L'Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée

Voltaire

Garnier, Paris, 1877

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HISTOIRE DE JENNI

OU

L'ATHÉE ET LE SAGE

PAR M. SHERLOC

TRADUIT PAR M. DE LA CAILLE\[1\]

(1775)

1. ↑ « Nous n'avons cru devoir faire aucune remarque sur cet ouvrage, par des raisons que devineront sans peine ceux qui connaissent le but que l'auteur avait en l'écrivant. » Ainsi s'exprime Condorcet dans l'édition de Kehl. L'*Histoire de Jenni* est dirigée contre les doctrines des encyclopédistes, doctrines propres à Condorcet lui-même.

CHAPITRE I.

Vous me demandez, monsieur, quelques détails sur notre ami le respectable Freind, et sur son étrange fils. Le loisir dont je jouis enfin après la retraite de milord Peterborough me permet de vous satisfaire. Vous serez aussi étonné que je l'ai été, et vous partagerez tous mes sentiments.

Vous n'avez guère vu ce jeune et malheureux Jenni, ce fils unique de Freind, que son père mena avec lui en Espagne lorsqu'il était chapelain de notre armée, en 1705. Vous partîtes pour Alep avant que milord assiégeât Barcelone ; mais vous avez raison de me dire que Jenni était de la figure la plus aimable et la plus engageante, et qu'il annonçait du courage et de l'esprit. Rien n'est plus vrai ; on ne pouvait le voir sans l'aimer. Son père l'avait d'abord destiné à l'Église ; mais le jeune homme ayant marqué de la répugnance pour cet état, qui demande tant d'art, de ménagement, et de finesse, ce père sage aurait cru faire un crime et une sottise de forcer la nature.

Jenni n'avait pas encore vingt ans. Il voulut absolument servir en volontaire à l'attaque du Mont-Joui, que nous emportâmes, et où le prince de Hesse fut tué. Notre pauvre Jenni, blessé, fut prisonnier et mené dans la ville. Voici un récit très-fidèle de ce qui lui arriva depuis l'attaque de Mont-Joui jusqu'à la prise de Barcelone. Cette relation est d'une Catalane un peu trop libre et trop naïve ; de tels écrits ne vont point jusqu'au cœur du sage. Je pris cette relation chez elle lorsque j'entrai dans Barcelone à la suite de milord Peterborough. Vous la lirez sans scandale comme un portrait fidèle des mœurs du pays.

AVENTURE D'UN JEUNE ANGLAIS NOMMÉ JENNI,

ÉCRITE DE LA MAIN DE DONA LAS NALGAS.

Lorsqu'on nous dit que les mêmes sauvages qui étaient venus, par l'air, d'une île inconnue nous prendre Gibraltar, venaient assiéger notre belle ville de Barcelone, nous commençâmes par faire des neuvaines à la sainte Vierge de Manrèze : ce qui est assurément la meilleure manière de se défendre.

Ce peuple, qui venait nous attaquer de si loin, s'appelle d'un nom qu'il est difficile de prononcer, car c'est English . Notre révérend père inquisiteur don Jeronimo Bueno Caracucarador prêcha contre ces brigands. Il lança contre eux une excommunication majeure dans Notre-Dame d'Elpino . Il nous assura que les English avaient des queues de singes, des pattes d'ours, et des têtes de perroquets ; qu'à la vérité ils parlaient quelquefois comme les hommes, mais qu'ils sifflaient presque toujours ; que de plus ils étaient notoirement hérétiques ; que la sainte Vierge, qui est très-favorable aux autres pécheurs et pécheresses, ne pardonnait jamais aux hérétiques, et que par conséquent ils seraient tous infailliblement exterminés, surtout s'ils se présentaient devant le Mont-Joui. À peine avait-il fini son sermon que nous apprîmes que le Mont-Joui était pris d'assaut.

Le soir, on nous conta qu'à cet assaut nous avions blessé un jeune English, et qu'il était entre nos mains. On cria dans toute la ville : vittoria, vittoria, et on fit des illuminations.

La dona Boca Vermeja, qui avait l'honneur d'être maîtresse du révérend père inquisiteur, eut une extrême envie de voir comment un animal english et hérétique était fait. C'était mon intime amie : j'étais aussi curieuse qu'elle. Mais il fallut attendre qu'il fût guéri de sa blessure ; ce qui ne tarda pas.

Nous sûmes bientôt après qu'il devait prendre les bains chez mon cousin germain Elvob, le baigneur, qui est, comme on sait, le meilleur chirurgien de la ville. L'impatience de voir ce monstre redoubla dans mon amie Boca Vermeja. Nous n'eûmes point de cesse, point de repos, nous n'en donnâmes point à mon cousin le baigneur, jusqu'à ce qu'il nous eût cachées dans une petite garde-robe, derrière une jalousie par laquelle on voyait la baignoire. Nous y entrâmes sur la pointe du pied, sans faire aucun bruit, sans parler, sans oser respirer, précisément dans le temps que l'English sortait de l'eau. Son visage n'était pas tourné vers nous ; il ôta un petit bonnet sous lequel étaient renoués ses cheveux blonds, qui descendirent en grosses boucles sur la plus belle chute de reins que j'aie vue de ma vie ; ses bras, ses cuisses, ses jambes, me parurent d'un charnu, d'un fini, d'une élégance qui approche, à mon gré, l'Apollon du Belvédère de Rome, dont la copie est chez mon oncle le sculpteur.

Dona Boca Vermeja était extasiée de surprise et d'enchantement. J'étais saisie comme elle ; je ne pus m'empêcher de dire : Oh che hermoso muchacho * * Ces paroles, qui m'échappèrent, firent tourner le jeune homme. Ce fut bien pis alors ; nous vîmes le visage d'Adonis sur le corps d'un jeune Hercule . Il s'en fallut peu que dona Boca Vermeja ne tombât à la renverse, et moi aussi. Ses yeux s'allumèrent et se couvrirent d'une légère rosée, à travers laquelle on entrevoyait des traits de flamme. Je ne sais ce qui arriva aux miens.

Quand elle fut revenue à elle : « Saint Jacques, me dit-elle, et sainte Vierge  est-ce ainsi que sont faits les hérétiques ? Eh  qu'on nous a trompées  »

Nous sortîmes le plus tard que nous pûmes. Boca Vermeja fut bientôt éprise du plus violent amour pour le monstre hérétique. Elle est plus belle que moi, je l'avoue ; et j'avoue aussi que je me sentis doublement jalouse. Je lui représentai qu'elle se damnait en trahissant le révérend père inquisiteur don Jeronimo Bueno Caracucarador pour un English. « Ah  ma chère Las Nalgas, me dit-elle (car Las Nalgas est mon nom), je trahirais Melchisedech pour ce beau jeune homme. » Elle n'y manqua pas, et, puisqu'il faut tout dire, je donnai secrètement plus de la dîme des offrandes.

Un des familiers de l'Inquisition, qui entendait quatre messes par jour pour obtenir de Notre-Dame de Manrèze la destruction des English, fut instruit de nos actes de dévotion. Le révérend P. don Caracucarador nous donna le fouet à toutes deux. Il fit saisir notre cher English par vingt-quatre alguazils de la sainte Hermandad. Jenni en tua cinq, et fut pris par les dix-neuf qui restaient. On le fit reposer dans un caveau bien frais. Il fut destiné à être brûlé le dimanche suivant en cérémonie, orné d'un grand san-benito et d'un bonnet en pain de sucre, en l'honneur de notre Sauveur et de la vierge Marie sa mère. Don Caracucarador prépara un beau sermon ; mais il ne put le prononcer, car le dimanche même la ville fut prise à quatre heures du matin.

Ici finit le récit de dona Las Nalgas. C'était une femme qui ne manquait pas d'un certain esprit que les Espagnols appellent agudezza .

CHAPITRE II.

SUITE DES AVENTURES DU JEUNE ANGLAIS JENNI ET DE CELLES DE MONSIEUR SON PÈRE, DOCTEUR EN THÉOLOGIE, MEMBRE DU PARLEMENT ET DE LA SOCIÉTÉ ROYALE.

Vous savez quelle admirable conduite tint le comte de Peterborough dès qu'il fut maître de Barcelone ; comme il empêcha le pillage ; avec quelle sagacité prompte il mit ordre à tout ; comme il arracha la duchesse de Popoli des mains de quelques soldats allemands ivres, qui la volaient et qui la violaient. Mais vous peindrez-vous bien la surprise, la douleur, l'anéantissement, la colère, les larmes, les transports de notre ami Freind, quand il apprit que Jenni était dans les cachots du saint-office, et que son bûcher était préparé ? Vous savez que les têtes les plus froides sont les plus animées dans les grandes occasions. Vous eussiez vu ce père, que vous avez connu si grave et si imperturbable, voler à l'antre de l'Inquisition plus vite que nos chevaux de race ne courent à Newmarket. Cinquante soldats, qui le suivaient hors d'haleine, étaient toujours à deux cents pas de lui. Il arrive, il entre dans la caverne. Quel moment  que de pleurs et que de joie  Vingt victimes destinées à la même cérémonie que Jenni sont délivrées. Tous ces prisonniers s'arment ; tous se joignent à nos soldats ; ils démolissent le saint-office en dix minutes et déjeunent sur ses ruines avec le vin et les jambons des inquisiteurs.

Au milieu de ce fracas, et des fanfares, et des tambours, et du retentissement de quatre cents canons qui annonçaient notre victoire à la Catalogne, notre ami Freind avait repris la tranquillité que vous lui connaissez. Il était calme comme l'air dans un beau jour après un orage. Il élevait à Dieu un cœur aussi serein que son visage, lorsqu'il vit sortir du soupirail d'une cave un spectre noir en surplis, qui se jeta à ses pieds et qui lui criait miséricorde.

« Qui es-tu ? lui dit notre ami ; viens-tu de l'enfer ?

--- À peu près, répondit l'autre ; je suis don Jeronimo Bueno Caracucarador, inquisiteur pour la foi ; je vous demande très-humblement pardon d'avoir voulu cuire monsieur votre fils en place publique : je le prenais pour un juif.

--- Eh  quand il serait juif, répondit notre ami avec son sang-froid ordinaire, vous sied-il bien, monsieur Caracucarador, de cuire des gens parce qu'ils sont descendus d'une race qui habitait autrefois un petit canton pierreux tout près du désert de Syrie ? Que vous importe qu'un homme ait un prépuce ou qu'il n'en ait pas, et qu'il fasse sa pâque dans la pleine lune rousse, ou le dimanche d'après ? Cet homme est juif, donc il faut que je le brûle, et tout son bien m'appartient : voilà un très-mauvais argument ; on ne raisonne point ainsi dans la Société royale de Londres.

« Savez-vous bien, monsieur Caracucarador, que Jésus-Christ était juif, qu'il naquit, vécut, et mourut juif ; qu'il fit sa pâque en juif dans la pleine lune ; que tous ses apôtres étaient juifs ; qu'ils allèrent dans le temple juif après son malheur, comme il est dit expressément ; que les quinze premiers évêques secrets de Jérusalem étaient juifs ? Mon fils ne l'est pas, il est anglican : quelle idée vous a passé par la tête de le brûler ? »

L'inquisiteur Caracucarador, épouvanté de la science de M. Freind, et toujours prosterné à ses pieds, lui dit : « Hélas  nous ne savions rien de tout cela dans l'université de Salamanque. Pardon, encore une fois ; mais la véritable raison est que monsieur votre fils m'a pris ma maîtresse Boca Vermeja.

--- Ah  s'il vous a pris votre maîtresse, repartit Freind, c'est autre chose : il ne faut jamais prendre le bien d'autrui. Il n'y a pourtant pas là une raison suffisante, comme dit Leibniz, pour brûler un jeune homme : il faut proportionner les peines aux délits. Vous autres, chrétiens de delà la mer britannique en tirant vers le sud, vous avez plus tôt fait cuire un de vos frères, soit le conseiller Anne Dubourg, soit Michel Servet, soit tous ceux qui furent ards sous Philippe II surnommé le Discret, que nous ne faisons rôtir un roast-beef à Londres. Mais qu'on m'aille chercher Mlle Boca Vermeja, et que je sache d'elle la vérité. »

Boca Vermeja fut amenée pleurante, et embellie par ses larmes comme c'est l'usage. « Est-il vrai, mademoiselle, que vous aimiez tendrement don Caracucarador, et que mon fils Jenni vous ait prise à force ?

--- À force  monsieur l'Anglais  c'était assurément du meilleur de mon cœur. Je n'ai jamais rien vu de si beau et de si aimable que monsieur votre fils ; et je vous trouve bien heureux d'être son père. C'est moi qui lui ai fait toutes les avances ; il les mérite bien : je le suivrai jusqu'au bout du monde, si le monde a un bout. J'ai toujours, dans le fond de mon âme, détesté ce vilain inquisiteur ; il m'a fouettée presque jusqu'au sang, moi et Mlle Las Nalgas. Si vous voulez me rendre la vie douce, vous ferez pendre ce scélérat de moine à ma fenêtre, tandis que je jurerai à monsieur votre fils un amour éternel : heureuse si je pouvais jamais lui donner un fils qui vous ressemble  »

En effet, pendant que Boca Vermeja prononçait ces paroles naïves, milord Peterborough envoyait chercher l'inquisiteur Caracucarador pour le faire pendre. Vous ne serez pas surpris quand je vous dirai que M. Freind s'y opposa fortement. « Que votre juste colère, dit-il, respecte votre générosité : il ne faut jamais faire mourir un homme que quand la chose est absolument nécessaire pour le salut du prochain. Les Espagnols diraient que les Anglais sont des barbares qui tuent tous les prêtres qu'ils rencontrent. Cela pourrait faire grand tort à monsieur l'archiduc, pour lequel vous venez de prendre Barcelone. Je suis assez content que mon fils soit sauvé, et que ce coquin de moine soit hors d'état d'exercer ses fonctions inquisitoriales. » Enfin le sage et charitable Freind en dit tant que milord se contenta de faire fouetter Caracucarador, comme ce misérable avait fait fouetter miss Boca Vermeja et miss Las Nalgas.

Tant de clémence toucha le cœur des Catalans. Ceux qui avaient été délivrés des cachots de l'Inquisition conçurent que notre religion valait infiniment mieux que la leur. Ils demandèrent presque tous à être reçus dans l'Église anglicane ; et même quelques bacheliers de l'université de Salamanque, qui se trouvaient dans Barcelone, voulurent être éclairés. La plupart le furent bientôt. Il n'y en eut qu'un seul nommé don Inigo y Medroso y Comodios y Papalamiendo, qui fut un peu rétif.

Voici le précis de la dispute honnête que notre cher ami Freind et le bachelier don Papalamiendo eurent ensemble en présence de milord Peterborough. On appela cette conversation familière le dialogue des Mais . Vous verrez aisément pourquoi, en le lisant.

CHAPITRE III.

PRÉCIS DE LA CONTROVERSE DES MAIS ENTRE M. FREIND ET DON INIGO Y MEDROSO Y COMODIOS Y PAPALAMIENDO, BACHELIER DE SALAMANQUE.

LE BACHELIER.

Mais, monsieur, malgré toutes les belles choses que vous venez de me dire, vous m'avouerez que votre Église anglicane, si respectable, n'existait pas avant don Luther et avant don Oecolampade. Vous êtes tout nouveaux, donc vous n'êtes pas de la maison.

FREIND.

C'est comme si on me disait que je ne suis pas le petit-fils de mon grand-père, parce qu'un collatéral, demeurant en Italie, s'était emparé de son testament et de mes titres. Je les ai heureusement retrouvés, et il est clair que je suis le petit-fils de mon grand-père. Nous sommes, vous et moi, de la même famille, à cela près que nous autres Anglais nous lisons le testament de notre grand-père dans notre propre langue, et qu'il vous est défendu de le lire dans la vôtre. Vous êtes esclaves d'un étranger, et nous ne sommes soumis qu'à notre raison.

LE BACHELIER.

Mais si votre raison vous égare ?... car enfin vous ne croyez point à notre université de Salamanque, laquelle a déclaré l'infaillibilité du pape, et son droit incontestable sur le passé, le présent, le futur, et le paulo-post-futur.

FREIND.

Hélas  les apôtres n'y croyaient pas non plus. Il est écrit que ce Pierre, qui renia son maître Jésus, fut sévèrement tancé par Paul. Je n'examine point ici lequel des deux avait tort ; ils l'avaient peut-être tous deux, comme il arrive dans presque toutes les querelles ; mais enfin il n'y a pas un seul endroit dans les Actes des apôtres où Pierre soit regardé comme le maître de ses compagnons et du paulo-post-futur.

LE BACHELIER.

