardons-nous de la comparer qu'à elle - même. Cette courte digreſſion, ſur le meilleur des Rois à qui la France, d'accord avec l'Europe entiere, a donné le ſurnom de Bien-aimé, ne déplaira pas ſans doute. Quel cœur François ne s'épanouiroit en payant le tribut de ſon amour à ſon Roi.

CHAPITRE XV.

Uſage que Conſtance fait des bienfaits du Roi. Ce Prince s'en plaint, & l'en eſtime davantage. Elle continue à n'employer ſon crédit que pour les malheureux. Mort de Henri IV, elle ſe retire de la Cour.

Constance, après s'être livrée à tout ce que la reconnoiſſance lui dictoit, ſongea à l'uſage qu'elle devoit faire des bienfaits du Roi; elle venoit de lui dire que ſon ame s'élevoit à la vue de la ſienne. La réſolution qu'elle prit à l'égard des cent mille francs en eſt une preuve; elle les envoya en Languedoc à une perſonne dont elle connoiſſoit l'intégrité, & lui écrivit que c'étoit un ſecours du Roi, & que Sa Majeſté l'avoit choiſie pour le diſtribuer dans une petite partie de la Province qui avoit extrêmement ſouffert des guerres civiles, uniquement aux habitans de la campagne, & que ce n'étoit qu'un foible commencement des bontés que Henri IV ſe promettoit de faire ſentir à ſes Sujets dans ce canton. Ses intentions furent remplies avec fidélité: cette ſomme, telle qu'elle étoit, ne laiſſa pas d'exciter des vives impreſſions de joie. Les faveurs qu'un Roi accorde par un tendre intérêt pour ſon peuple, ont un ſi grand prix! Il eſt ſi conſolant d'occuper une place dans ſon ſouvenir! La diſtribution dont nous parlons excita la reconnoiſſance publique: on implora les bénédictions du Ciel ſur Henri IV. L'ami que Conſtance avoit prié de la faire, crut devoir rendre compte au Miniſtre de la ſenſation qu'elle avoit produite, tant ſur ceux qui en avoient été l'objet, que parmi les plus aiſés de la Province. Sully, ce coopérateur du Roi au retabliſſement de la France, fut ſurpris d'une relation à laquelle il n'avoit point de part; il imagina qu'Henri IV avoit pris cette ſomme ſur ſes épargnes; il fut attendri à cette nouvelle preuve du penchant de ſon Maître. Il attendit quelques jours que le Roi s'en ouvrît lui-même; mais laſſé de ſon ſilence, il lui montra la lettre du Languedoc. „Je n'ai point de “connoiſſance de cela: je n'ai point “fait paſſer d'argent dans ce pays, “mon ami, vous m'en croyez, débrouillez ce myſtère; ſçachez qui “a emprunté mon nom pour agir “ainſi. Qu'elle eſt la date? Elle ſe “rapporte aſſez au tems où vous “avez donné pareille ſomme à Madame du Barri; j'ai eu peine à la “lui faire accepter. Je ne vois que “cette femme capable de ce trait: “je vais la gronder.“

Henri IV paſſe en effet chez la Reine. Après les politeſſes qu'il devoit à cette Princeſſe, il fit venir la Gouvernante, & d'un ton qui annonçoit plus d'attendriſſement que de colere, il lui dit: „Qu'avez-vous fait du Barri des cent mille “francs? En avez-vous acheté une “terre, dans votre pays?....Non, “Sire. Les gardez-vous? Vous ſeriez folle; il faut en tirer intérêt... “J'ai payé des dettes... Vous ne deviez pas tant que cela, parlez vrai; “vous avez payé des dettes qui n'étoient pas les vôtres, mais les “miennes .... Sire, j'oſe ...“ Point “de déguiſement: liſez cette lettre. Quand elle a lu:“ Vous rendez-vous: êtes-vous confondue? Elle “ſe précipite à ſes genoux. Il n'eſt “plus tems de vous repentir; je “connois les beſoins de mon peuple; c'eſt à moi d'y pourvoir, & “j'y pourvoirai plus efficacement. “Qu'eſt-ce que cette bagatelle dans “une province comme le Langue“doc? ... Sire, elle n'a été répandue que ſur trente ou quarante familles, & elle ſuffit à leur bonheur. Paſſe encore ſi vous ne “vous êtiez pas ſervie de mon “nom.... Ahl je voudrois que tout “le bien qui ſe fait dans le monde, “ne pût être attribué qu'à Votre “Majeſté. Zèle outré, les Rois ſont “bornés comme les autres hommes “dans leurs ſoins, & leurs deſirs les “plus chers. Je ne l'éprouve que “trop.... Pardonnez, Sire, à une “infortunée qui a pu vous déplaire. “J'oſe vous en conjurer, par mes regrets, par mes larmes.“

Le Roi touché juſqu'au fond du cœur, & craignant d'avoir trop affligé Conſtance pourune action dont il ne vouloit que s'amuſer, lui tendit ſa main à baiſer; Madame du Barri un genou en terre, ſe précipite ſur cette main, l'heureux préſage de la grace qui lui étoit accordée. Le Prince eut la bonté de diſſiper ſes craintes, & lui dire que ſa conduite ne l'avoit pas ſi fâché qu'il avoit paru l'être, & qu'elle trouveroit toujours un libre accès auprès de lui quand il s'agiroit de lui découvrir des maux qui avoient échappé à ſa vigilance & à celle de ſes Miniſtres. Ce Prince s'amuſa encore quelques momens du zèle de la Gouvernante, & du dénuement où elle s'étoit réduite, & prit enſuite congé de la Reine.