Mais certainement saint Pierre fut archevêque de Rome, car Sanchez nous enseigne que ce grand homme y arriva du temps de Néron, et qu'il y occupa le trône archiépiscopal pendant vingt-cinq ans sous ce même Néron, qui n'en régna que treize. De plus il est de foi ; et c'est don Grillandus , le prototype de l'Inquisition, qui l'affirme (car nous ne lisons jamais la sainte Bible ), il est de foi, dis-je, que saint Pierre était à Rome une certaine année ; car il date une de ses lettres de Babylone ; car, puisque Babylone est visiblement l'anagramme de Rome, il est clair que le pape est de droit divin le maître de toute la terre ; car, de plus, tous les licenciés de Salamanque ont démontré que Simon Vertu-Dieu, premier sorcier, conseiller d'État de l'empereur Néron, envoya faire des compliments par son chien à saint Simon Barjone, autrement dit saint Pierre, dès qu'il fut à Rome ; que saint Pierre, n'étant pas moins poli, envoya aussi son chien complimenter Simon Vertu-Dieu ; qu'ensuite ils jouèrent à qui ressusciterait le plus tôt un cousin germain de Néron ; que Simon Vertu-Dieu ne ressuscita son mort qu'à moitié, et que Simon Barjone gagna la partie en ressuscitant le cousin tout à fait ; que Vertu-Dieu voulut avoir sa revanche en volant dans les airs comme saint Dédale, et que saint Pierre lui cassa les deux jambes en le faisant tomber. C'est pourquoi saint Pierre reçut la couronne du martyre, la tête en bas et les jambes en haut : donc il est démontré a posteriori que notre saint-père le pape doit régner sur tous ceux qui ont des couronnes sur la tête, et qu'il est le maître du passé, du présent, et de tous les futurs du monde.

FREIND.

Il est clair que toutes ces choses arrivèrent dans le temps où Hercule, d'un tour de main, sépara les deux montagnes, Calpé et Abila, et passa le détroit de Gibraltar dans son gobelet ; mais ce n'est pas sur ces histoires, tout authentiques qu'elles sont, que nous fondons notre religion : c'est sur l'Évangile.

LE BACHELIER.

Mais, monsieur, sur quels endroits de l'Évangile ? Car j'ai lu une partie de cet Évangile dans nos cahiers de théologie. Est-ce sur l'ange descendu des nuées pour annoncer à Marie qu'elle sera engrossée par le Saint-Esprit ? Est-ce sur le voyage des trois rois et d'une étoile ? sur le massacre de tous les enfants du pays ? sur la peine que prit le diable d'emporter Dieu dans le désert, au faîte du temple et à la cime d'une montagne, dont on découvrait tous les royaumes de la terre ? sur le miracle de l'eau changée en vin à une noce de village ? sur le miracle de deux mille cochons que le diable noya dans un lac par ordre de Jésus sur...

FREIND.

Monsieur, nous respectons toutes ces choses, parce qu'elles sont dans l'Évangile, et nous n'en parlons jamais, parce qu'elles sont trop au-dessus de la faible raison humaine.

LE BACHELIER.

Mais on dit que vous n'appelez jamais la sainte Vierge mère de Dieu.

FREIND.

Nous la révérons, nous la chérissons ; mais nous croyons qu'elle se soucie peu des titres qu'on lui donne ici-bas. Elle n'est jamais nommée mère de Dieu dans l'Évangile. Il y eut une grande dispute, en 431, à un concile d'Éphèse, pour savoir si Marie était théotocos, et si, Jésus-Christ étant Dieu à la fois et fils de Marie, il se pouvait que Marie fût à la fois mère de Dieu le Père, et mère de Dieu le Fils, qui ne font qu'un Dieu. Nous n'entrons point dans ces querelles d'Éphèse, et la Société royale de Londres ne s'en mêle pas.

LE BACHELIER.

Mais, monsieur, vous me donnez là du théotocos  qu'est-ce que théotocos, s'il vous plaît ?

FREIND.

Cela signifie mère de Dieu. Quoi  vous êtes bachelier de Salamanque, et vous ne savez pas le grec ?

LE BACHELIER.

Mais le grec, le grec  de quoi cela peut-il servir à un Espagnol ? Mais, monsieur, croyez-vous que Jésus ait une nature, une personne et une volonté ? ou deux natures, deux personnes, et deux volontés ? ou une volonté, une nature, et deux personnes ? ou deux volontés, deux personnes, et une nature ? ou...

FREIND.

Ce sont encore les affaires d'Éphèse ; cela ne nous importe en rien.

LE BACHELIER.

Mais qu'est-ce donc qui vous importe ? Pensez-vous qu'il n'y ait que trois personnes en Dieu, ou qu'il y ait trois dieux en une personne ? La seconde personne procède-t-elle de la première personne, et la troisième procède-t-elle des deux autres, ou de la seconde intrinsecus, ou de la première seulement ? Le Fils a-t-il tous les attributs du Père, excepté la paternité ? et cette troisième personne vient-elle par infusion, ou par identification, ou par spiration ?

FREIND.

L'Évangile n'agite pas cette question, et jamais saint Jean n'écrit le nom de Trinité.

LE BACHELIER.

Mais vous me parler toujours de l'Évangile, et jamais de saint Bonaventure, ni d'Albert le Grand, ni de Tambourini, ni de Grillandus, ni d'Escobar.

FREIND.

C'est que je ne suis ni dominicain, ni cordelier, ni jésuite ; je me contente d'être chrétien.

LE BACHELIER.

Mais si vous êtes chrétien, dites-moi, en conscience, croyez-vous que le reste des hommes soit damné éternellement ?

FREIND.

Ce n'est point à moi à mesurer la justice de Dieu et sa miséricorde.

LE BACHELIER.

Mais enfin, si vous êtes chrétien, que croyez-vous donc ?

FREIND.

Je crois, avec Jésus-Christ, qu'il faut aimer Dieu et son prochain, pardonner les injures et réparer ses torts. Croyez-moi, adorez Dieu, soyez juste et bienfaisant : voilà tout l'homme. Ce sont là les maximes de Jésus. Elles sont si vraies qu'aucun législateur, aucun philosophe n'a jamais eu d'autres principes avant lui, et qu'il est impossible qu'il y en ait d'autres. Ces vérités n'ont jamais eu et ne peuvent avoir pour adversaires que nos passions.

LE BACHELIER.

Mais... ah  ah  à propos de passions, est-il vrai que vos évêques, vos prêtres, et vos diacres, vous êtes tous mariés ?

FREIND.

Cela est vrai. Saint Joseph, qui passa pour être père de Jésus, était marié. Il eut pour fils Jacques le Mineur, surnommé Oblia , frère de notre Seigneur ; lequel, après la mort de Jésus, passa sa vie dans le temple. Saint Paul, le grand saint Paul, était marié.

LE BACHELIER.

Mais Grillandus et Molina disent le contraire.

FREIND.

Molina et Grillandus diront tout ce qu'ils voudront, j'aime mieux croire saint Paul lui-même, car il dit dans sa première aux Corinthiens : « N'avons-nous pas le droit de boire et de manger à vos dépens ? N'avons-nous pas le droit de mener avec nous nos femmes, notre sœur, comme font les autres apôtres et les frères de notre Seigneur et Céphas ? Va-t-on jamais à la guerre à ses dépens ? Quand on a planté une vigne, n'en mange-t-on pas le fruit ? etc. »

LE BACHELIER.

Mais, monsieur, est-il bien vrai que saint Paul ait dit cela ?

FREIND.

Oui, il a dit cela, et il en a dit bien d'autres.

LE BACHELIER.

Mais quoi  ce prodige, cet exemple de la grâce efficace ...

FREIND.

Il est vrai, monsieur, que sa conversion était un grand prodige. J'avoue que, suivant les Actes des apôtres, il avait été le plus cruel satellite des ennemis de Jésus. Les Actes disent qu'il servit à lapider saint Étienne ; il dit lui-même que, quand les Juifs faisaient mourir un suivant de Jésus, c'était lui qui portait la sentence, detuli sententiam . J'avoue qu'Abdias, son disciple, et Jules Africain, son traducteur, l'accusent aussi d'avoir fait mourir Jacques Oblia, frère de notre Seigneur ; mais ses fureurs rendent sa conversion plus admirable, et ne l'ont pas empêché de trouver une femme. Il était marié, vous dis-je, comme saint Clément d'Alexandrie le déclare expressément.

LE BACHELIER.

Mais c'était donc un digne homme, un brave homme que saint Paul  Je suis fâché qu'il ait assassiné saint Jacques et saint Étienne, et fort surpris qu'il ait voyagé au troisième ciel ; mais poursuivez, je vous prie.

FREIND.

Saint Pierre, au rapport de saint Clément d'Alexandrie, eut des enfants, et même on compte parmi eux une sainte Pétronille. Eusèbe, dans son Histoire de l'Église, dit que saint Nicolas, l'un des premiers disciples, avait une très-belle femme, et que les apôtres lui reprochèrent d'en être trop occupé, et d'en paraître jaloux... « Messieurs, leur dit-il, la prenne qui voudra, je vous la cède . »

Dans l'économie juive, qui devait durer éternellement, et à laquelle cependant a succédé l'économie chrétienne, le mariage était non seulement permis, mais expressément ordonné aux prêtres, puisqu'ils devaient être de la même race ; et le célibat était une espèce d'infamie.

Il faut bien que le célibat ne fût pas regardé comme un était bien pur et bien honorable par les premiers chrétiens, puisque parmi les hérétiques anathématisés dans les premiers conciles, on trouve principalement ceux qui s'élevaient contre le mariage des prêtres, comme saturniens, basilidiens, montanistes, encratistes, et autres ens et istes . Voilà pourquoi la femme d'un saint Grégoire de Nazianze accoucha d'un autre saint Grégoire de Nazianze, et qu'elle eut le bonheur inestimable d'être femme et mère d'un canonisé, ce qui n'est pas même arrivé à sainte Monique, mère de saint Augustin.

Voilà pourquoi je pourrais vous nommer autant et plus d'anciens évêques mariés que vous n'avez autrefois eu d'évêques et de papes concubinaires, adultères, ou pédérastes : ce qu'on ne trouve plus aujourd'hui en aucun pays. Voilà pourquoi l'Église grecque, mère de l'Église latine, veut encore que les curés soient mariés. Voilà enfin pourquoi, moi qui vous parle, je suis marié, et j'ai le plus bel enfant du monde.

Et dites-moi, mon cher bachelier, n'aviez-vous pas dans votre Église sept sacrements de compte fait, qui sont tous des signes visibles d'une chose invisible ? Or un bachelier de Salamanque jouit des agréments du baptême dès qu'il est né ; de la confirmation dès qu'il a des culottes ; de la confession dès qu'il a fait quelques fredaines ; de la communion, quoique un peu différente de la nôtre, dès qu'il a treize ou quatorze ans ; de l'ordre quand il est tondu sur le haut de la tête, et qu'on lui donne un bénéfice de vingt, ou trente, ou quarante mille piastres de rente ; enfin de l'extrême-onction quand il est malade. Faut-il le priver du sacrement de mariage quand il se porte bien ? surtout après que Dieu lui-même a marié Adam et Ève ; Adam, le premier des bacheliers du monde, puisqu'il avait la science infuse, selon votre école ; Ève, la première bachelière, puisqu'elle tâta de l'arbre de la science avant son mari.

LE BACHELIER.

Mais, s'il est ainsi, je ne dirai plus mais . Voilà qui est fait, je suis de votre religion : je me fais anglican. Je veux me marier à une femme honnête qui fera toujours semblant de m'aimer tant que je serai jeune, qui aura soin de moi dans ma vieillesse, et que j'enterrerai proprement si je lui survis : cela vaut mieux que de cuire des hommes et de déshonorer des filles, comme a fait mon cousin don Caracucarador, inquisiteur pour la foi. »

Tel est le précis fidèle de la conversation qu'eurent ensemble le docteur Freind et le bachelier don Papalamiendo, nommé depuis par nous Papa Dexando. Cet entretien curieux fut rédigé par Jacob Hulf, l'un des secrétaires de milord.

Après cet entretien, le bachelier me tira à part et me dit : « Il faut que cet Anglais, que j'avais cru d'abord anthropophage, soit un bien bon homme, car il est théologien, et il ne m'a point dit d'injures. » Je lui appris que M. Freind était tolérant, et qu'il descendait de la fille de Guillaume Penn, le premier des tolérants, et le fondateur de Philadelphie. « Tolérant et Philadelphie  s'écria-t-il ; je n'avais jamais entendu parler de ces sectes-là. » Je le mis au fait : il ne pouvait me croire, il pensait être dans un autre univers, et il avait raison.

CHAPITRE IV.

RETOUR À LONDRES ; JENNI COMMENCE À SE CORROMPRE.

Tandis que notre digne philosophe Freind éclairait ainsi les Barcelonais, et que son fils Jenni enchantait les Barcelonaises, milord Peterborough fut perdu dans l'esprit de la reine Anne, et dans celui de l'archiduc, pour leur avoir donné Barcelone. Les courtisans lui reprochèrent d'avoir pris cette ville contre toutes les règles, avec une armée moins forte de moitié que la garnison. L'archiduc en fut d'abord très-piqué, et l'ami Freind fut obligé d'imprimer l'apologie du général. Cependant cet archiduc, qui était venu conquérir le royaume d'Espagne, n'avait pas de quoi payer son chocolat. Tout ce que la reine Anne lui avait donné était dissipé. Montecuculli dit dans ses Mémoires qu'il faut trois choses pour faire la guerre : 1o de l'argent ; 2o de l'argent ; 3o de l'argent. L'archiduc écrivit de Guadalaxara, où il était le 11 auguste 1706, à milord Peterborough, une grande lettre signée yo el rey, par laquelle il le conjurait d'aller sur-le-champ à Gênes lui chercher, sur son crédit, cent mille livres sterling pour régner . Voilà donc notre Sertorius devenu banquier génois de général d'armée. Il confia sa détresse à l'ami Freind : tous deux allèrent à Gênes ; je les suivis, car vous savez que mon cœur me mène. J'admirai l'habileté et l'esprit de conciliation de mon ami dans cette affaire délicate. Je vis qu'un bon esprit peut suffire à tout ; notre grand Locke était médecin : il fut le seul métaphysicien de l'Europe, et il rétablit les monnaies d'Angleterre.

Freind, en trois jours, trouva les cent mille livres sterling, que la cour de Charles VI mangea en moins de trois semaines. Après quoi il fallut que le général, accompagné de son théologien, allât se justifier à Londres, en plein Parlement, d'avoir conquis la Catalogne contre les règles, et de s'être ruiné pour le service de la cause commune. L'affaire traîna en longueur et en aigreur, comme toutes les affaires de parti.

Vous savez que M. Freind avait été député en parlement avant d'être prêtre, et qu'il est le seul à qui l'on ait permis d'exercer ces deux fonctions incompatibles. Or, un jour que Freind méditait un discours qu'il devait prononcer dans la chambre des communes, dont il était un digne membre, on lui annonça une dame espagnole qui demandait à lui parler pour affaire pressante. C'était dona Boca Vermeja elle-même. Elle était tout en pleurs ; notre bon ami lui fit servir à déjeuner. Elle essuya ses larmes, déjeuna, et lui parla ainsi :

« Il vous souvient, mon cher monsieur, qu'en allant à Gênes vous ordonnâtes à monsieur votre fils Jenni de partir de Barcelone pour Londres, et d'aller s'installer dans l'emploi de clerc de l'échiquier que votre crédit lui a fait obtenir. Il s'embarqua sur le Triton avec le jeune bachelier don Papa Dexando, et quelques autres que vous aviez convertis. Vous jugez bien que je fus du voyage avec ma bonne amie Las Nalgas. Vous savez que vous m'avez permis d'aimer monsieur votre fils, et que je l'adore...

--- Moi, mademoiselle  je ne vous ai point permis ce petit commerce ; je l'ai toléré : cela est bien différent. Un bon père ne doit être ni le tyran de son fils ni son mercure. La fornication entre deux personnes libres a été peut-être autrefois une espèce de droit naturel dont Jenni peut jouir avec discrétion sans que je m'en mêle ; je ne le gêne pas plus sur ses maîtresses que sur son dîner et sur son souper ; s'il s'agissait d'un adultère, j'avoue que je serais plus difficile, parce que l'adultère est un larcin ; mais pour vous, mademoiselle, qui ne faites tort à personne, je n'ai rien à vous dire.

--- Eh bien  monsieur, c'est d'adultère qu'il s'agit. Le beau Jenni m'abandonne pour une jeune mariée qui n'est pas si belle que moi. Vous sentez bien que c'est une injure atroce.

--- Il a tort », dit alors M. Freind.

Boca Vermeja, en versant quelques larmes, lui conta comment Jenni avait été jaloux, ou fait semblant d'être jaloux du bachelier ; comment Mme Clive-Hart, jeune mariée très-effrontée, très-emportée, très-masculine, très-méchante, s'était emparée de son esprit ; comment il vivait avec des libertins non craignant Dieu ; comment enfin il méprisait sa fidèle Boca Vermeja pour la coquine de Clive-Hart, parce que la Clive-Hart avait une nuance ou deux de blancheur et d'incarnat au-dessus de la pauvre Boca Vermeja.

« J'examinerai cette affaire-là à loisir, dit le bon Freind ; il faut que j'aille en parlement pour celle de milord Peterborough. » Il alla donc en parlement : je l'y entendis prononcer un discours ferme et serré, sans aucun lieu commun, sans épithète, sans ce que nous appelons des phrases ; il n' invoquait point un témoignage, une loi ; il les attestait, il les citait, il les réclamait ; il ne disait point qu'on avait surpris la religion de la cour en accusant milord Peterborough d'avoir hasardé les troupes de la reine Anne, parce que ce n'était pas une affaire de religion ; il ne prodiguait pas une conjecture le nom de démonstration ; il ne manquait pas de respect à l'auguste assemblée du parlement par de fades plaisanteries bourgeoises ; il n'appelait pas milord Peterborough son client, parce que le mot de client signifie un homme de la bourgeoisie protégé par un sénateur. Freind parlait avec autant de modestie que de fermeté : on l'écoutait en silence ; on ne l'interrompait qu'en disant : « Hear him, hear him : écoutez-le, écoutez-le. » La chambre des communes vota qu'on remercierait le comte de Peterborough au lieu de le condamner. Milord obtint la même justice de la cour des pairs, et se prépara à repartir avec son cher Freind pour aller donner le royaume d'Espagne à l'archiduc : ce qui n'arriva pourtant pas, par la raison que rien n'arrive dans ce monde précisément comme on le veut.

Au sortir du parlement, nous n'eûmes rien de plus pressé que d'aller nous informer de la conduite de Jenni. Nous apprîmes en effet qu'il menait une vie débordée et crapuleuse avec Mme Clive-Hart et une troupe de jeunes athées, d'ailleurs gens d'esprit, à qui leur débauches avaient persuadé que « l'homme n'a rien au-dessus de la bête ; qu'il naît et meurt comme la bête ; qu'ils sont également formés de terre ; qu'ils retournent également à la terre ; et qu'il n'y a rien de bon et de sage que de se réjouir dans ses œuvres, et de vivre avec celle que l'on aime, comme le conclut Salomon à la fin de son chapitre troisième du Coheleth, que nous nommons Ecclésiaste ».

Ces idées leur étaient principalement insinuées par un nommé Wirburton , méchant garnement très-impudent. J'ai lu quelque chose des manuscrits de ce fou : Dieu nous préserve de les voir imprimés un jour  Wirburton prétend que Moïse ne croyait pas à l'immortalité de l'âme ; et comme en effet Moïse n'en parla jamais, il en conclut que c'est la seule preuve que sa mission était divine. Cette conclusion absurde fait malheureusement conclure que la secte juive était fausse ; les impies en concluent par conséquent que la nôtre, fondée sur la juive, est fausse aussi, et que cette nôtre, qui est la meilleure de toutes, étant fausse, toutes les autres sont encore plus fausses ; qu'ainsi il n'y a point de religion. De là quelques gens viennent à conclure qu'il n'y a point de Dieu ; ajoutez à ces conclusions que ce petit Wirburton est un intrigant et un calomniateur. Voyez quel danger

Un autre fou nommé Needham, qui est en secret jésuite, va bien plus loin. Cet animal, comme vous le savez d'ailleurs, et comme on vous l'a tant dit , s'imagine qu'il a créé des anguilles avec de la farine de seigle et du jus de mouton ; que sur-le-champ ces anguilles en ont produit d'autres sans accouplement. Aussitôt nos philosophes décident qu'on peut faire des hommes avec de la farine de froment et du jus de perdrix, parce qu'ils doivent avoir une origine plus noble que celle des anguilles ; ils prétendent que ces hommes en produiront d'autres incontinent ; qu'ainsi ce n'est point Dieu qui a fait l'homme ; que tout s'est fait de soi-même ; qu'on peut très-bien se passer de Dieu ; qu'il n'y a point de Dieu. Juger quels ravages le Coheleth mal entendu, et Wirburton et Needham bien entendus, peuvent faire dans de jeunes cœurs tout pétris de passions, et qui ne raisonnent que d'après elles.

Mais, ce qu'il y avait de pis, c'est que Jenni avait des dettes par-dessus les oreilles ; il les payait d'une étrange façon. Un de ses créanciers était venu le jour même lui demander cent guinées pendant que nous étions en parlement. Le beau Jenni, qui jusque-là paraissait très-doux et très-poli, s'était battu avec lui, et lui avait donné pour tout paiement un bon coup d'épée. On craignait que le blessé n'en mourût : Jenni allait être mis en prison et risquait d'être pendu, malgré la protection de milord Peterborough.

CHAPITRE V.

ON VEUT MARIER JENNI.

Il nous souvient, mon cher ami, de la douleur et de l'indignation qu'avait ressenties le vénérable Freind quand il apprit que son cher Jenni était à Barcelone dans les prisons du saint-office ; croyez qu'il fut saisi d'un plus violent transport en apprenant les déportements de ce malheureux enfant, ses débauches, ses dissipations, sa manière de payer ses créanciers, et son danger d'être pendu. Mais Freind se contint. C'est une chose étonnante que l'empire de cet excellent homme sur lui-même. Sa raison commande à son cœur, comme un bon maître à un bon domestique. Il fait tout à propos, et agit prudemment avec autant de célérité que les imprudents se déterminent. « Il n'est pas temps, dit-il, de prêcher Jenni ; il faut le tirer du précipice. »

Vous saurez que notre ami avait touché la veille une très-grosse somme de la succession de George Hubert, son oncle. Il va chercher lui-même notre grand chirurgien Cheselden . Nous le trouvons heureusement, nous allons ensemble chez le créancier blessé. M. Freind fait visiter sa plaie, elle n'était pas mortelle. Il donne au patient les cent guinées pour premier appareil, et cinquante autres en forme de réparation ; il lui demande pardon pour son fils ; il lui exprime sa douleur avec tant de tendresse, avec tant de vérité, que ce pauvre homme, qui était dans son lit, l'embrasse en versant des larmes, et veut lui rendre son argent. Ce spectacle étonnait et attendrissait le jeune M. Cheselden, qui commence à se faire une grande réputation, et dont le cœur est aussi bon que son coup d'œil et sa main sont habiles. J'étais ému, j'étais hors de moi ; je n'avais jamais tant révéré, tant aimé notre ami.

Je lui demandai, en retournant à sa maison, s'il ne ferait pas venir son fils chez lui, s'il ne lui représenterait pas ses fautes. « Non, dit-il ; je veux qu'il les sente avant que je lui en parle. Soupons ce soir tous deux ; nous verrons ensemble ce que l'honnêteté m'oblige de faire. Les exemples corrigent bien mieux que les réprimandes. »

J'allai, en attendant le souper, chez Jenni ; je le trouvai, comme je pense que tout homme est après son premier crime, pâle, l'œil égaré, la voix rauque et entrecoupée, l'esprit agité, répondant de travers à tout ce qu'on lui disait. Enfin je lui appris ce que son père venait de faire. Il resta immobile, me regarda fixement, puis se détourna un moment pour verser quelques larmes. J'en augurai bien ; je conçus une grande espérance que Jenni pourrait être un jour très-honnête homme. J'allais me jeter à son cou, lorsque Mme Clive-Hart entra avec un jeune étourdi de ses amis, nommé Birton.

« Eh bien  dit la dame en riant, est-il vrai que tu as tué un homme aujourd'hui ? C'était apparemment quelque ennuyeux ; il est bon de délivrer le monde de ces gens-là. Quand il te prendra envie de tuer quelque autre, je te prie de donner la préférence à mon mari, car il m'ennuie furieusement. »

Je regardais cette femme des pieds jusqu'à la tête. Elle était belle ; mais elle me parut avoir quelque chose de sinistre dans la physionomie. Jenni n'osait répondre, et baissait les yeux, parce que j'étais là. « Qu'as-tu donc, mon ami ? lui dit Birton, il semble que tu aies fait quelque mal ; je viens te remettre ton péché. Tiens, voici un petit livre que je viens d'acheter chez Lintot ; il prouve, comme deux et deux font quatre, qu'il n'y a ni Dieu, ni vice, ni vertu : cela est consolant. Buvons ensemble. »

À cet étrange discours je me retirai au plus vite. Je fis sentir discrètement à M. Freind combien son fils avait besoin de sa présence et de ses conseils. « Je le conçois comme vous, dit ce bon père ; mais commençons par payer ses dettes. » Toutes furent acquittées dès le lendemain matin. Jenni vint se jeter à ses pieds. Croiriez-vous bien que le père ne lui fit aucun reproche ? Il l'abandonna à sa conscience, et lui dit seulement : « Mon fils, souvenez-vous qu'il n'y a point de bonheur sans la vertu. »

Ensuite il maria Boca Vermeja avec le bachelier de Catalogne, pour qui elle avait un penchant secret, malgré les larmes qu'elle avait répandues pour Jenni : car tout cela s'accorde merveilleusement chez les femmes. On dit que c'est dans leurs cœurs que toutes les contradictions se rassemblent. C'est, sans doute, parce qu'elles ont été pétries originairement d'une de nos côtes.

Le généreux Freind paya la dot des deux mariés ; il plaça bien tous ses nouveaux convertis, par la protection de milord Peterborough : car ce n'est pas assez d'assurer le salut des gens, il faut les faire vivre.

Ayant dépêché toutes ces bonnes actions avec ce sang-froid actif qui m'étonnait toujours, il conclut qu'il n'y avait d'autre parti à prendre pour remettre son fils dans le chemin des honnêtes gens que de le marier avec une personne bien née qui eût de la beauté, des mœurs, de l'esprit, et même un peu de richesse ; et que c'était le seul moyen de détacher Jenni de cette détestable Clive-Hart, et des gens perdus qu'il fréquentait.

J'avais entendu parler de Mlle Primerose, jeune héritière élevée par milady Hervey, sa parente. Milord Peterborough m'introduisit chez milady Hervey. Je vis miss Primerose, et je jugeai qu'elle était bien capable de remplir toutes les vues de mon ami Freind. Jenni, dans sa vie débordée, avait un profond respect pour son père, et même de la tendresse. Il était touché principalement de ce que son père ne lui faisait aucun reproche de sa conduite passée. Ses dettes payées sans l'en avertir, des conseils sages donnés à propos et sans réprimandes, des marques d'amitié échappées de temps en temps sans aucune familiarité qui eût pu les avilir : tout cela pénétrait Jenni, né sensible et avec beaucoup d'esprit. J'avais toutes les raisons de croire que la fureur de ses désordres céderait aux charmes de Primerose et aux étonnantes vertus de mon ami.

Milord Peterborough lui-même présenta d'abord le père, et ensuite Jenni chez milady Hervey. Je remarquai que l'extrême beauté de Jenni fit d'abord une impression profonde sur le cœur de Primerose : car je la vis baisser les yeux, les relever, et rougir. Jenni ne parut que poli, et Primerose avoua à milady Hervey qu'elle eût bien souhaité que cette politesse fût de l'amour.

Peu à peu notre beau jeune homme démêla tout le mérite de cette incomparable fille, quoiqu'il fût subjugué par l'infâme Clive-Hart. Il était comme cet Indien invité par un ange à cueillir un fruit céleste, et retenu par les griffes d'un dragon. Ici le souvenir de ce que j'ai vu me suffoque. Mes pleurs mouillent mon papier. Quand j'aurai repris mes sens, je reprendrai le fil de mon histoire.

CHAPITRE VI.

AVENTURE ÉPOUVANTABLE.

On était prêt de conclure le mariage de la belle Primerose avec le beau Jenni. Notre ami Freind n'avait jamais goûté une joie plus pure ; je la partageais. Voici comment elle fut changée en un désastre que je puis à peine comprendre.

La Clive-Hart aimait Jenni en lui faisant continuellement des infidélités. C'est le sort, dit-on, de toutes les femmes qui, en méprisant trop la pudeur, ont renoncé à la probité. Elle trahissait surtout son cher Jenni pour son cher Birton et pour un autre débauché de la même trempe. Ils vivaient ensemble dans la crapule ; et, ce qui ne se voit peut-être que dans notre nation, c'est qu'ils avaient tous de l'esprit et de la valeur. Malheureusement ils n'avaient jamais plus d'esprit que contre Dieu. La maison de Mme Clive-Hart était le rendez-vous des athées. Encore s'ils avaient été des athées gens de bien, comme Épicure et Leontium, comme Lucrèce et Memmius, comme Spinoza, qu'on dit avoir été un des plus honnêtes hommes de la Hollande ; comme Hobbes, si fidèle à son infortuné monarque Charles Ier... Mais ...

Quoi qu'il en soit, Clive-Hart, jalouse avec fureur de la tendre et innocente Primerose, sans être fidèle à Jenni, ne put souffrir cet heureux mariage. Elle médite une vengeance dont je ne crois pas qu'il y ait d'exemple dans notre ville de Londres, où nos pères cependant ont vu tant de crimes de tant d'espèces.

Elle sut que Primerose devait passer devant sa porte en revenant de la Cité, où cette jeune personne était allée faire des emplettes avec sa femme de chambre. Elle prend ce temps pour faire travailler à un petit canal souterrain qui conduisait l'eau dans ses offices.

Le carrosse de Primerose fut obligé, en revenant, de s'arrêter vis-à-vis cet embarras. La Clive-Hart se présente à elle, la prie de descendre, de se reposer, d'accepter quelques rafraîchissements, en attendant que le chemin soit libre. La belle Primerose tremblait à cette proposition ; mais Jenni était dans le vestibule. Un mouvement involontaire, plus fort que la réflexion, la fit descendre. Jenni courait au-devant d'elle, et lui donnait déjà la main. Elle entre ; le mari de la Clive-Hart était un ivrogne imbécile, odieux à sa femme autant que soumis, à charge même par ses complaisances. Il présente d'abord, en balbutiant, des rafraîchissements à la demoiselle qui honore sa maison, il en boit après elle. La dame Clive-Hart les emporte sur-le-champ, et en fait présenter d'autres. Pendant ce temps la rue est débarrassée. Primerose remonte en carrosse et rentre chez sa mère.

Au bout d'un quart d'heure, elle se plaint d'un mal de cœur et d'un étourdissement. On croit que ce petit dérangement n'est que l'effet du mouvement du carrosse ; mais le mal augmente de moment en moment, et le lendemain elle était à la mort. Nous courûmes chez elle, M. Freind et moi. Nous trouvâmes cette charmante créature, pâle, livide, agitée de convulsions, les lèvres retirées, les yeux tantôt éteints, tantôt étincelants, et toujours fixes. Des taches noires défiguraient sa belle gorge et son beau visage. Sa mère était évanouie à côté de son lit. Le secourable Cheselden prodiguait en vain toutes les ressources de son art. Je ne vous peindrai point le désespoir de Freind, il était inexprimable. Je vole au logis de la Clive-Hart. J'apprends que son mari vient de mourir, et que la femme a déserté la maison. Je cherche Jenni ; on ne le retrouve pas. Une servante me dit que sa maîtresse s'est jetée aux pieds de Jenni, et l'a conjuré de ne la pas abandonner dans son malheur ; qu'elle est partie avec Jenni et Birton ; et qu'on ne sait où elle est allée.

Écrasé de tant de coups si rapides et si multipliés, l'esprit bouleversé par des soupçons horribles que je chassais et qui revenaient, je me traîne dans la maison de la mourante. « Cependant, me disais-je à moi-même, si cette abominable femme s'est jetée aux genoux de Jenni, si elle l'a prié d'avoir pitié d'elle, il n'est donc point complice. Jenni est incapable d'un crime si lâche, si affreux, qu'il n'a eu nul intérêt, nul motif de commettre, qui le priverait d'une femme adorable et de sa fortune, qui le rendrait exécrable au genre humain : faible, il se sera laissé subjuguer par une malheureuse dont il n'aura pas connu les noirceurs. Il n'a point vu comme moi Primerose expirante ; il n'aurait pas quitté le chevet de son lit pour suivre l'empoisonneuse de sa femme. » Dévoré de ces pensées, j'entre en frissonnant chez elle que je craignais de ne plus trouver en vie : elle respirait ; le vieux Clive-Hart avait succombé en un moment, parce que son corps était usé par les débauches ; mais la jeune Primerose était soutenue par un tempérament aussi robuste que son âme était pure. Elle m'aperçut, et d'une voix tendre elle me demanda où était Jenni. À ce mot j'avoue qu'un torrent de larmes coula de mes yeux. Je ne pus lui répondre. Je ne pus parler au père. Il fallut la laisser enfin entre les mains fidèles qui la servaient.