Dès le lendemain on apporta à Madame du Barri, de la part de Sa Majeſté, la donation d'une ſeigneutie relevant de la Couronne, d'environ dix mille livres de rente. Quand elle en fit ſes remercimens au Roi, il lui dit: „Je ne crois pas que vous ovendiez cette terre, & que vous en “envoyiez l'argent en Langucdoc; “votre fils en jouira, ventre-ſingri: “vous le mettriez à la mendicité, “ſi vous pouviez......“

Conſtance ne fut ſenſible à ce reproche que parce qu'il étoit dicté par la bienveillance même, & s'appliqua avec une nouvelle ardeur à la mériter. Son crédit s'accrut de plus en plus, & ne lui fit point de jaloux, parce qu'elle ſçût conſtamment s'abſtenir d'en abuſer pour elle & pour les ſiens. Elle devint le refuge des provinces déſolées par la foudre ou par les inondations; des malheureux, que la main avoit rendu plus criminels que le cœur: des maiſons ruinées par des déſaſtres que la prudence humaine n'avoit pu éviter; des victimes que la grandeur tyrannique avoient chargé de fers, & jettées dans les cachots.

Elle étoit également eſtimée des Courtiſans & des Miniſtres, parce qu'elle ne briguoit point de places au préjudice des uns, & ne troubloit jamais les autres dans leurs fonctions par des importunités, par des demandes abuſives. Sans former des brigues, ſans s'immiſcer dans les affaires, elle ſe ſoutint avec éclat; ſa recommendation fut toujours reſpectée; elle n'eut jamais pour but que le bien public, que l'avancement du mérite, & le ſoin des malheureux qui étoient dignes d'une vraie compaſſion.

Son fils, d'un caractere ſolide, d'un génie peu commun, & héritier de l'attachement de ſes pere & mere pour ſes Souverains, parvint ſous ce régne & le ſuivant, aux grades militaires, & ne les dût point à la faveur de ſa mere. Celle-ci partagea les regrets de toute la France quand Henri IVlui fut enlevé par un dernier effort de fanatiſme expirant. Les troubles qui accompagnerent la minorité, les changemens qui ſurvinrent à la Cour firent ſonger Conſtance à la retraite; elle y porta cette grandeur d'ame, ces mœurs douces, ce fond d'humanité, ce zèle pour la proſpérité de l'Etat, qui avoient été la régle de toutes ſes actions. Elle fit juſqu'à ſa mort les délices d'un petit nombre d'amis, qui n'admiroient pas moins la juſteſſe de ſon eſprit que les qualités de ſon cœur.