Nous allâmes instruire milord de ce désastre. Vous connaissez son cœur : il est aussi tendre pour ses amis que terrible à ses ennemis. Jamais homme ne fut plus compatissant avec une physionomie plus dure. Il se donna autant de peine pour secourir la mourante, pour découvrir l'asile de Jenni et de sa scélérate, qu'il en avait prises pour donner l'Espagne à l'archiduc. Toutes nos recherches furent inutiles. Je crus que Freind en mourrait. Vous volions tantôt chez Primerose, dont l'agonie était longue, tantôt à Rochester, à Douvres, à Portsmouth ; on envoyait des courriers partout, on était partout, on errait à l'aventure, comme des chiens de chasse qui ont perdu la voie ; et cependant la mère infortunée de l'infortunée Primerose voyait d'heure en heure mourir sa fille.

Enfin nous apprenons qu'une femme assez jeune et assez belle, accompagnée de trois jeunes gens et de quelques valets, s'est embarquée à Newport dans le comté de Pembroke, sur un petit vaisseau qui était à la rade, plein de contrebandiers, et que ce bâtiment est parti pour l'Amérique septentrionale.

Freind, à cette nouvelle, poussa un profond soupir ; puis, tout à coup se recueillant et me serrant la main : « Il faut, dit-il, que j'aille en Amérique. » Je lui répondis en l'admirant et en pleurant : « Je ne vous quitterai pas ; mais que pourrez-vous faire ?

--- Ramener mon fils unique, dit-il, à sa patrie et à la vertu, ou m'ensevelir auprès de lui. » Nous ne pouvions douter en effet aux indices qu'on nous donna que ce ne fût Jenni qui s'était embarqué avec cette horrible femme et Birton, et les garnements du cortège.

Le bon père, ayant pris son parti, dit adieu à milord Peterborough, qui retourna bientôt en Catalogne ; et nous allâmes fréter à Bristol un vaisseau pour la rivière de Delaware et pour la baie de Maryland. Freind concluait que, ces parages étant au milieu des possessions anglaises, il fallait y diriger sa navigation, soit que son fils fût vers le sud, soit qu'il eut marché vers le septentrion. Il se munit d'argent, de lettres de change, et de vivres, laissant à Londres un domestique affidé, chargé de lui donner des nouvelles par les vaisseaux qui allaient toutes les semaines dans le Maryland ou dans la Pensylvanie.

Nous partîmes ; les gens de l'équipage, en voyant la sérénité sur le visage de Freind, croyaient que nous faisions un voyage de plaisir. Mais, quand il n'avait que moi pour témoin, ses soupirs m'expliquaient assez sa douleur profonde. Je m'applaudissais quelquefois en secret de l'honneur de consoler une si belle âme. Un vent d'ouest nous retint longtemps à la hauteur des Sorlingues. Nous fûmes obligés de diriger notre route vers la Nouvelle-Angleterre. Que d'informations nous fîmes sur toute la côte  Que de temps et de soins perdus  Enfin un vent de nord-est s'étant levé, nous tournâmes vers Maryland. C'est là qu'on nous dépeignit Jenni, la Clive-Hart, et leurs compagnons.

Ils avaient séjourné sur la côte pendant plus d'un mois, et avaient étonné toute la colonie par des débauches et des magnificences inconnues jusqu'alors dans cette partie du globe ; après quoi ils étaient disparus, et personne ne savait de leurs nouvelles.

Nous avançâmes dans la baie avec le dessein d'aller jusqu'à Baltimore prendre de nouvelles informations.

CHAPITRE VII.

CE QUI ARRIVA EN AMÉRIQUE.

Nous trouvâmes dans la route, sur la droite, une habitation très-bien entendue. C'était une maison basse, commode et propre, entre une grange spacieuse et une vaste étable, le tout entouré d'un jardin où croissaient tous les fruits du pays. Cet enclos appartenait à un vieillard qui nous invita à descendre dans sa retraite. Il n'avait pas l'air d'un Anglais, et nous jugeâmes bientôt à son accent qu'il était étranger. Nous ancrâmes ; nous descendîmes ; ce bonhomme nous reçut avec cordialité, et nous donna le meilleur repas qu'on puisse faire dans le nouveau monde.

Nous lui insinuâmes discrètement notre désir de savoir à qui nous avions l'obligation d'être si bien reçus. « Je suis, dit-il, un de ceux que vous appelez sauvages ; je naquis sur une des montagnes bleues qui bordent cette contrée, et que vous voyez à l'occident. Un gros vilain serpent à sonnette m'avait mordu dans mon enfance sur une de ces montagnes ; j'étais abandonné ; j'allais mourir. Le père de milord Baltimore d'aujourd'hui me rencontra, me mit entre les mains de son médecin, et je lui dus la vie. Je lui rendis bientôt ce que je lui devais, car je lui sauvai la sienne dans un combat contre une horde voisine. Il me donna pour récompense cette habitation, où je vis heureux. »

M. Freind lui demanda s'il était de la religion du lord Baltimore. « Moi  dit-il, je suis de la mienne ; pourquoi voudriez-vous que je fusse de la religion d'un autre homme ? » Cette réponse courte et énergique nous fit rentrer un peu en nous-mêmes. « Vous avez donc, lui dis-je, votre dieu et votre loi ?

--- Oui, nous répondit-il avec une assurance qui n'avait rien de la fierté ; mon dieu est là », et il montra le ciel ; « ma loi est là-dedans », et il mit la main sur son cœur. M. Freind fut saisi d'admiration, et, me serrant la main : « Cette pure nature, me dit-il, en sait plus que tous les bacheliers qui ont raisonné avec nous dans Barcelone. »

Il était pressé d'apprendre, s'il se pouvait, quelque nouvelle certaine de son fils Jenni. C'était un poids qui l'oppressait. Il demanda si on n'avait pas entendu parler de cette bande de jeunes gens qui avaient fait tant de fracas dans les environs. « Comment  dit le vieillard, si on m'en a parlé  Je les ai vus, je les ai reçus chez moi, et ils ont été si contents de ma réception qu'ils sont partis avec une de mes filles. »

Jugez quel fut le frémissement et l'effroi de mon ami à ce discours. Il ne put s'empêcher de s'écrier dans son premier mouvement : « Quoi  votre fille a été enlevée par mon fils

--- Bon Anglais, lui repartit le vieillard, ne te fâche point ; je suis très-aise que celui qui est parti de chez moi avec ma fille soit ton fils, car il est beau, bien fait, et paraît courageux. Il ne m'a point enlevé ma chère Parouba : car il faut que tu saches que Parouba est son nom, parce que Parouba est le mien. S'il m'avait pris ma Parouba, ce serait un vol ; et mes cinq enfants mâles, qui sont à présent à la chasse dans le voisinage, à quarante ou cinquante milles d'ici, n'auraient pas souffert cet affront. C'est un grand péché de voler le bien d'autrui. Ma fille s'en est allée de son plein gré avec ces jeunes gens ; elle a voulu voir le pays : c'est une petite satisfaction qu'on ne doit pas refuser à une personne de son âge. Ces voyageurs me la rendront avant qu'il soit un mois ; j'en suis sûr, car ils me l'ont promis. » Ces paroles m'auraient fait rire, si la douleur où je voyais mon ami plongé n'avait pas pénétré mon âme, qui en était tout occupée.

Le soir, tandis que nous étions prêts à partir et à profiter du vent, arrive un des fils de Parouba tout essoufflé, la pâleur, l'horreur et le désespoir sur le visage. « Qu'as-tu donc, mon fils ? d'où viens-tu ? je te croyais à la chasse ; que t'est-il arrivé ? Es-tu blessé par quelque bête sauvage ?

--- Non, mon père, je ne suis point blessé, mais je me meurs.

--- Mais d'où viens-tu, encore une fois, mon cher fils ?

--- De quarante milles d'ici sans m'arrêter ; mais je suis mort. »

Le père, tout tremblant, le fait reposer. On lui donne des restaurants ; nous nous empressons autour de lui, ses petits frères, ses petites sœurs, M. Freind, et moi, et nos domestiques. Quand il eut repris ses sens, il se jeta au cou du bon vieillard Parouba. « Ah  dit-il en sanglotant, ma sœur Parouba est prisonnière de guerre, et probablement va être mangée. »

Le bonhomme Parouba tomba par terre à ces paroles. M. Freind, qui était père aussi, sentit ses entrailles s'émouvoir. Enfin Parouba le fils nous apprit qu'une troupe de jeunes Anglais fort étourdis avaient attaqué par passe-temps des gens de la montagne bleue. « Ils avaient, dit-il, avec eux une très-belle femme et sa suivante ; et je ne sais comment ma sœur se trouvait dans cette compagnie. La belle Anglaise a été tuée et mangée ; ma sœur a été prise, et sera mangée tout de même. Je viens ici chercher du secours contre les gens de la montagne bleue ; je veux les tuer, les manger à mon tour, reprendre ma chère sœur, ou mourir. »

Ce fut alors à M. Freind de s'évanouir ; mais l'habitude de se commander à lui-même le soutint. « Dieu m'a donné un fils, me dit-il ; il reprendra le fils et le père quand le moment d'exécuter ses décrets éternels sera venu. Mon ami, je serais tenté de croire que Dieu agit quelquefois par une providence particulière, soumise à ses lois générales, puisqu'il punit en Amérique les crimes commis en Europe, et que la scélérate Clive-Hart est morte comme elle devait mourir. Peut-être le souverain fabricateur de tant de mondes aura-t-il arrangé les choses de façon que les grands forfaits commis dans un globe sont expiés quelquefois dans ce globe même. Je n'ose le croire, mais je le souhaite ; et je le croirais si cette idée n'était pas contre toutes les règles de la bonne métaphysique. »

Après des réflexions si tristes sur de si fatales aventures, fort ordinaires en Amérique, Freind prit son parti incontinent selon sa coutume. « J'ai un bon vaisseau, dit-il à son hôte, il est bien approvisionné ; remontons le golfe avec la marée le plus près que nous pourrons des montagnes bleues. Mon affaire la plus pressée est à présent de sauver votre fille. Allons vers vos anciens compatriotes ; vous leur direz que je viens leur apporter le calumet de la paix, et que je suis le petit-fils de Penn : ce nom seul suffira. »

À ce nom de Penn, si révéré dans toute l'Amérique boréale, le bon Parouba et son fils sentirent les mouvements du plus profond respect et de la plus chère espérance. Nous nous embarquons, nous mettons à la voile, nous abordons en trente-six heures après de Baltimore.

À peine étions-nous à la vue de cette petite place, alors presque déserte, que nous découvrîmes de loin une troupe nombreuse d'habitants des montagnes bleues qui descendaient dans la plaine, armés de casse-têtes, de haches, et de ces mousquets que les Européans leur ont si sottement vendus pour avoir des pelleteries. On entendait déjà leurs hurlements effroyables. D'un autre côté s'avançaient quatre cavaliers suivis de quelques hommes de pied. Cette petite troupe nous prit pour des gens de Baltimore qui venaient les combattre. Les cavaliers courent sur nous à bride abattue, le sabre à la main. Nos compagnons se préparaient à les recevoir. M. Freind, ayant regardé fixement les cavaliers, frissonna un moment ; mais, reprenant tout à coup son sang-froid ordinaire : « Ne bougez, mes amis, nous dit-il d'une voix attendrie ; laissez-moi agir seul. » Il s'avance en effet seul, sans armes, à pas lents, vers la troupe. Nous voyons en un moment le chef abandonner la bride de son cheval, se jeter à terre, et tomber prosterné. Nous poussons un cri d'étonnement ; nous approchons : c'était Jenni lui-même qui baignait de larmes les pieds de son père, qu'il embrassait de ses mains tremblantes. Ni l'un ni l'autre ne pouvait parler. Birton et les deux jeunes cavaliers qui l'accompagnaient descendirent de cheval. Mais Birton, conservant son caractère, lui dit : « Pardieu  mon cher Freind, je ne t'attendais pas ici. Toi et moi nous sommes faits pour les aventures ; pardieu  je suis bien aise de te voir. »

Freind, sans daigner lui répondre, se retourna vers l'armée des montagnes bleues qui s'avançait. Il marcha à elle avec le seul Parouba, qui lui servait d'interprète. « Compatriotes, leur dit Parouba, voici le descendant de Penn qui vous apporte le calumet de la paix. »

À ces mots, le plus ancien du peuple répondit, en élevant les mains et les yeux au ciel : « Un fils de Penn  que je baise ses pieds et ses mains, et ses parties sacrées de la génération Qu'il puisse faire une longue race de Penn  que les Penn vivent à jamais  le grand Penn est notre Manitou, notre dieu. Ce fut presque le seul des gens d'Europe qui ne nous trompa point, qui ne s'empara point de nos terres par la force. Il acheta le pays que nous lui cédâmes ; il le paya libéralement ; il entretint chez nous la concorde ; il apporta des remèdes pour le peu de maladies que notre commerce avec les gens d'Europe nous communiquait ; il nous enseigna des arts que nous ignorions. Jamais nous ne fumâmes contre lui ni contre ses enfants le calumet de la guerre ; nous n'avons avec les Penn que le calumet de l'adoration. »

Ayant parlé ainsi au nom de son peuple, il courut en effet baiser les pieds et les mains de M. Freind ; mais il s'abstint de parvenir aux parties sacrées dès qu'on lui dit que ce n'était pas l'usage en Angleterre, et que chaque pays a ses cérémonies.

Freind fit apporter sur-le-champ une trentaine de jambons, autant de grands pâtés et de poulardes à la daube, deux cents gros flacons de vin de Pontac qu'on tira du vaisseau ; il plaça à côté de lui le commandant des montagnes bleues. Jenni et ses compagnons furent du festin ; mais Jenni aurait voulu être cent pieds sous terre. Son père ne lui disait mot ; et ce silence augmentait encore sa honte.

Birton, à qui tout était égal, montrait une gaieté évaporée. Freind, avant qu'on se mît à manger, dit au bon Parouba : « Il nous manque ici une personne bien chère, c'est votre fille. » Le commandant des montagnes bleues la fit venir sur-le-champ ; on ne lui avait fait aucun outrage ; elle embrassa son père et son frère, comme si elle fût revenue de la promenade.

Je profitai de la liberté du repas pour demander par quelle raison les guerriers des montagnes bleues avaient tué et mangé Mme Clive-Hart, et n'avaient rien fait à la fille de Parouba. « C'est parce que nous sommes justes, répondit le commandant. Cette fière Anglaise était de la troupe qui nous attaqua ; elle tua un des nôtres d'un coup de pistolet par derrière. Nous n'avons rien fait à la Parouba dès que nous avons su qu'elle était la fille d'un de nos anciens camarades, et qu'elle n'était venue ici que pour s'amuser : il faut rendre à chacun selon ses œuvres. »

Freind fut touché de cette maxime, mais il représenta que la coutume de manger des femmes était indigne de si braves gens, et qu'avec tant de vertu on ne devait pas être anthropophage.

Le chef des montagnes nous demanda alors ce que nous faisions de nos ennemis lorsque nous les avions tués. « Nous les enterrons, lui répondis-je.

--- J'entends, dit-il ; vous les faites manger par les vers. Nous voulons avoir la préférence ; nos estomacs sont une sépulture plus honorable. »

Birton prit plaisir à soutenir l'opinion des montagnes bleues. Il dit que la coutume de mettre son prochain au pot ou à la broche était la plus ancienne et la plus naturelle, puisqu'on l'avait trouvée établie dans les deux hémisphères ; qu'il était par conséquent démontré que c'était là une idée innée ; qu'on avait été à la chasse aux hommes avant d'aller à la chasse aux bêtes, par la raison qu'il était bien plus aisé de tuer un homme que de tuer un loup ; que si les Juifs, dans leurs livres si longtemps ignorés, ont imaginé qu'un nommé Caïn tua un nommé Abel, ce ne put être que pour le manger ; que ces Juifs eux-mêmes avouent nettement s'être nourris plusieurs fois de chair humaine ; que, selon les meilleurs historiens, les Juifs dévorèrent les chairs sanglantes des Romains assassinés par eux en Égypte, en Chypre, en Asie, dans leurs révoltes contre les empereurs Trajan et Adrien.

Nous lui laissâmes débiter ces dures plaisanteries, dont le fond pouvait malheureusement être vrai, mais qui n'avaient rien de l'atticisme grec et de l'urbanité romaine.

Le bon Freind, sans lui répondre, adressa la parole aux gens du pays. Parouba l'interprétait phrase à phrase. Jamais le grave Tillotson ne parla avec tant d'énergie ; jamais l'insinuant Smalridge n'eut des grâces si touchantes. Le grand secret est de démontrer avec éloquence. Il leur démontra donc que ces festins où l'on se nourrit de la chair de ses semblables sont des repas de vautours, et non pas d'hommes ; que cette exécrable coutume inspire une férocité destructive du genre humain ; que c'était la raison pour laquelle ils ne connaissaient ni les consolations de la société, ni la culture de la terre ; enfin ils jurèrent par leur grand Manitou qu'ils ne mangeraient plus ni hommes ni femmes.

Freind, dans une seule conversation, fut leur législateur ; c'était Orphée qui apprivoisait les tigres. Les Jésuites ont beau s'attribuer des miracles dans leurs Lettres curieuses et édifiantes, qui sont rarement l'un et l'autre, ils n'égaleront jamais notre ami Freind.

Après avoir comblé de présents les seigneurs des montagnes bleues, il ramena dans son vaisseau le bonhomme Parouba vers sa demeure. Le jeune Parouba fut du voyage avec sa sœur ; les autres frères avaient poursuivi leur chasse du côté de la Caroline. Jenni, Birton, et leurs camarades, s'embarquèrent dans le vaisseau ; le sage Freind persistait toujours dans sa méthode de ne faire aucun reproche à son fils quand ce garnement avait fait quelque mauvaise action ; il le laissait s'examiner lui-même et dévorer son cœur, comme dit Pythagore. Cependant il reprit trois fois la lettre qu'on lui avait apportée d'Angleterre ; et, en la relisant, il regardait son fils, qui baissait toujours les yeux ; et on lisait sur le visage de ce jeune homme le respect et le repentir.

Pour Birton, il était aussi gai et aussi désinvolte que s'il était revenu de la comédie : c'était un caractère à peu près dans le goût du feu comte de Rochester, extrême dans la débauche, dans la bravoure, dans ses idées, dans ses expressions, dans sa philosophie épicurienne, n'étant attaché à rien, sinon aux choses extraordinaires, dont il se dégoûtait bien vite ; ayant cette sorte d'esprit qui tient les vraisemblances pour des démonstrations ; plus savant, plus éloquent qu'aucun jeune homme de son âge, mais ne s'étant jamais donné la peine de rien approfondir.

Il échappa à M. Freind, en dînant avec nous dans le vaisseau, de me dire : « En vérité, mon ami, j'espère que Dieu inspirera des mœurs plus honnêtes à ces jeunes gens, et que l'exemple terrible de la Clive-Hart les corrigera. »

Birton, ayant entendu ces paroles, lui dit d'un ton un peu dédaigneux : « J'étais depuis longtemps très-mécontent de cette méchante Clive-Hart : je ne me soucie pas plus d'elle que d'une poularde grasse qu'on aurait mise à la broche ; mais, en bonne foi, pensez-vous qu'il existe, je ne sais où, un être continuellement occupé à faire punir toutes les méchantes femmes, et tous les hommes pervers qui peuplent et dépeuplent les quatre parties de notre petit monde ? Oubliez-vous que notre détestable Marie, fille de Henri VIII, fut heureuse jusqu'à sa mort ? et cependant elle avait fait périr dans les flammes plus de huit cents citoyens et citoyennes sur le seul prétexte qu'ils ne croyaient ni à la transsubstantiation ni au pape. Son père, presque aussi barbare qu'elle, et son mari, plus profondément méchant, vécurent dans les plaisirs. Le pape Alexandre VI, plus criminel qu'eux tous, fut aussi le plus fortuné : tous ses crimes lui réussirent, et il mourut à soixante et douze ans, puissant, riche, courtisé de tous les rois. Où est donc le dieu juste et vengeur ? Non, pardieu  il n'y a point de dieu. »

M. Freind, d'un air austère, mais tranquille, lui dit : « Monsieur, vous ne devriez pas, ce me semble, jurer par Dieu même que ce Dieu n'existe pas. Songez que Newton et Locke n'ont prononcé jamais ce nom sacré sans un air de recueillement et d'adoration secrète qui a été remarqué de tout le monde.

--- Pox repartit Birton ; je me soucie bien de la mine que deux hommes ont faite. Quelle mine avait donc Newton quand il commentait l' Apocalypse ? et quelle grimace faisait Locke lorsqu'il racontait la longue conversation d'un perroquet avec le prince Maurice ? »

Alors Freind prononça ces belles paroles d'or qui se gravèrent dans mon cœur : « Oublions les rêves des grands hommes, et souvenons-nous des vérités qu'ils nous ont enseignées. » Cette réponse engagea une dispute réglée, plus intéressante que la conversation avec le bachelier de Salamanque ; je me mis dans un coin, j'écrivis en notes tout ce qui fut dit : on se rangea autour des deux combattants ; le bonhomme Parouba, son fils, et surtout sa fille, les compagnons des débauches de Jenni, écoutaient, le cou tendu, les yeux fixés ; et Jenni, la tête baissée, les deux coudes sur ses genoux, les mains sur ses yeux, semblait plongé dans la plus profonde méditation.

Voici mot à mot la dispute.

CHAPITRE VIII.

DIALOGUE DE FREIND ET DE BIRTON SUR L'ATHÉISME.

FREIND.

Je ne vous répéterai pas, monsieur, les arguments métaphysiques de notre célèbre Clarke. Je vous exhorte seulement à les relire ; ils sont plus faits pour vous éclairer que pour vous toucher : je ne veux vous apporter que des raisons qui peut-être parleront plus à votre cœur.

BIRTON.

Vous me ferez plaisir ; je veux qu'on m'amuse et qu'on m'intéresse ; je hais les sophismes : les disputes métaphysiques ressemblent à des ballons remplis de vent, que les combattants se renvoient. Les vessies crèvent, l'air en sort, il ne reste rien.

FREIND.

Peut-être, dans les profondeurs du respectable arien Clarke, y a-t-il quelques obscurités, quelques vessies ; peut-être s'est-il trompé sur la réalité de l'infini actuel et de l'espace, etc. ; peut-être, en se faisant commentateur de Dieu, a-t-il imité quelquefois les commentateurs d'Homère, qui lui supposent des idées auxquelles Homère ne pensa jamais.

À ces mots d'infini, d'espace, d'Homère, de commentateurs, le bonhomme Parouba et sa fille, et quelques Anglais même, voulurent aller prendre l'air sur le tillac ; mais Freind ayant promis d'être intelligible, ils demeurèrent ; et moi, j'expliquais tout bas à Parouba quelques mots un peu scientifiques que des gens nés sur les montagnes bleues ne pouvaient entendre aussi commodément que des docteurs d'Oxford et de Cambridge.

L'ami Freind continua donc ainsi :

Il serait triste que, pour être sûr de l'existence de Dieu, il fût nécessaire d'être un profond métaphysicien : il n'y aurait tout au plus en Angleterre qu'une centaine d'esprits bien versés ou renversés dans cette science ardue du pour et du contre qui fussent capables de sonder cet abîme, et le reste de la terre entière croupirait dans une ignorance invincible, abandonné en proie à ses passions brutales, gouverné par le seul instinct, et ne raisonnant passablement que sur les grossières notions de ses intérêts charnels. Pour savoir s'il est un dieu, je ne vous demande qu'une chose, c'est d'ouvrir les yeux.

BIRTON.

Ah  je vous vois venir : vous recourez à ce vieil argument tant rebattu que le soleil tourne sur son axe en vingt-cinq jours et demi, en dépit de l'absurde Inquisition de Rome ; que la lumière nous arrive réfléchie de Saturne en quatorze minutes, malgré les suppositions absurdes de Descartes ; que chaque étoile fixe est un soleil comme le nôtre, environné de planètes ; que tous ces astres innombrables, placés dans les profondeurs de l'espace, obéissent aux lois mathématiques découvertes et démontrées par le grand Newton ; qu'un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et que Newton le prouve aux sages, comme le dit un philosophe frenchman, persécuté dans son drôle de pays pour l'avoir dit .

Ne vous tourmentez pas à m'étaler cet ordre constant qui règne dans toutes les parties de l'univers : il faut bien que tout ce qui existe soit dans un ordre quelconque ; il faut bien que la matière plus rare s'élève sur la plus massive, que le plus fort en tout sens presse le plus faible, que ce qui est poussé avec plus de mouvement coure plus vite ; tout s'arrange ainsi de soi-même. Vous auriez beau, après avoir bu une pinte de vin comme Esdras, me parler comme lui neuf cent soixante heures de suite sans fermer la bouche, je ne vous en croirais pas davantage. Voudriez-vous que j'adoptasse un Être éternel, infini et immuable, qui s'est plu, dans je ne sais quel temps, à créer de rien des choses qui changent à tout moment, et à faire des araignées pour éventrer des mouches ? Voudriez-vous que je disse, avec ce bavard impertinent de Nieuwentyt, que « Dieu nous a donné des oreilles pour avoir la foi, parce que la foi vient par ouï-dire » ? Non, non, je ne croirai point à des charlatans qui ont vendu cher leurs drogues à des imbéciles ; je m'en tiens au petit livre d'un frenchman qui dit que rien n'existe et ne peut exister, sinon la nature ; que la nature fait tout, que la nature est tout, qu'il est impossible et contradictoire qu'il existe quelque chose au delà du tout ; en un mot, je ne crois qu'à la nature .

FREIND.

Et si je vous disais qu'il n'y a point de nature, et que dans nous, autour de nous, et à cent mille millions de lieues, tout est art sans aucune exception.

BIRTON.

Comment  tout est art  en voici bien d'une autre

FREIND.

Presque personne n'y prend garde ; cependant rien n'est plus vrai. Je vous dirai toujours : Servez-vous de vos yeux, et vous reconnaîtrez, vous adorerez un Dieu. Songez comment ces globes immenses, que vous voyez rouler dans leur immense carrière, observent les lois d'une profonde mathématique : il y a donc un grand Mathématicien que Platon appelait l'éternel Géomètre. Vous admirez ces machines d'une nouvelle invention, qu'on appelle oreri, parce que milord Orery les a mises à la mode en protégeant l'ouvrier par ses libéralités : c'est une très-faible copie de notre monde planétaire et de ses révolutions. La période même du changement des solstices et des équinoxes, qui nous amène de jour en jour une nouvelle étoile polaire, cette période, cette course si lente d'environ vingt-six mille ans, n'a pu être exécutée par des mains humaines dans nos oreri. Cette machine est très-imparfaite : il faut la faire tourner avec une manivelle ; cependant c'est un chef-d'œuvre de l'habileté de nos artisans. Jugez donc quelle est la puissance, quel est le génie de l'éternel Architecte, si l'on peut se servir de ces termes impropres si mal assortis à l'Être suprême.

Je donnai une légère idée d'un oreri à Parouba. Il dit : « S'il y a du génie dans cette copie, il faut bien qu'il y en ait dans l'original : je voudrais voir un oreri ; mais le ciel est plus beau. » Tous les assistants, Anglais et Américains, entendant ces mots, furent également frappés de la vérité, et levèrent les mains au ciel. Birton demeura tout pensif, puis il s'écria : « Quoi  tout serait art, et la nature ne serait que l'ouvrage d'un suprême Artisan  serait-il possible ? » Le sage Freind continua ainsi :

Portez à présent vos yeux sur vous-même ; examinez avec quel art étonnant, et jamais assez connu, tout y est construit en dedans et en dehors pour tous vos usages et pour tous vos désirs ; je ne prétends pas faire ici une leçon d'anatomie, vous savez assez qu'il n'y a pas un viscère qui ne soit nécessaire, et qui ne soit secouru dans ses dangers par le jeu continuel des viscères voisins. Les secours dans le corps sont si artificieusement préparés de tous côtés qu'il n'y a pas une seule veine qui n'ait ses valvules, ses écluses, pour ouvrir au sang des passages. Depuis la racine des cheveux jusqu'aux orteils des pieds, tout est art, tout est préparation, moyen, et fin. Et, en vérité, on ne peut que se sentir de l'indignation contre ceux qui osent nier les véritables causes finales, et qui ont assez de mauvaise foi ou de fureur pour dire que la bouche n'est pas faite pour parler et pour manger : que ni les yeux ne sont merveilleusement disposés pour voir, ni les oreilles pour entendre, ni les parties de la génération pour engendrer : cette audace est si folle que j'ai peine à la comprendre.

Avouons que chaque animal rend témoignage au suprême Fabricateur.

La plus petite herbe suffit pour confondre l'intelligence humaine, et cela est si vrai qu'il est impossible aux efforts de tous les hommes réunis de produire un brin de paille si le germe n'est pas dans la terre ; il ne faut pas dire que les germes pourrissent pour produire , car ces bêtises ne se disent plus.

L'assemblée sentit la vérité de ces preuves plus vivement que tout le reste, parce qu'elles étaient plus palpables. Birton disait entre ses dents : « Faudra-t-il se soumettre à reconnaître un dieu ? Nous verrons cela, pardieu  c'est une affaire à examiner. » Jenni rêvait toujours profondément, et était touché, et notre Freind acheva sa phrase :

Non, mes amis, nous ne faisons rien ; nous ne pouvons rien faire : il nous est donné d'arranger, d'unir, de désunir, de nombrer, de peser, de mesurer ; mais faire  quel mot  Il n'y a que l'Être nécessaire, l'Être existant éternellement par lui-même, qui fasse : voilà pourquoi les charlatans qui travaillent à la pierre philosophale sont de si grands imbéciles, ou de si grands fripons. Ils se vantent de créer de l'or, et ils ne pourraient pas créer de la crotte.

Avouons donc, mes amis, qu'il est un Être suprême, nécessaire, incompréhensible, qui nous a faits.

BIRTON.

Et où est-il, cet Être ? S'il y en a un, pourquoi se cache-t-il ? Quelqu'un l'a-t-il jamais vu ? Doit-on se cacher quand on a fait du bien ?

FREIND.

Avez-vous jamais vu Christophe Wren, qui a bâti Saint-Paul de Londres ? Cependant il est démontré que cet édifice est l'ouvrage d'un architecte très-habile.

BIRTON.

Tout le monde conçoit aisément que Wren a bâti avec beaucoup d'argent ce vaste édifice, où Burgess nous endort quand il prêche. Nous savons bien pourquoi et comment nos pères ont élevé ce bâtiment ; mais pourquoi et comment un dieu aurait-il créé de rien cet univers ? Vous savez l'ancienne maxime de toute l'antiquité : Rien ne peut rien créer, rien ne retourne à rien . C'est une vérité dont personne n'a jamais douté. Votre Bible même dit expressément que votre dieu fit le ciel et la terre , quoique le ciel, c'est-à-dire l'assemblage de tous les astres, soit beaucoup plus supérieur à la terre que cette terre ne l'est au plus petit des grains de sable ; mais votre Bible n'a jamais dit que Dieu fit le ciel et la terre avec rien du tout : elle ne prétend point que le Seigneur ait fait la femme de rien. Il la pétrit fort singulièrement d'une côte qu'il arracha à son mari. Le chaos existait, selon la Bible même, avant la terre : donc la matière était aussi éternelle que votre dieu.

Il s'éleva alors un petit murmure dans l'assemblée ; on disait : « Birton pourrait bien avoir raison » ; mais Freind répondit :

Je vous ai, je pense, prouvé qu'il existe une intelligence suprême, une puissance éternelle à qui nous devons une vie passagère : je ne vous ai point promis de vous expliquer le pourquoi et le comment. Dieu m'a donné assez de raison pour comprendre qu'il existe, mais non pas assez pour savoir au juste si la matière lui a été éternellement soumise, ou s'il l'a fait naître dans le temps. Que vous importe l'éternité ou la création de la matière, pourvu que vous reconnaissiez un dieu, un maître de la matière et de vous ? Vous me demandez où Dieu est : je n'en sais rien ; et je ne le dois pas savoir. Je sais qu'il est ; je sais qu'il est notre maître, qu'il fait tout, que nous devons tout attendre de sa bonté.

BIRTON.

De sa bonté  vous vous moquez de moi. Vous m'avez dit : Servez-vous de vos yeux ; et moi je vous dis : Servez-vous des vôtres. Jetez seulement un coup d'œil sur la terre entière, et jugez si votre dieu serait bon.

M. Freind sentit bien que c'était là le fort de la dispute, et que Birton lui préparait un rude assaut ; il s'aperçut que les auditeurs, et surtout les Américains, avaient besoin de prendre haleine pour écouter, et lui pour parler. Il se recommanda à Dieu ; on alla se promener sur le tillac ; on prit ensuite du thé dans le yacht, et la dispute réglée recommença.

Ex nihilo, nihil, in nihilum nil posso reverti ;

qui est le résumé de la doctrine de Lucrèce.

CHAPITRE IX.

SUR L'ATHÉISME.

BIRTON.

Pardieu  monsieur, vous n'aurez pas si beau jeu sur l'article de la bonté que vous l'avez eu sur la puissance et sur l'industrie ; je vous parlerai d'abord des énormes défauts de ce globe, qui sont précisément l'opposé de cette industrie tant vantée ; ensuite je mettrai sous vos yeux les crimes et les malheurs perpétuels des habitants, et vous jugerez de l'affectation paternelle que, selon vous, le maître a pour eux.