FIN

Appendix A

Note: (a) Eliſabeth étoit montée ſur le Trône de la Grande Bretagne. “Maîtreſſe abſolue de l'Angleterre, dit un de nos Hiſtoriens (le Chevalier de Méhégan) toute puiſſante en Ecoſſe, appui de la France, protectrice de la Hollande, redoutée de Philippe, & révérée du reſte du monde; cette heureuſe Reine croit qu'il manque encore quelque choſe à ſon bonheur. L'Irlande étoit habitée par un Peuple que ſes ennemis appelloient groſſier, parce que ſa vertueuſe ſimplicité ignoroit les fraudes de la Politique; rebelle, parce que ſa noble fierté luttoit ſans ceſſe contre un joug injuſte & étranger; remuant, parce qu'il invoquoit la protection des Loix que ſes oppreſſeurs lui refuſoient; fanatique, parce que ſon zèle pour la Religion de ſes Peres, & ſon amour pour ſes légitimes Rois, ne lui permettoient pas de briſer au gré du caprice, & le Trône & l'Autel. Eliſabeth qui s'irrite de voir ce Peuple ſeul, mépriſer ſon autorité, entreprend de le dompter. Depuis 400 ans tous les efforts de ſes ennemis avoient échoué contre une Nation qui n'avoit de reſſources que dans ſon ſeul courage. Une conquête ſi difficile excite l'ambition de la Reine. L'élite de ſes troupes paſſe en Irlande, ſous la conduite d'Eſſex, ſon favori, & regardé comme le meilleur de ſes Généraux de terre. Le ſuccès ne répond point à ſes eſpérances. Le conquérant de Cadix voit flétrir ſur les bords de Sthanon, les lauriers qu'il a cueillis ſur les rives du Tage, & la Reine, malgré ſon amour, eſt forcée de le rappeller. Montjoie lui ſuccéde, prend des meſures plus juſtes, a ſur les ennemis des ſuccès décidés, & par la ſageſſe qui accompagne ſa valeur, il parvient à ſoumettre la plus grande partie de l'Iſle. Le vaillant comte de Deſmond eſt contraint de chercher une autre Patrie. Tirone, digne fils du grand O-nel, après avoir ſoutenu pendant dix ans la liberté de ſon Pays, eſt obligé de ſe remettre entre les mains d'Eliſabeth; & la ſoumiſſion de ce brave Guerrier détruit toutes les eſpérances de ſa Nation. Pluſieurs de ſes courageux défenſeurs aimerent mieux vivre ſous une Domination étrangére, que de porter le joug des vainqueurs." Tab. de l'hiſt. Moderne.
Note: (a) Il fut fait Capitaine de 150 hommes. Un Manuſcrit fait foi qu'il leva cette troupe à ſes dépens.
Note: (a) C'eſt ainſi que s'appelloient les aînés de la Maiſon.
Note: (a) Village alors mûré au Diocèſe de Narbonne.
Note: (a) Il étoit originaire de Montpellier.
Note: (a) Ce combat donné en 1580, dura cinq jours & cinq nuits. Le Roi de Navarre ne ſe repoſa pas un inſtant, fut toujours au fort de la mêlée; il ne lui reſtoit pas un morceau de ſes habits quand il eut aſſuré ſa conquête.
Note: (a) Ou fortereſſe, ſituée ſur une Montagne, à l'extrémité du Dioceſe de Narbonne, vers le Rouſſillon. Cette Montagne, qui a quinze cents pas de front, du côté de la France, eſt preſque environnée de la mer, ou d'un étang qui porte ſon nom. Elle communique à la terre ferme, par une langue de terre qui ſépare cet étang de celui de la Palme, enſorte qu'elle forme une preſqu'iſle. Le Rocher eſt preſque par-tout eſcarpé, & il n'y a que deux avenues, qui ſont forts reſſerrées lorſque les étangs viennent à groſſir par les pluyes. La fortereſſe étoit bâtie ſur un autre petit rocher aride, où il n'y avoit d'autre eau que celle d'une cîterne, & qui eſt environné du coté du Nord & du Levant, d'autres rochers qui le dominent. Ce fort avoit conſiſté d'abord en un donjon de figure preſque ronde, environné d'un boulevard à l'antique, avec un terre-plain, qui alloit à la cîterne. Le Roi, François premier avoit fait revêtir ce Bâtiment ancien de quatre petits baſtions irréguliers, avec leurs courtines. La dureté du rocher avoit empêché de creuſer des foſſés, excepté devant les portes du Château. Du Barri y fit ajouter une ſeconde enceinte de murailles, en forme de fauſſes - brayes, pour couvrir la pointe des baſtions, avec quatre demi-lunes devant les courtines. L'ouvrage étoit de pierre, mais les murailles qui avoient fort peu d'épaiſſeur, n'étoient pas terraſſées. Au bas de la fortereſſe étoit Leucate.
Note: (a) Il avoit pris poſſeſſion de ſon Gouvernement en 1615. En 1637, au mois d'août, les Eſpagnols aſſiégerent Leucate pour la ſeconde fois. Hercule les croyant aſſez occupés en Italie, en Flandre, en Allemagne, & ſur les côtes de Provence, avoit négligé de renforcer ſa garniſon. Il n'avoit que deux Compagnies du Régiment de Languedoc, qui faiſoient so hommes, 4o autres Soldats, & environ 6o Payſans. Sa valeur, ſon intelligence, ſuppléerent au nombre. Avec ce peu de monde, il arrêta l'impétuoſité d'une armée de 14000 hommes, commandée par le Général Serbelloni. Celui-ci n'étant pas plus avancé, après pluſieurs jours, & les plus grands efforts, eſſaya de corrompre la fidélité du Gouverneur. Il lui rappella l'hiſtoire de ſon pere, ce brave & fidéle Officier, ſi indignement maſſacré; & ce fut toute ſa réponſe. Avec ſes cent quatre-vingt hommes, il réſiſta à l'ennemi, depuis le 2 août, juſqu'au 26 ſeptembre, époque de l'arrivée du Duc d'Halvin, connu depuis ſous le nous du Maréchal de Schomberg. En qualité de Gouverneur de la Province, ce Général avoit marché à ſon ſecours, à la tête de roooo Languedociens, aſſemblés à la hâte. C'eſt alors que ſe donna la ſanglante bataille de Leucate, ſi honorable à la valeur Languedocienne. Elle força les Eſpagnols dans leurs retranchemens, & leur fit lever le ſiége. St. Aunès, fils d'Hercule, âgé de vingt & un ans, commandoit alors le Régiment de ſon nom, & avoit mérité toute la confiance de ſon Général, qui lui donna le commandement de la principale diviſion de l'armée. Il fut chargé, diſent dom Vaiſſette, & d'Ai grefeuille, de l'attaque la plus difficile éde la plus périlleuſe. Il y reçut huit bleſſures dont il paroît qu'il mourut un an après. C'eſt dans cette action que l'on trouva parmi les morts douze filles Eſpagnoles armées & vêtues en ſoldats.

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