Je commence par vous dire que les gens de Glocestershire, mon pays, quand ils ont fait naître des chevaux dans leurs haras, les élèvent dans de beaux pâturages, leur donnent ensuite une bonne écurie, et de l'avoine et de la paille à foison ; mais, s'il vous plaît, quelle nourriture et quel abri avaient tous ces pauvres Américains du Nord quand nous les avons découverts après tant de siècles ? Il fallait qu'ils courussent trente et quarante milles pour avoir de quoi manger. Toute la côte boréale de notre ancien monde languit à peu près sous la même nécessité ; et depuis la Laponie suédoise jusqu'aux mers septentrionales du Japon, cent peuples traînent leur vie, aussi courte qu'insupportable, dans une disette affreuse, au milieu de leurs neiges éternelles.

Les plus beaux climats sont exposés sans cesse à des fléaux destructeurs. Nous y marchons sur des précipices enflammés, recouverts de terrains fertiles qui sont des pièges de mort. Il n'y a point d'autres enfers sans doute, et ces enfers se sont ouverts mille fois sous nos pas.

On nous parle d'un déluge universel, physiquement impossible, et dont tous les gens sensés rient ; mais du moins on nous console en nous disant qu'il n'a duré que dix mois : il devait éteindre ces feux qui depuis ont détruit tant de villes florissantes. Votre saint Augustin nous apprend qu'il y eut cent villes entières d'embrassées et d'abîmées en Libye par un seul tremblement de terre ; ces volcans ont bouleversé toute la belle Italie. Pour comble de maux, les tristes habitants de la zone glaciale ne sont pas exempts de ces gouffres souterrains ; les Islandais, toujours menacés, voient la faim devant eux, cent pieds de glace et cent pieds de flamme à droite et à gauche sur leur mont Hécla : car tous les grands volcans sont placés sur ces montagnes hideuses.

On a beau nous dire que ces montagnes de deux mille toises de hauteur ne sont rien par rapport à la terre, qui a trois milles lieues de diamètre ; que c'est un grain de la peau d'une orange sur la rondeur de ce fruit, que ce n'est pas un pied sur trois mille. Hélas  qui sommes-nous donc, si les hautes montagnes ne font sur la terre que la figure d'un pied sur trois mille pieds, et de quatre pouces sur neuf mille pieds ? Nous sommes donc des animaux absolument imperceptibles ; et cependant nous sommes écrasés par tout ce qui nous environne, quoique notre infinie petitesse, si voisine du néant, semblât devoir nous mettre à l'abri de tous les accidents. Après cette innombrable quantité de villes détruites, rebâties et détruites encore comme des fourmilières, que dirons-nous de ces mers de sable qui traversent le milieu de l'Afrique, et dont les vagues brûlantes, amoncelées par les vents, ont englouti des armées entières ? À quoi servent ces vastes déserts à côté de la belle Syrie ? déserts si affreux, si inhabitables, que ces animaux féroces appelés Juifs se crurent dans le paradis terrestre quand ils passèrent de ces lieux d'horreur dans un coin de terre dont on pouvait cultiver quelques arpents.

Ce n'est pas encore assez que l'homme, cette noble créature, ait été si mal logé, si mal vêtu, si mal nourri pendant tant de siècles ; il naît entre de l'urine et de la matière fécale pour respirer deux jours ; et, pendant ces deux jours, composés d'espérances trompeuses et de chagrins réels, son corps, formés avec un art inutile, est en proie à tous les maux qui résultent de cet art même : il vit entre la peste et la vérole ; la source de son être est empoisonnée ; il n'y a personne qui puisse mettre dans sa mémoire la liste de toutes les maladies qui nous poursuivent ; et le médecin des urines en Suisse prétend les guérir toutes

Pendant que Birton parlait ainsi, la compagnie était tout attentive et tout émue ; le bonhomme Parouba disait : « Voyons comme notre docteur se tirera de là ». Jenni même laissa échapper ces paroles à voix basse : « Ma foi, il a raison ; j'étais bien sot de m'être laissé toucher des discours de mon père. » M. Freind laissa passer cette première bordée, qui frappait toutes les imaginations, puis il dit :

Un jeune théologien répondrait par des sophismes à ce torrent de tristes vérités, et vous citerait saint Basile et saint Cyrille qui n'ont que faire ici ; pour moi, messieurs, je vous avouerai sans détour qu'il y a beaucoup de mal physique sur la terre ; je n'en diminue pas l'existence ; mais M. Birton l'a trop exagérée. Je m'en rapporte à vous, mon cher Parouba ; votre climat est fait pour vous, et il n'est pas si mauvais, puisque ni vous ni vos compatriotes n'avez voulu le quitter. Les Esquimaux, les Islandais, les Lapons, les Ostiaks, les Samoyèdes, n'ont jamais voulu sortir du leur. Les rangifères, ou rennes, que Dieu leur a donnés pour les nourrir, les vêtir et les traîner, meurent quand on les transporte dans une autre zone. Les Lapons mêmes aussi meurent dans les climats un peu méridionaux : le climat de la Sibérie est trop chaud pour eux ; ils se trouveraient brûlés dans le parage où nous sommes.

Il est clair que Dieu a fait chaque espèce d'animaux et de végétaux pour la place dans laquelle ils se perpétuent. Les nègres, cette espèce d'hommes si différente de la nôtre, sont tellement nés pour leur patrie que des milliers de ces animaux noirs se sont donné la mort quand notre barbare avarice les a transportés ailleurs. Le chameau et l'autruche vivent commodément dans les sables de l'Afrique ; le taureau et ses compagnes bondissent dans les pays gras où l'herbe se renouvelle continuellement pour leur nourriture ; la cannelle et le girofle ne croissent qu'aux Indes ; le froment n'est bon que dans le peu de pays où Dieu le fait croître. On a d'autres nourritures dans toute votre Amérique, depuis la Californie jusqu'au détroit de Lemaire ; nous ne pouvons cultiver la vigne dans notre fertile Angleterre, non plus qu'en Suède et en Canada. Voilà pourquoi ceux qui fondent dans quelques pays l'essence de leurs rites religieux sur du pain et du vin n'ont consulté que leur climat ; ils font très-bien, eux, de remercier Dieu de l'aliment et de la boisson qu'ils tiennent de sa bonté ; et vous ferez très-bien, vous Américains, de lui rendre grâce de votre maïs, de votre manioc et de votre cassave. Dieu, dans toute la terre, a proportionné les organes et les facultés des animaux, depuis l'homme jusqu'au limaçon, au lieu où il leur a donné la vie : n'accusons donc pas toujours la Providence, quand nous lui devons souvent des actions de grâces.

Venons aux fléaux, aux inondations, aux volcans, aux tremblement de terre. Si vous ne considérez que ces calamités, si vous ne ramassez qu'un assemblage affreux de tous les accidents qui ont attaqué quelques roues de la machine de cet univers, Dieu est un tyran à vos yeux ; si vous faites attention à ses innombrables bienfaits, Dieu est un père. Vous me citez saint Augustin le rhéteur, qui, dans son livre des miracles, parle de cent villes englouties à la fois en Libye ; mais songez que cet Africain, qui passa sa vie à se contredire, prodiguait dans ses écrits la figure de l'exagération : il traitait les tremblements de terre comme la grâce efficace et la damnation éternelle de tous les petits enfants morts sans baptême. N'a-t-il pas dit, dans son trente-septième sermon, avoir vu en Éthiopie des races d'hommes pourvues d'un grand œil au milieu du front, comme les cyclopes, et des peuples entiers sans tête ?

Nous, qui ne sommes pas Pères de l'Église, nous ne devons aller ni au delà ni en deçà de la vérité : cette vérité est que, sur cent mille habitations, on en peut compter tout au plus une détruite chaque siècle par les feux nécessaires à la formation de ce globe.

Le feu est tellement nécessaire à l'univers entier que, sans lui, il n'y aurait sur la terre ni animaux, ni végétaux, ni minéraux : il n'y aurait ni soleil ni étoiles dans l'espace. Ce feu, répandu sous la première écorce de la terre, obéit aux lois générales établies par Dieu même ; il est impossible qu'il n'en résulte quelques désastres particuliers : or on ne peut pas dire qu'un artisan soit un mauvais ouvrier quand une machine immense, formée par lui seul, subsiste depuis tant de siècles sans se déranger. Si un homme avait inventé une machine hydraulique qui arrosât toute une province et la rendît fertile, lui reprocheriez-vous que l'eau qu'il vous donnerait noyât quelques insectes ?

Je vous ai prouvé que la machine du monde est l'ouvrage d'un être souverainement intelligent et puissant : vous, qui êtes intelligents, vous devez l'admirer ; vous, qui êtes comblés de ses bienfaits, vous devez l'aimer.

Mais les malheureux, dites-vous, condamnés à souffrir toute leur vie, accablés de maladies incurables, peuvent-ils l'admirer et l'aimer ? Je vous dirai, mes amis, que ces maladies si cruelles viennent presque toutes de notre faute, ou de celle de nos pères, qui ont abusé de leurs corps ; et non de la faute du grand Fabricateur. On ne connaissait guère de maladie que celle de la décrépitude dans toute l'Amérique septentrionale, avant que nous vous y eussions apporté cette eau de mort que nous appelons eau-de-vie , et qui donne mille maux divers à quiconque en a trop bu. La contagion secrète des Caraïbes, que vous autres jeunes gens vous appelez pox , n'était qu'une indisposition légère dont nous ignorons la source, et qu'on guérissait en deux jours, soit avec du gaïac, soit avec du bouillon de tortue ; l'incontinence des Européans transplanta dans le reste du monde cette incommodité, qui prit parmi nous un caractère si funeste, et qui est devenue un fléau si abominable. Nous lisons que le pape Léon X, un archevêque de Mayence nommé Henneberg, le roi de France François Ier, en moururent.

La petite vérole, née dans l'Arabie Heureuse, n'était qu'une faible éruption, une ébullition passagère sans danger, une simple dépuration du sang : elle est devenue mortelle en Angleterre, comme dans tant d'autres climats ; notre avarice l'a portée dans ce nouveau monde ; elle l'a dépeuplé.

Souvenons-nous que, dans le poëme de Milton, ce benêt d'Adam demande à l'ange Gabriel s'il vivra longtemps. Oui, lui répond l'ange, si tu observes la grande règle Rien de trop . Observez tous cette règle, mes amis ; oseriez-vous exiger que Dieu vous fit vivre sans douleur des siècles entiers pour prix de votre gourmandise, de votre ivrognerie, de votre incontinence, de votre abandonnement à d'infâmes passions qui corrompent le sang, et qui abrègent nécessairement la vie ?

J'approuvai cette réponse, Parouba en fut assez content ; mais Birton ne fut pas ébranlé, et je remarquai dans les yeux de Jenni qu'il était encore très-indécis. Birton répliqua en ces termes :

Puisque vous vous êtes servi de lieux communs mêlés avec quelques réflexions nouvelles, j'emploierai aussi un lieu commun auquel on n'a jamais pu répondre que par des fables et du verbiage. S'il existait un Dieu si puissant, si bon, il n'aurait pas mis le mal sur la terre ; il n'aurait pas dévoué ses créatures à la douleur et au crime. S'il n'a pu empêcher le mal, il est impuissant ; s'il l'a pu et ne l'a pas voulu, il est barbare .

Nous n'avons des annales que d'environ huit mille années, conservées chez les brachmanes ; nous n'en avons que d'environ cinq mille ans chez les Chinois ; nous ne connaissons rien que d'hier ; mais dans cet hier tout est horreur. On s'est égorgé d'un bout de la terre à l'autre, et on a été assez imbécile pour donner le nom de grands hommes, de héros, de demi-dieux, de dieux même, à ceux qui ont fait assassiner le plus grand nombre des hommes leurs semblables.

Il restait dans l'Amérique deux grandes nations civilisées qui commençaient à jouir des douceurs de la paix : les Espagnols arrivent, et en massacrent douze millions ; ils vont à la chasse aux hommes avec des chiens , et Ferdinand, roi de Castille, assigne une pension à ces chiens pour l'avoir si bien servi. Les héros vainqueurs du nouveau monde, qui massacrent tant d'innocents désarmés et nus, font servir sur leur table des gigots d'hommes et de femmes, des fesses, des avant-bras, des mollets en ragoût. Ils font rôtir sur des brasiers le roi Gatimozin au Mexique ; il courent au Pérou convertir le roi Atabalipa . Un nommé Almagro, prêtre, fils de prêtre, condamné à être pendu en Espagne pour avoir été voleur de grand chemin, vient, avec un nommé Pizarro, signifier au roi, par la voix d'un autre prêtre, qu'un troisième prêtre, nommé Alexandre VI, souillé d'incestes, d'assassinats, et d'homicides, a donné, de son plein gré, proprio motu, et de sa pleine puissance, non-seulement le Pérou, mais la moitié du nouveau monde, au roi d'Espagne ; qu'Atabalipa doit sur-le-champ se soumettre sous peine d'encourir l'indignation des apôtres saint Pierre et saint Paul. Et, comme ce roi n'entendait pas la langue latine plus que le prêtre qui lisait la bulle, il fut déclaré sur-le-champ incrédule et hérétique : on fit pendre Atabalipa, comme on avait brûlé Gatimozin ; on massacra sa nation, et tout cela pour ravir de la boue jaune endurcie, qui n'a servi qu'à dépeupler l'Espagne et à l'appauvrir, car elle lui a fait négliger la véritable boue, qui nourrit les hommes quand elle est cultivée.

Çà, mon cher M. Freind, si l'être fantastique et ridicule qu'on appelle le diable avait voulu faire des hommes à son image, les aurait-il formés autrement ? Cessez donc d'attribuer à un Dieu un ouvrage si abominable.

Cette tirade fit revenir toute l'assemblée au sentiment de Birton. Je voyais Jenni en triompher en secret ; il n'y eut pas jusqu'à la jeune Parouba qui ne fût saisie d'horreur contre le prêtre Almagro, contre le prêtre qui avait lu la bulle en latin, contre le prêtre Alexandre VI, contre tous les chrétiens qui avaient commis tant de crimes inconcevables par dévotion, et pour voler de l'or. J'avoue que je tremblais pour l'ami Freind : je désespérais de sa cause ; voici pourtant comme il répondit sans s'étonner :

Mes amis, souvenez-vous toujours qu'il existe un Être suprême ; je vous l'ai prouvé, vous en êtes convenus, et, après avoir été forcés d'avouer qu'il est, vous vous efforcez de lui chercher des imperfections, des vices, des méchancetés.

Je suis bien loin de vous dire, comme certains raisonneurs, que les maux particuliers forment le bien général. Cette extravagance est trop ridicule. Je conviens avec douleur qu'il y a beaucoup de mal moral et de mal physique ; mais, puisque l'existence de Dieu est certaine, il est aussi très-certain que tous ces maux ne peuvent empêcher que Dieu existe. Il ne peut être méchant, car quel intérêt aurait-il à l'être ? Il y a des maux horribles, mes amis ; eh bien  n'en augmentons pas le nombre. Il est impossible qu'un Dieu ne soit pas bon ; mais les hommes sont pervers : ils font un détestable usage de la liberté que ce grand Être leur a donnée et dû leur donner, c'est-à-dire la puissance d'exécuter leurs volontés, sans quoi ils ne seraient que de pures machines formées par un être méchant pour être brisées par lui.

Tous les Espagnols éclairés conviennent qu'un petit nombre de leurs ancêtres abusa de cette liberté jusqu'à commettre des crimes qui font frémir la nature. Don Carlos, second du nom (de qui M. l'archiduc puisse être le successeur ), a réparé, autant qu'il a pu, les atrocités auxquelles les Espagnols s'abandonnèrent sous Ferdinand et sous Charles-Quint.

Mes amis, si le crime est sur la terre, la vertu y est aussi.

BIRTON.

Ha  ha  ha  la vertu  voilà une plaisante idée ; pardieu  je voudrais bien savoir comment la vertu est faite, et où l'on peut la trouver.

À ces paroles je ne me contins pas ; j'interrompis Birton à mon tour. « Vous la trouverez chez M. Freind, lui dis-je, chez le bon Parouba, chez vous-même, quand vous aurez nettoyé votre cœur des vices qui le couvrent. » Il rougit, Jenni aussi ; puis Jenni baissa les yeux, et parut sentir des remords. Son père le regarda avec quelque compassion, et poursuivit ainsi son discours :

FREIND.

Oui, mes chers amis, il y eut toujours des vertus, s'il y eut des crimes. Athènes vit des Socrate, si elle vit des Anitus ; Rome eut des Caton, si elle eut des Sylla ; Caligula, Néron, effrayèrent la terre par leurs atrocités ; mais Titus, Trajan, Antonin le Pieux, Marc-Aurèle, la consolèrent par leur bienfaisance : mon ami Sherloc dira en peu de mots au bon Parouba ce qu'étaient les gens dont je parle. J'ai heureusement mon Épictète dans ma poche : cet Épictète n'était qu'un esclave, mais égal à Marc-Aurèle par ses sentiments. Écoutez, et puissent tous ceux qui se mêlent d'enseigner les hommes écouter ce qu'Épictète se dit à lui-même  « C'est Dieu qui m'a créé, je le porte dans moi ; oserais-je le déshonorer par des pensées infâmes, par des actions criminelles, par d'indignes désirs ? » Sa vie fut conforme à ses discours. Marc-Aurèle, sur le trône de l'Europe et de deux autres parties de notre hémisphère, ne pensa pas autrement que l'esclave Épictète : l'un ne fut jamais humilié de sa bassesse, l'autre ne fut jamais ébloui de sa grandeur ; et, quand ils écrivirent leurs pensées, ce fut pour eux-mêmes et pour leurs disciples, et non pour être loués dans des journaux. Et, à votre avis, Locke, Newton, Tillotson, Penn, Clarke, le bonhomme qu'on appelle the man of Ross , tant d'autres dans notre île et hors de notre île, que je pourrais vous citer, n'ont-ils pas été des modèles de vertu ?

Vous m'avez parlé, monsieur Birton, des guerres aussi cruelles qu'injustes dont tant de nations se sont rendues coupables ; vous avez peint les abominations des chrétiens au Mexique et au Pérou, vous pouvez y ajouter la Saint-Barthélemy de France, et les massacres d'Irlande ; mais n'est-il pas des peuples entiers qui ont toujours eu l'effusion du sang en horreur ? Les brachmanes n'ont-ils pas donné de tout temps cet exemple au monde ? Et, sans sortir du pays où nous sommes, n'avons-nous pas auprès de nous la Pensylvanie, où nos primitifs, qu'on défigure en vain par le nom de quakers, ont toujours détesté la guerre ? N'avons-nous pas la Caroline, où le grand Locke a dicté ses lois ? Dans ces deux parties de la vertu, tous les citoyens sont égaux, toutes les consciences sont libres, toutes les religions sont bonnes pourvu qu'on adore un Dieu ; tous les hommes y sont frères. Vous avez vu, monsieur Birton, comme au seul nom d'un descendant de Penn les habitants des montagnes bleues, qui pouvaient vous exterminer, ont mis bas les armes. Ils ont senti ce que c'est que la vertu, et vous vous obstinez à l'ignorer  Si la terre produit des poisons comme des aliments salutaires, voudrez-vous ne vous nourrir que de poisons ?

BIRTON.

Ah  monsieur, pourquoi tant de poisons ? Si Dieu a tout fait, ils sont son ouvrage ; il est le maître de tout ; il fait tout, il dirige la main de Cromwell qui signe la mort de Charles Ier ; il conduit le bras du bourreau qui lui tranche la tête : non, je ne puis admettre un Dieu homicide.

FREIND.

Ni moi non plus. Écoutez, je vous prie ; vous conviendrez avec moi que Dieu gouverne le monde par des lois générales. Selon ces lois, Cromwell, monstre de fanatisme et d'hypocrisie, résolut la mort de Charles Ier pour son intérêt, que tous les hommes aiment nécessairement et qu'ils n'entendent pas tous également. Selon les lois du mouvement établies par Dieu même, le bourreau coupa la tête de ce roi ; mais certainement Dieu n'assassina pas Charles Ier par un acte particulier de sa volonté. Dieu ne fut ni Cromwell, ni Jeffreys, ni Ravaillac, ni Balthazar Gérard, ni le frère prêcheur Jacques Clément. Dieu ne commet, ni n'ordonne, ni ne permet le crime ; mais il a fait l'homme, et il a fait les lois du mouvement ; ces lois éternelles du mouvement sont également exécutées par la main de l'homme charitable, qui secourt le pauvre, et par la main du scélérat, qui égorge son frère. De même que Dieu n'éteignit point son soleil et n'engloutit point l'Espagne sous la mer pour punir Cortez, Almagro et Pizzaro, qui avaient inondé de sang humain la moitié d'un hémisphère, de même aussi il n'envoie point une troupe d'anges à Londres, et ne fait point descendre du ciel cent mille tonneaux de vin de Bourgogne, pour faire plaisir à ses chers Anglais quand ils ont fait une bonne action. Sa providence générale serait ridicule si elle descendait dans chaque moment à chaque individu ; et cette vérité est si palpable que jamais Dieu ne punit sur-le-champ un criminel par un coup éclatant de sa toute-puissance : il laisse luire son soleil sur les bons et sur les méchants. Si quelques scélérats sont morts immédiatement après leurs crimes, ils sont morts par les lois générales qui président au monde. J'ai lu dans le gros livre d'un frenchman nommé Mézeray que Dieu avait fait mourir notre grand Henri V de la fistule à l'anus parce qu'il avait osé s'asseoir sur le trône du roi très-chrétien ; non, il mourut parce que les lois générales émanées de la toute-puissance avaient tellement arrangé la matière que la fistule à l'anus devait terminer la vie de ce héros. Tout le physique d'une mauvaise action est l'effet des lois générales imprimées par la main de Dieu à la matière ; tout le mal moral de l'action criminelle est l'effet de la liberté dont l'homme abuse.

Enfin, sans nous plonger dans les brouillards de la métaphysique, souvenons-nous que l'existence de Dieu est démontrée ; il n'y a plus à disputer sur son existence. Ôtez Dieu au monde, l'assassinat de Charles Ier en devient-il plus légitime ? Son bourreau vous en sera-t-il plus cher ? Dieu existe, il suffit ; s'il existe, il est juste : soyez donc justes.

BIRTON.

Votre petit argument sur le concours de Dieu a de la finesse et de la force, quoiqu'il ne disculpe pas Dieu entièrement d'être l'auteur du mal physique et du mal moral. Je vois que la manière dont vous excusez Dieu fait quelque impression sur l'assemblée ; mais ne pouvait-il pas faire en sorte que ses lois générales n'entraînassent pas tant de malheurs particuliers ? Vous m'avez prouvé un Être éternel et puissant, et, Dieu me pardonne  j'ai craint un moment que vous ne me fissiez croire en Dieu ; mais j'ai de terribles objections à vous faire. Allons, Jenni, prenons courage ; ne nous laissons point abattre .

Et vous, monsieur Freind, qui parlez si bien, avez-vous lu le livre intitulé le Bon Sens ?

FREIND.

Oui, je l'ai lu, et je ne suis point de ceux qui condamnent tout dans leurs adversaires. Il y a dans ce livre des vérités bien exposées ; mais elles sont gâtées par un grand défaut. L'auteur veut continuellement détruire le dieu de Scot, d'Albert, de Bonaventure, le dieu des ridicules scolastiques et des moines. Remarquez qu'il n'ose pas dire un mot contre le dieu de Socrate, de Platon, d'Épictète, de Marc-Aurèle ; contre le dieu de Newton et de Locke, j'ose dire contre le mien. Il perd son temps à déclamer contre des superstitions absurdes et abominables dont tous les honnêtes gens sentent aujourd'hui le ridicule et l'horreur. C'est comme si on écrivait contre la nature parce que les tourbillons de Descartes l'ont défiguré ; c'est comme si on disait que le bon goût n'existe pas parce que la plupart des auteurs n'ont point de goût. Celui qui a fait le livre du Bon Sens croit avoir attaqué Dieu ; et, en cela, il manque tout à fait de bon sens ; il n'a écrit que contre certains prêtres anciens et modernes. Croit-il avoir anéanti le maître pour avoir redit qu'il a été souvent servi par des fripons ?

BIRTON.

Écoutez, nous pourrions nous rapprocher. Je pourrais respecter le maître, si vous m'abandonniez les valets. J'aime la vérité : faites-la-moi voir, et je l'embrasse.

CHAPITRE X.

SUR L'ATHÉISME.

La nuit était venue, elle était belle, l'atmosphère était une voûte d'azur transparent, semée d'étoiles d'or ; ce spectacle touche toujours les hommes, et leur inspire une douce rêverie : le bon Parouba admirait le ciel, comme un Allemand admire Saint-Pierre de Rome, ou l'opéra de Naples, quand il le voit pour la première fois. « Cette voûte est bien hardie, disait Parouba à Freind » ; et Freind lui disait : « Mon cher Parouba, il n'y a point de voûte ; ce cintre bleu n'est autre chose qu'une étendue de vapeurs, de nuages légers, que Dieu a tellement disposés et combinés avec la mécanique de vos yeux qu'en quelque endroit que vous soyez vous êtes toujours au centre de votre promenade, et vous voyez ce qu'on nomme le ciel, et qui n'est point le ciel, arrondi sur votre tête.

--- Et ces étoiles monsieur Freind ?

--- Ce sont, comme je vous l'ai déjà dit , autant de soleils autour desquels tournent d'autres mondes ; loin d'être attachées à cette voûte bleue, souvenez-vous qu'elles en sont à des distances différentes et prodigieuses : cette étoile, que vous voyez, est à douze cents millions de mille pas de notre soleil. » Alors il lui montra le télescope qu'il avait apporté : il lui fit voir nos planètes, Jupiter avec ses quatre lunes, Saturne avec ses cinq lunes et son inconcevable anneau lumineux ; « c'est la même lumière, lui disait-il, qui part de tous ces globes, et qui arrive à nos yeux : de cette planète-ci, en un quart d'heure ; de cette étoile-ci, en six mois. » Parouba se mit à genoux et dit : « Les cieux annoncent Dieu. » Tout l'équipage était autour du vénérable Freind, regardait, et admirait. Le coriace Birton avança sans rien regarder, et parla ainsi :

BIRTON.

Eh bien, soit  il y a un Dieu, je vous l'accorde ; mais qu'importe à vous et à moi ? Qu'y a-t-il entre l'Être infini et nous autres vers de terre ? Quel rapport peut-il exister de son essence à la nôtre ? Épicure, en admettant des dieux dans les planètes, avait bien raison d'enseigner qu'ils ne se mêlaient nullement de nos sottises et de nos horreurs ; que nous ne pouvions ni les offenser ni leur plaire ; qu'ils n'avaient nul besoin de nous, ni nous d'eux : vous admettez un Dieu plus digne de l'esprit humain que les dieux d'Épicure et que tous ceux des Orientaux et des Occidentaux. Mais si vous disiez, comme tant d'autres, que ce Dieu a formé le monde et nous pour sa gloire ; qu'il exigea autrefois des sacrifices de bœufs pour sa gloire ; qu'il apparut, pour sa gloire, sous notre forme de bipèdes, etc. ; vous diriez, ce me semble, une chose absurde, qui ferait rire tous les gens qui pensent. L'amour de la gloire n'est autre chose que de l'orgueil, et l'orgueil n'est que de la vanité ; un orgueilleux est un fat que Shakespeare jouait sur son théâtre : cette épithète ne peut pas plus convenir à Dieu que celle d'injuste, de cruel, d'inconstant. Si Dieu a daigné faire, ou plutôt arranger l'univers, ce ne doit être que dans la vue d'y faire des heureux. Je vous laisse à penser s'il est venu à bout de ce dessein, le seul pourtant qui pût convenir à la nature divine.

FREIND.

Oui, sans doute, il y a réussi avec toutes les âmes honnêtes : elles seront heureuses un jour, si elles ne le sont pas aujourd'hui.

BIRTON.

Heureuse  quel rêve  quel conte de Peau d'âne  où ? quand ? comment ? qui vous l'a dit ?

FREIND.

Sa justice.

BIRTON.

N'allez-vous pas me dire, après tant de déclamateurs, que nous vivrons éternellement quand nous ne seront plus ; que nous possédons une âme immortelle, ou plutôt qu'elle nous possède, après nous avoir avoué que les Juifs eux-mêmes, les Juifs, auxquels vous vous vantez d'avoir été subrogés, n'ont jamais soupçonné seulement cette immortalité de l'âme jusqu'au temps d'Hérode ? Cette idée d'une âme immortelle avait été inventée par les brachmanes, adoptée par les Perses, les Chaldéens, les Grecs, ignorée très-longtemps de la malheureuse petite horde judaïque, mère des plus infâmes superstitions. Hélas  monsieur, savons-nous seulement si nous avons une âme ? Savons-nous si les animaux, dont le sang fait la vie, comme il fait la nôtre, qui ont comme nous des volontés, des appétits, des passions, des idées, de la mémoire, de l'industrie ; savez-vous, dis-je, si ces êtres, aussi incompréhensibles que nous, ont une âme, comme on prétend que nous en avons une ?

J'avais cru jusqu'à présent qu'il est dans la nature une force active dont nous tenons le don de vivre dans tout notre corps, de marcher par nos pieds, de prendre par nos mains, de voir par nos yeux, d'entendre par nos oreilles, de sentir par nos nerfs, de penser par notre tête, et que tout cela était ce que nous appelons l'âme : mot vague qui ne signifie au fond que le principe inconnu de nos facultés. J'appellerai Dieu, avec vous, ce principe intelligent et puissant qui anime la nature entière ; mais a-t-il daigné se faire connaître à nous ?

FREIND.

Oui, par ses œuvres.

BIRTON.

Nous a-t-il dicté ses lois ? nous a-t-il parlé ?

FREIND.

Oui, par la voix de votre conscience. N'est-il pas vrai que si vous aviez tué votre père et votre mère, cette conscience vous déchirerait par des remords aussi affreux qu'involontaires ? Cette vérité n'est-elle pas sentie et avouée par l'univers entier ? Descendons maintenant à de moindres crimes. Y en a-t-il un seul qui ne vous effraye au premier coup d'œil, qui ne vous fasse pâlir la première fois que vous le commettez, et qui ne laisse dans votre cœur l'aiguillon du repentir ?

BIRTON.

Il faut que je l'avoue.

FREIND.

Dieu vous a donc expressément ordonné, en parlant à votre cœur, de ne vous souiller jamais d'un crime évident. Et quant à toutes ces actions équivoques, que les uns condamnent et que les autres justifient, qu'avons-nous de mieux à faire que de suivre cette grande loi du premier des Zoroastres, tant remarquée de nos jours par un auteur français : « Quand tu ne sais si l'action que tu médites est bonne ou mauvaise, abstiens-toi » ?

BIRTON.

Cette maxime est admirable ; c'est sans doute ce qu'on a jamais dit de plus beau, c'est-à-dire de plus utile en morale ; et cela me ferait presque penser que Dieu a suscité de temps en temps des sages qui ont enseigné la vertu aux hommes égarés. Je vous demande pardon d'avoir raillé de la vertu.

FREIND.

Demandez-en pardon à l'Être éternel, qui peut la récompenser éternellement, et punir les transgresseurs.

BIRTON.

Quoi  Dieu me punirait éternellement de m'être livré à des passions qu'il m'a données

FREIND.

Il vous a donné des passions avec lesquelles on peut faire du bien et du mal. Je ne vous dis pas qu'il vous punira à jamais, ni comment il vous punira, car personne n'en peut rien savoir ; je vous dis qu'il le peut. Les brachmanes furent les premiers qui imaginèrent une prison éternelle pour les substances célestes qui s'étaient révoltées contre Dieu dans son propre palais : il les enferma dans une espèce d'enfer qu'ils appelaient ondera : mais, au bout de quelques milliers de siècles, il adoucit leurs peines, les mit sur la terre, et les fit hommes ; c'est de là que vint notre mélange de vices et de vertus, de plaisirs et de calamités. Cette imagination est ingénieuse ; la fable de Pandore et de Prométhée l'est encore davantage. Des nations grossières ont imité grossièrement la belle fable de Pandore ; ces inventions sont des rêves de la philosophie orientale ; tout ce que je puis vous dire, c'est que, si vous avez commis des crimes en abusant de votre liberté, il vous est impossible de prouver que Dieu soit incapable de vous en punir : je vous en défie.

BIRTON.

Attendez ; vous pensez que je ne peux pas vous démontrer qu'il est impossible au grand Être de me punir : par ma foi, vous avez raison ; j'ai fait ce que j'ai pu pour me prouver que cela était impossible, et je n'en suis jamais venu à bout. J'avoue que j'ai abusé de ma liberté, et que Dieu peut m'en châtier ; mais, pardieu  je ne serai pas puni quand je ne serai plus.

FREIND.

Le meilleur parti que vous ayez à prendre est d'être honnête homme tandis que vous existez.

BIRTON.

D'être honnête homme pendant que j'existe ?... oui, je l'avoue ; oui, vous avez raison : c'est le parti qu'il faut prendre.

Je voudrais, mon cher ami, que vous eussiez été témoin de l'effet que firent les discours de Freind sur tous les Anglais et sur tous les Américains. Birton, si évaporé et si audacieux, prit tout à coup un air recueilli et modeste ; Jenni, les yeux mouillés de larmes, se jeta aux genoux de son père, et son père l'embrassa. Voici enfin la dernière scène de cette dispute si épineuse et si intéressante.

CHAPITRE XI.

DE L'ATHÉISME.

BIRTON.

Je conçois bien que le grand Être, le maître de la nature, est éternel ; mais nous, qui n'étions pas hier, pouvons-nous avoir la folle hardiesse de prétendre à une éternité future ? Tout périt sans retour autour de nous, depuis l'insecte dévoré par l'hirondelle jusqu'à l'éléphant mangé des vers.

FREIND.

Non, rien ne périt, tout change ; les germes impalpables des animaux et des végétaux subsistent, se développent, et perpétuent les espèces. Pourquoi ne voudriez-vous pas que Dieu conservât le principe qui vous fait agir et penser, de quelque nature qu'il puisse être ? Dieu me garde de faire un système, mais certainement il y a dans nous quelque chose qui pense et qui veut : ce quelque chose, que l'on appelait autrefois une monade, ce quelque chose est imperceptible. Dieu nous l'a donné, ou peut-être, pour parler plus juste, Dieu nous a donnés à lui. Êtes-vous bien sûr qu'il ne peut la conserver ? Songez, examinez ; pouvez-vous m'en fournir quelque démonstration ?

BIRTON.

Non ; j'en ai cherché dans mon entendement, dans tous les livres des athées, et surtout dans le troisième chant de Lucrèce ; j'avoue que je n'ai jamais trouvé que des vraisemblances.

FREIND.

Et, sur ces simples vraisemblances, nous nous abandonnerions à toutes nos passions funestes  Nous vivrions en brutes, n'ayant pour règle que nos appétits, et pour frein que la crainte des autres hommes rendus éternellement ennemis les uns des autres par cette crainte mutuelle  car on veut toujours détruire ce qu'on craint. Pensez-y bien, monsieur Birton ; réfléchissez-y sérieusement, mon fils Jenni : n'attendre de Dieu ni châtiment ni récompense, c'est être véritablement athée. À quoi servirait l'idée d'un dieu qui n'aurait sur vous aucun pouvoir ? C'est comme si on disait : il y a un roi de la Chine qui est très-puissant ; je réponds : Grand bien lui fasse ; qu'il reste dans son manoir et moi dans le mien : je ne me soucie pas plus de lui qu'il ne se soucie de moi ; il n'a pas plus de juridiction sur ma personne qu'un chanoine de Windsor n'en a sur un membre de notre parlement ; alors je suis mon dieu à moi-même, je sacrifie le monde entier à mes fantaisies si j'en trouve l'occasion ; je suis sans loi, je ne regarde que moi. Si les autres êtres sont moutons, je me fais loup ; s'ils sont poules, je me fais renard.

Je suppose, ce qu'à Dieu ne plaise, que toute notre Angleterre soit athée par principes ; je conviens qu'il pourra se trouver plusieurs citoyens qui, nés tranquilles et doux, assez riches pour n'avoir pas besoin d'être injustes, gouvernés par l'honneur, et par conséquent attentifs à leur conduite, pourront vivre ensemble en société : ils cultiveront les beaux-arts, par qui les mœurs s'adoucissent ; ils pourront vivre dans la paix, dans l'innocente gaieté des honnêtes gens ; mais l'athée pauvre et violent, sûr de l'impunité, sera un sot s'il ne vous assassine pas pour voler votre argent. Dès lors tous les liens de la société sont rompus, tous les crimes secrets inondent la terre, comme les sauterelles, à peine d'abord aperçues, viennent ravager les campagnes ; le bas peuple ne sera qu'une horde de brigands, comme nos voleurs, dont on ne pend pas la dixième partie à nos sessions ; ils passent leur misérable vie dans des tavernes avec des filles perdues, ils les battent, ils se battent entre eux ; ils tombent ivres au milieu de leurs pintes de plomb dont ils se sont cassé la tête ; ils se réveillent pour voler et pour assassiner ; ils recommencent chaque jour ce cercle abominable de brutalités.

Qui retiendra les grands et les rois dans leurs vengeances, dans leur ambition, à laquelle ils veulent tout immoler ? Un roi athée est plus dangereux qu'un Ravaillac fanatique.

Les athées fourmillaient en Italie au xve siècle ; qu'en arriva-t-il ? Il fut aussi commun d'empoisonner que de donner à souper, et d'enfoncer un stylet dans le cœur de son ami que de l'embrasser ; il y eut des professeurs du crime, comme il y a aujourd'hui des maîtres de musique et de mathématique. On choisissait exprès les temples pour y assassiner les princes au pied des autels. Le pape Sixte IV et un archevêque de Florence firent assassiner ainsi les deux princes les plus accomplis de l'Europe. (Mon cher Sherloc, dites, je vous prie, à Parouba et à ses enfants ce que c'est qu'un pape et un archevêque, et dites-leur surtout qu'il n'est plus de pareils monstres.) Mais continuons. Un duc de Milan fut assassiné de même au milieu d'une église . On ne connaît que trop les étonnantes horreurs d'Alexandre VI . Si de telles mœurs avaient subsisté, l'Italie aurait été plus déserte que ne l'a été le Pérou après son invasion.

La croyance d'un Dieu rémunérateur des bonnes actions, punisseur des méchants, pardonneur des fautes légères, est donc la croyance la plus utile au genre humain : c'est le seul frein des hommes puissants, qui commettent insolemment les crimes publics ; c'est le seul frein des hommes qui commettent adroitement les crimes secrets. Je ne vous dis pas, mes amis, de mêler à cette croyance nécessaire des superstitions qui la déshonoreraient, et qui même pourraient la rendre funeste : l'athée est un monstre qui ne dévorera que pour apaiser sa faim ; le superstitieux est un autre monstre qui déchirera les hommes par devoir. J'ai toujours remarqué qu'on peut guérir un athée, mais on ne guérit jamais le superstitieux radicalement : l'athée est un homme d'esprit qui se trompe mais qui pense par lui-même, le superstitieux est un sot brutal qui n'a jamais eu que les idées des autres, l'athée violera Iphigénie prête d'épouser Achille, mais le fanatique l'égorgera pieusement sur l'autel, et croira que Jupiter lui en aura beaucoup d'obligation ; l'athée dérobera un vase d'or dans une église pour donner à souper à des filles de joie, mais le fanatique célébrera un auto-da-fé dans cette église, et chantera un cantique juif à plein gosier, en faisant brûler des juifs. Oui, mes amis, l'athéisme et le fanatisme sont les deux pôles d'un univers de confusion et d'horreur. La petite zone de la vertu est entre ces deux pôles : marchez d'un pas ferme dans ce sentier ; croyez un dieu bon, et soyez bons. C'est tout ce que les grands législateurs Locke et Penn demandent à leurs peuples.

Répondez-moi, M. Birton, vous et vos amis ; quel mal peut vous faire l'adoration d'un dieu jointe au bonheur d'être honnête homme ? Nous pouvons tous être attaqués d'une maladie mortelle au moment où je vous parle : qui de nous alors ne voudrait pas avoir vécu dans l'innocence ? Voyez comme notre méchant Richard III meurt dans Shakespeare ; comme les spectres de tous ceux qu'il a tués viennent épouvanter son imagination. Voyez comme expire Charles IX de France après sa Saint-Barthélemy  Son chapelain a beau lui dire qu'il a bien fait, son crime le déchire, son sang jaillit par ses pores , et tout le sang qu'il fit couler crie contre lui. Soyez sûr que de tous ces monstres il n'en est aucun qui n'ait vécu dans les tourments du remords, et qui n'ait fini dans la rage du désespoir.

CHAPITRE XII.

RETOUR EN ANGLETERRE. MARIAGE DE JENNI.

Birton et ses amis ne purent tenir davantage : ils se jetèrent aux genoux de Freind. « Oui, dit Birton, je crois en Dieu et en vous. »

On était déjà près de la maison de Parouba. On y soupa, mais Jenni ne put souper : il se tenait à l'écart, il fondait en larmes ; son père alla le chercher pour le consoler. « Ah  lui dit Jenni, je ne méritais pas d'avoir un père tel que vous ; je mourrai de douleur d'avoir été séduit par cette abominable Clive-Hart : je suis la cause, quoique innocente, de la mort de Primerose, et tout à l'heure, quand vous nous avez parlé d'empoisonnement, un frisson m'a saisi ; j'ai cru voir Clive-Hart présentant le breuvage horrible à Primerose. Ô ciel  ô Dieu  comment ai-je pu avoir l'esprit assez aliéné pour suivre une créature si coupable  Mais elle me trompa ; j'étais aveugle ; je ne fus détrompé que peu de temps avant qu'elle fût prise par les sauvages : elle me fit presque l'aveu de son crime dans un mouvement de colère ; depuis ce moment je l'eus en horreur, et, pour mon supplice, l'image de Primerose est sans cesse devant mes yeux ; je la vois, je l'entends ; elle me dit : Je suis morte, parce que je t'aimais. »

M. Freind se mit à sourire d'un sourire de bonté dont Jenni ne put comprendre le motif ; son père lui dit qu'une vie irréprochable pouvait seule réparer les fautes passées : il le ramena à table comme un homme qu'on vient de retirer des flots où il se noyait ; je l'embrassai, je le flattai, je lui donnai du courage : nous étions tous attendris. Nous appareillâmes le lendemain pour retourner en Angleterre, après avoir fait des présents à toute la famille de Parouba : nos adieux furent mêlés de larmes sincères ; Birton et ses camarades, qui n'avaient jamais été qu'évaporés, semblaient déjà raisonnables.

Nous étions en pleine mer quand Freind dit à Jenni en ma présence : « Eh bien  mon fils, le souvenir de la belle, de la vertueuse et tendre Primerose vous est donc toujours cher ? » Jenni se désespéra à ces paroles ; les traits d'un repentir inutile et éternel perçaient son cœur, et je craignis qu'il ne se précipitât dans la mer. « Eh bien  lui dit Freind, consolez-vous ; Primerose est vivante, et elle vous aime. »

Freind en effet en avait reçu des nouvelles sûres de ce domestique affidé, qui lui écrivait par tous les vaisseaux qui partaient pour le Maryland. M. Mead , qui a depuis acquis une si grande réputation pour la connaissance de tous les poisons, avait été assez heureux pour tirer Primerose des bras de la mort. M. Freind fit voir à son fils cette lettre qu'il avait relue tant de fois, et avec tant d'attendrissement.

Jenni passa en un moment de l'excès du désespoir à celui de la félicité. Je ne vous peindrai point les effets de ce changement si subit : plus j'en suis saisi, moins je puis les exprimer ; ce fut le plus beau moment de la vie de Jenni. Birton et ses camarades partagèrent une joie si pure. Que vous dirai-je enfin ? l'excellent Freind leur a servi de père à tous ; les noces du beau Jenni et de la belle Primerose se sont faites chez le docteur Mead ; nous avons marié aussi Birton, qui était tout changé. Jenni et lui sont aujourd'hui les plus honnêtes gens de l'Angleterre. Vous conviendrez qu'un sage peut guérir des fous.

Appendix A

Note: Manrèze est une ville à onze lieues de Barcelone.
Note: Titre de la cathédrale de Barcelone.
Note: « Oh  quel beau garçon  »
Note: Voyez la note 2 de la page 372.
Note: Voyez tome XX, page 593.
Note: Paul Grillandus (beau nom pour un inquisiteur, dit Voltaire, tome XVII, note 1, p. 346) est auteur d'un Tractatus de hœreticis et sortilegiis, Lyon, 1536, in-8o.
Note: Voyez tome XI, page 224.
Note: Toute cette histoire est racontée par Abdias, Marcel et Hégésippe ; Eusèbe en rapporte une partie. ( Note de Voltaire .) --- Voyez la Relation de Marcel dans la Collection d'anciens évangiles ( Mélanges, année 1769).
Note: Voyez, dans les Mélanges, année 1769, les Adorateurs .
Note: Chapitre ix. ( Note de Voltaire .)
Note: Actes, chapitre xxvi. ( Id. )
Note: Histoire apostolique d'Abdias. Traduction de Jules Africain, livre VI, page 595 et suiv. ( Id. )
Note: Eusèbe, livre III, chapitre xxx. ( Note de Voltaire .)
Note: C'est ce qu'on lit dans une édition de 1776 et dans les éditions de Kehl. Une édition de 1775 porte : « autres ens et ites . » C'est d'après l'erratum, quelquefois téméraire, de Kehl, que les éditeurs récents ont mis : autres en istes et en* ites. (B.)*
Note: Elle est imprimée dans l'apologie du comte de Peterborough, par le docteur Freind, page 143, chez Jonas Bourer. ( Note de Voltaire ).
Note: Il n'est pas difficile de deviner qui Voltaire désigne ici. Il n'a changé qu'une lettre : voyez la note 1 de la page suivante.
Note: Voyez ci-dessus, page 333 ; et dans les Mélanges, année 1768, le chapitre xiii des Singularités de la nature .
Note: Warburton, évêque de Glocester, auteur d'un livre intitulé la Légation de Moïse : il en est beaucoup question dans plusieurs ouvrages de M. de Voltaire, contre qui Warburton a écrit avec ce ton de supériorité que les érudits, qui ne savent que ce qu'ont pensé les autres, ne manquent jamais de prendre avec les hommes de génie. (K.)
Note: Voyez ce que Voltaire dit du Cheselden, tomes XVIII, page 404 ; XX, page 504 ; et dans le tome XIV, le chapitre xxxiii du Siècle de Louis XIV .
Note: Voyez tome XVII, page 44.
Note: Voyez dans les Mélanges, année 1761, la Lettre de M. Clocpitre à M. Eraton .
Note: Tillotson et Smalridge sont deux prédicateurs anglais : Voltaire en a déjà parlé ; voyez tome XIX, page 38.
Note: De l'italien disinvolto, dégagé ; disinvoltura, bonne grâce.
Note: Espèce d'exclamation, sale et grossière, des libertins. ( Note de M. Decroix .) --- Voyez page 561.
Note: Voltaire. C'est un anachronisme : les événements se passent au commencement du xviiie siècle, et c'est plus tard que Voltaire a dit ce qu'il rapporte ici ; voyez tome XVII, pages 458 et 476 ; tome XX, page 506 ; et dans les Mélanges, année 1767, la dixième des Lettres à Son Altesse le prince de ** ;* année 1786, le paragraphe v des Remontrances à A.-J. Rustan .
Note: Il s'agit du Système de la nature, fort postérieur au siège de Barcelone et aux aventures de Jenni. (K.) --- Voyez la note 2 de la page 567.
Note: Voyez tome XVIII, pages 103-104.
Note: C'est ce que disent, saint Paul dans son Épître aux Corinthiens, xv, 36, et saint Jean, xii, 24.
Note: C'est le vers de Perse, iii, 84 :
Note: Genèse, I, i.
Note: Ce dilemme est d'Épicure ; voyez dans les Mélanges, année 1772, le paragraphe xviii de : Il faut prendre un parti : Voltaire a souvent cité ce dilemme : voyez tome XI, page 94 ; tome XX, pages 296-300 ; et dans les Mélanges, année 1777, le second des Dialogues d'Évhémère .
Note: Les Péruviens et les Mexicains.
Note: Voyez tome XII, pages 384 et 401.
Note: Ibidem, pages 395-396.
Note: Ibidem, pages 398-400.
Note: Jean Kyrl, né en 1634, mort en 1724, que Pope (troisième épître) appelle l' homme de Ross .
Note: C'est ici que finit ce chapitre dans les éditions de 1775 et 1776. (B.)
Note: Ouvrage qui parut en même temps que le Système de la nature . M. de Voltaire a grande raison. L'auteur de cet ouvrage prouve très-bien que la plupart des philosophes, en voulant pénétrer la nature de Dieu, en ont donné des idées absurdes ; mais cela ne détruit point les preuves de son existence, qui peuvent être tirées de l'ordre de l'univers. (K.) --- Le Système de la nature est de 1770 ; voyez tome XVIII, pages 97 et suiv., et 374. Le Bon Sens ou Idées naturelles opposées aux idées surnaturelles, 1772, in-12, est aussi attribué au baron d'Holbach.
Note: Voyez page 553.
Note: Depuis l'époque où écrivait M. de Voltaire, Herschel, en 1789, a découvert deux nouveaux satellites ou lunes à Saturne. (K.)
Note: Voltaire lui-même ; voyez tome XVII, page 557 ; tome XVIII, page 236 ; tome XIX, page 549 ; tome XX, pages 345 et 646 ; et dans les Mélanges, année 1768, une des notes sur le Discours de l'empereur Julien, et le dialogue A B C, dixième entretien ; année 1771, Lettres de Memmius, no 19.
Note: Salviati ; voyez tome XII, pages 168 et suiv.
Note: Voyez tome XII, page 167.
Note: Voyez ibid., page 83 ; et dans les Mélanges, année 1768, l'opuscule intitulé les Droits des hommes, etc.
Note: Voyez tome XII, page 526.
Note: Né en 1673, mort en 1754. Il pratiqua l'un des premiers l'inoculation de la petite vérole, et est auteur d'un Mechanical Account of poisons, 1702.

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TextGrid Repository (2024). Collection of Eighteenth-Century French Novels 1751-1800. L'Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée. L'Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée. Collection of Eighteenth-Century French Novels 1751-1800. 'Mining and Modeling Text' (Mimotext) Project. https://hdl.handle.net/21.11113/0000-0013-BBEB-0